lundi 1 mai 2017

Extrait de COMME ELLE DIT MA MERE que j'écris actuellement



Ça y est, c’est sûr, cette semaine, je tape cao pour faire comme tout l’monde. Faire manca oura, çuila qui l’a jamais fait, c’est pas un homme ! Alors, comme j’ai pas envie que les copains y me prennent pour une tapette…….
Remarque celui qui dit ça, mieux y va se cacher parce que si je l’attrape, je lui fais la tête comme un camembert.     
Déjà, je sais où j’vais aller pour que personne y me mette les yeux dessus. Qui me voit, si vous préférez. Avec Attia, on ira au Midi-Minuit, où le bon dieu, il a perdu ses babouches, en ville comme ça, personne y nous reconnaitra. Et puis, après, j’espère que les samotes qui me demandent de prouver que je suis  un mac en tapant cao,  y vont me lâcher, définitivement, la grappe. Vous avouerez que j’suis parote de me prêter à ces enfantillages (zarmah, je suis grand). La vérité, qu’est-ce que j’en ai à faire des élucubrations (waouh, ce mot) de ces ignares. Comme elle dit ma mère quand on lui reproche quelque chose, elle répond : bien faire et laisser dire. Ma mère, c’est la sagesse même ! Elle pourrait  choisir cette expression beaucoup plus explicite : Parle à mon cul, ma tête est malade ! Mais, ma mère à moi, elle est polie. Qu’est-ce vous croyez ? Que dans la casbah dans les années 10, on parlait comme des charretiers ? Sa mère, ma grand-mère, si un de ses enfants y disait un gros mot, elle lui frottait la bouche avec du piment ! Nous autres, on a hérité de ce respect dû aux grandes personnes mais seulement aux grandes personnes parce que la rue toute entière, elle rougirait d’entendre le parler des chitanes entre eux, plein de grossièretés les unes plus vilaines que les autres.
Après ce cours de savoir-vivre en société, revenons à nos moutons.
Le fameux jour du taper cao au cours d’arabe littéraire, il est arrivé sans tambour ni trompette. Je m’retrouve seul sur mon ile déserte. En effet, Attia, ce coulo, y m’annonce pas,  avec tambour et trompette, qu’il se dégonfle. Moi, je pense remettre à demain c’que je peux faire le jour même (selon le fameux proverbe) mais les copains, comme des sangsues, y me gonflent les bonbons alors, à la guerre comme à la guerre, j’me jette à l’eau. En plus, j’ai pas d’argent pour le cinéma. Où j’vais aller ? Putain, dès une heure de l’après-midi, je  rase les murs pour monter à Notre Dame d’Afrique. L’homme invisible, c’est moi. J’suis vraiment neuneu, hein !        
Je passe devant la campagne Oualid en me cachant parce que les Oualid, c’est de la famille éloignée. Et ça grimpe, ça grimpe, achno jamais ça m’a paru si loin quand je montais avec les amis. Je suis comme une âme en peine, un chien perdu sans collier. Je pourrais chanter « Si toi aussi tu m’abandonnes » en pensant à ce coulo d’Attia, mais la vérité, je chante comme une lessiveuse, alors, je préfère m’abstenir. Ça y est, j’suis arrivé là où le bon dieu, il a perdu ses pantoufles. Madame l’Afrique, presqu’elle m’applaudit d’avoir grimpé jusqu’en haut dans un style proche de Bahamontès sauf que moi, j’ai pas d’vélo.
Purée, le panorama ! Aujourd’hui, tout seul sur la colline, j’ai tout le temps d’admirer Bab El Oued qui se mire dans l’eau. Un tableau mieux que Picasso. Du bleu avec la mer et le ciel, du vert avec les cyprès et les pins qui entourent les  cimetières, du blanc avec les immeubles couronnés du rouge des terrasses, du jaune avec les stades de Saint-Eugène et Marcel Cerdan, la vérité, qu’est-ce tu veux de plus beau que cette palette de couleurs qui éclatent sous mes yeux ! Ça y est j’me prends pour un poète. C’est sans doute la solitude et la beauté du paysage qui me rendent tout gaga. Je suis le penseur de Rodin. Je tourne autour de la basilique comme une âme en peine. Le bruissement des cyprès sous le vent, ça me berce, presque je m’endors. Pendant que les amis y sommeillent devant le prof d’arabe, moi, châ, châ, je m’laisse bercer par la musique de la nature…..ba ba ba, le poète ! Ça m’rappelle une anecdote : après avoir lu une de mes rédactions, mon prof il avait rien trouvé de mieux que de me qualifier de poète. La rédaction suivante, il a compris que le poète, il avait existé que dans son imagination ! Evidemment, les amis ils en ont fait des gorges chaudes. Ce putain de phrasé francaoui, y me laisse pantois. Nous à Bab El Oued, on se contente de se bidonner au lieu d’en faire des gorges chaudes. N’importe quoi. Le pathos, il aime faire du genre quand y parle. Oh, pardon, quand il cause. Allez va chez Azrine, va !

Pour les amis, je suis un mac, dixit les babaos de ma classe. Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre mais au moins, j’les entendrais plus me gonfler les bonbons avec la question : Quand tu tapes cao ? 
Qu’est-ce que j’ai de plus maintenant, à part, le mauvais sang pour tenter d’expliquer mon absence au prof?
Mais ma parole, y doit avoir un bon dieu pour les fainéants comme moi : le professeur d’arabe littéraire, rien de mieux, il a trouvé d’être victime d’un attentat le lendemain matin. Presque les copains y croient que c’est moi, l’assassin
Aouah, j’suis un bloffeur mais pas un menteur.
Mais, pour une fois, la vérité, le bon dieu, il a bien fait les choses. Tellement qu’je suis content, que je promets de remettre le couvercle  si Roland y tape Cao  avec moi. Houlà ! Roland y préfère faire manca oura. Ce badjij, y sait pas que dans le langage de nous autres, taper cao, c’est la contraction de faire man-caou-ra.
--Ya r’mar que tié !
Et je lui explique en long, en large et en travers. C’est trop simple, rien y comprend, ce parote !
Si y continue, je vais l’affubler de tous les mots de la casbah judéo-arabe que je connais: parote, badjij, r’mar, torrène, brèle, babao,…..Et si ça lui suffit pas, il a qu’à demander à sa mère, qu’elle aussi, elle est de la rue Marengo. Mais aouah, rien y veut savoir et, surtout, pas question de taper cao. Il a raison, y sait que celui qui lui cherchera des poux dans la tête, y va comprendre sa douleur, ada ma canne et mon chapeau.

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