Tain,
tous les jours, Alger elle pleure ses morts. La mort de tes morts. Autour des
barricades, la foule du 13 mai elle reste là sans savoir quoi faire. Si c'était
pas si dramatique, je plaisanterais en disant que seul contre tous mon oncle,
il avait raison. Lagaillarde, Ortiz, les territoriaux, la compagnie algérienne,
Delouvrier, général Challe, colonel Argoud, le 1er
REP, les honneurs militaires, à Alger tout ce beau monde, il écrit l'histoire
avec des larmes de sang.
Reusement
il en faut plus que ça pour abattre le moral des Algérois ! À bas de Gaulle et
ses sbires de Paris ! L'humeur ambiante,
elle frise la naïveté, mais il est convenu qu'on nage dans un bain
d'optimisme à nul autre pareil en ce pays ! Malgré les déboires, boire ou
conduire la politique, y faut choisir ! L'Algérois
y préfère boire l'anisette qui reprend des couleurs : le bleu du ciel, le blanc
de l'anisette et le rouge du sang qui coule dans nos veines, voilà les couleurs
des Algérois! Au Sélect, à la Grande Brasserie
ou au Faisan d'or, on se noie dans un verre d'eau avant de rentrer à la maison
pour pas sentir l'anisette ! Sinon Paulette, Henriette, Lisette, Fifinette et
Marinette, elles sont pas contentes ! Sans
compter Lucette, Rosette et Claudette ! Purée, la manie des mères de chez
nous d'ajouter un zeste d'anis « ette » aux prénoms de leurs filles !
Reusement qu'elles ont pas fait la même chose à leurs garçons !
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Les
chitanes du quartier, zarmah y sont devenus
grands. "On leur presse le nez y sort encore du lait", elles disent nos mères ! De la morve aussi, espèces
de petits morveux ! Petits dégoutants ! Nous autres, on appelle la morve
de la bornourna ou de la bornayen, comme on veut, on choise ! Nos mères,
elles ont pas tout à fait tort et comme le tort tue, c'est la mort sûre ! On
fait les fanfarons (et ron et ron petit patapon),
mais on n’en mène pas large. Ni large, ni long
d'ailleurs ! Ailleurs, l’herbe est plus verte il a dit le poète. À savoir si
c’est vrai. Dieu seul y sait. À la Bouzaréah, l’herbe, elle est peut-être plus
verte, mais à Alger, c’est le bleu-blanc-rouge qui domine. Mais tout le monde
le sait : dominer c’est pas gagner ! Et alors, et oila !
On
s'habille soua soua et on se fait la raie bien droite pour taper l'avenue.
Square Guillemin-Trois Horloges et retour ! Andar et venir, c'est le paséo du
pauvre le long de l'avenue de la Bouzaréah ! On fait les riches mais on n’a pas un sou en poche. Le col relevé, la chemise
blousée, les cheveux gominés, attention les yeux. Cinq
dans tes yeux. On imite James Dean, mais on fait
attention de pas ressembler à une tapette ! Que le bon dieu y nous en préserve
! Préserve à tifs, dans la poche sur le côté du blue jean ! Le peigne,
Vitapointe, Gomina ou Roja fllor pour coiffer la mèche rebelle ! Sois belle et
tais-toi, on est de mèche avec la petite qui se prend pour B.B.
Les
timides, y marchent sur le trottoir de gauche pour pas croiser le regard tueur
des petites du trottoir de droite. Jupe vichy et ballerines ! Les zazous, eux,
gauche ou droite, y draguent sec, même quand y pleut sur la rampe Durando.
Rue
Cavelier de la Salle, Martoune elle mate un max ! Max y fait du rentre dedans à
toutes les filles qui passent et qui repassent comme des smata. Total, James
Dean en herbe, Elvis ou Fernandel, il a beau baratiner, y rentre que dalle ! Ni
dedans ni dehors! Ni y lève ni y tombe ! Y sort bredouille, la queue entre les
jambes ! (c'est une expression française, c'est pas moi qui l'ai inventée,
spèces de mal intentionnés !) Mais à Bab
El Oued, le rire c'est le meilleur rempart contre le mauvais sang.
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C'est
l'été à Bab El Oued ! Et dans toute l'Algérie, ch'uis pas bête quand même ! Qué
ralah, ces lecteurs, dé ! Vous croyez que c'est facile de raconter des tchalefs
à toutes les pages ! Tssstt !
L'été
dans le faubourg, ça sent une odeur de pain grillé comme dans le four de la
boulangère Villa Grossa de l'avenue de la Bouzaréah ! Ouais, je sais ! Ça sent la même chose dans toutes les boulangeries. Je vais pas toutes les citer quand même ! Qué, vous
allez me pourrir la vie comme ça sans arrêt ? Vous voulez que je m'arrête ou
quoi ? Espèces de r'mars !
Y
fait tellement chaud que le bithume y fond ! Bithume, tu
me crois ou tu me
crois pas ?
À
Padovani, on attend trois heures (dix pour Yuma) avant de taper le bain because
la digestion (tain, ch'uis multilingue !). Si on va pas à la plage, c'est kif
kif bourricot ! À la plage ou la maison,
pas moins de trois heures pour une digestion soua-soua !
Blanchette,
noir comme l'ébène, il arrose les rues en trainant un tuyau lourd comme dix
kilos de pommes de terre. Kilos ou tchitchepounes,
comme tu veux tu choises !
Le
soleil, notre Kadour à nous, y me fait dire n'importe quoi ! Il est temps que
je tape la sieste pour faire la digestion ! Cha, cha, je ferme les yeux et
j'écoute la chanson de ma rue ! La chanson de ceux qui ont toujours l'air de se
disputer, de ceux qui tapent cinq tous les dix minutes, ceux qui tchortchorent
sans discontinuer (achno où y trouvent la force de parler ?), ceux qui dorment les
yeux ouverts même que ça fait peur, ceux les pauvres qui sont obligés de
travailler parce que le patron y fait suer le tricot de corps (la vérité, le
burnous y fait trop la saranah !), enfin ceux
des chitanes qui sont sortis en louzdé pour rejoindre la bande en bas la rue.
Et tous ces bruits familiers y composent la chanson de ma rue.
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