vendredi 7 avril 2017

extrait de LE COIFFEUR DE BAB EL OUED de hubert zakine



Dimanche, le Gallia y rencontre Bel Abbès en coupe d’Algérie alors bien sûr, les supporteurs y supputent.

--Putain, juste sur Bel Abbès y sont tombés ! Pendant, ce temps, l’ASSE  elle joue à Mascara. Ma parole, il y a combine.

--Qué combine ! Tu crois qu’aller gagner à Mascara, c’est facile ?

Moi rien que les écoute. Je souris. Je repense à cette famille qui  emménagé cette semaine dans mon immeuble en provenance du Maroc. Leur fille est belle comme un cœur. Le père est rabbin et la mère est déjà, cul et chemise avec ma mère qui lui a porté une assiette de gâteaux de bienvenue. Depuis, elle a qu’une idée en tête : voir son fils convoler en justes noces avec la fille du rabbin.

--Mon fils, tu t’rends compte, la fille d’un rabbin !

Je reçois cela comme une plaisanterie. Je réponds sur le même tempo.

 --La vérité, je préfèrerais la fille d’un milliardaire !

Man, qu’est-ce que j’ai pas dit !

--Bouh, mon fils ! tch’as pas honte de te moquer d’un homme de dieu !

Où j’ai dit du mal ? Où ?

Ma mère, quand on parle de mon avenir, elle est pas à prendre avec des pincettes. Un mot de travers et illico presto, elle sort le bureau des pleurs.

C’est vrai qu’elle est belle cette petite avec ses cheveux noirs, ses yeux en amandes bleus et son teint mat. Et bien sûr, des creux et des bosses là, où il faut !



--Richard, tu es capable de faire la coupe au rasoir ?

Jeannot, toujours il est à la dernière mode. Même s’il faut se mettre une plume là où je pense, il est capable de le faire pourvu qu’on le remarque !

--j’te fais même la coupe de champagne si tu payes!

Envoyez la monnaie.

--Alors, tu me coiffes à la Marlon Brando ?

--Tu préfères pas à la Yul Brynner ?

--Allez arrêtes de plaisanter avec ton rasoir à la main !

Yvon, le jeune apprenti y s’approche pour admirer le travail de l’artiste.

--A quoi ça sert, la coupe au rasoir, m’ssieu ?

--Zarmah, ça fait plusse mieux que la tondeuse.

--M’ssieu, qu’est-ce que ça veut zarmah ?

--Soit disant dans le langage judéo-arabe!

--Alors, à vous entendre, la coupe au rasoir, ça sert à rien ?

--C’est du zbérote ! Ça sert seulement à me remplir les poches !

--Qu’est-ce que ça veut dire zbé…..comme vous dites ?

-- J’ai l’impression que non seulement tu vas apprendre ton métier ici mais en même temps, tu étudieras le langage judéo-arabe ……...... faire du zbérote ou faire du cinéma, c’est kif kif bourricot.

Jeannot qui n’avait pipé mot de peur de faire déraper mon rasoir se mêla de la conversation.

--Putain, Richard, dis-lui la vérité ! La coupe au rasoir, c’est pas n’importe quel coiffeur qui peut la réussir. Manier la tondeuse, tous les coiffeurs, y peuvent le faire mais savoir manier le rasoir, y a que les artistes qui le peuvent ! Comme  Vincent de la rue Rosetti. Maintenant, si tu es incapable…..,

--Continues et j’te fais le sourire kabyle! Je lui coupe la parole, faussement énervé.

--Le sourire kabyle…. ? S’enquit Yvon très étonné du parler de son patron.

--Le sourire kabyle, c’est trancher la gorge d’une oreille à l’autre !

L’étonnement du petit apprenti déclencha le rire du salon.

--Ne t’inquiète pas, fils, c’est une façon de parler ! Comment je gagne ma vie si j’égorge mes clients ?


La clientèle, qui vient simplement se faire couper les cheveux, n’aime pas  poireauter au milieu des palabres, des rires et des plaisanteries douteuses. Elle préfère faire les cent pas sur le trottoir en grillant une cigarette ou s’assoir à la Grande Brasserie qui touche le salon.

Charge à Yvon d’aller prévenir le client que son tour arrive. Mais attention, s’il a une seconde de retard, je respecte le vieil adage : Premier arrivé, premier servi.

La Grande Brasserie est un café si renommé que j’ai sauté à pieds joints sur l’occasion sitôt connue l’envie de monsieur Ferrari de vendre son  fonds de commerce. La banque a mis la main à la poche, assurée par la proximité de la Grande Brasserie qui attire la jeunesse comme des mouches à miel. Autant dire que  la clientèle des buveurs d’anisette,  c’est  un réel vivier pour les commerces environnants.



Je rentre tout content de ma journée. Châ, châ, je suis fatigué mais c’est une bonne journée assortie d’une bonne recette. Pour mon malheur, je me laisse  choir (chof, le langage châtié)  sur la chaise longue en lâchant un ouf de fatigue et de satisfaction.

--Dis mon fils, le travail c’est bien beau  mais…….. j’ai pas envie que tu me tombes dans un lit !

Ma mère, presqu’elle m’engueule !

--Mais man, plus je fais des clients, et plus je gagne de l’argent, donc plus je me fatigue, c’est normal !

--Peut-être, mais ta santé, monsieur le coiffeur, elle passe  avant tout ! Tu aurais pas pu faire comme Tonton Robert et travailler à l’EGA, non ? Jamais, y bouge de sa chaise !

Purée, les mères de chez nous ! Y en a qui diraient quelles plaies, moi je dis quel bonheur !

Une mère d’Algérie, si le mauvais sang  y fait pas partie de sa panoplie, on est capable de l’expulser du pays, alors ! A partir du moment où j’ai assimilé cette donnée fondamentale, plus rien ne peut m’arriver. Je dis Amen à tout et puis, je passe à autre chose.


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