samedi 7 janvier 2017

Extrait de COMME ELLE DIT MA MERE dans la collection SOUVENIRS D'EN FACE de Hubert Zakine.


Extrait de COMME ELLE DIT MA MERE
dans la collection SOUVENIRS D'EN FACE de Hubert Zakine.


L’enfance à Alger, elle commençait réellement par le passage obligé de la rue. Pas la rue pour aller à l’école ou pour accompagner la mère pour aller au marché, chez une tante ou chez Azrine, non, en bas la rue, tout seul comme un grand, pour se bagarrer, jouer au football, à papa vinga ou aux noyaux. Un dégourdi quoi !
Moi, en plus, j’avais mes frères Jacky et Paulo pour me guider vers une émancipation (ba,ba,ba, ce mot, dé !) de voyoucratie. Purée, le lecteur, y va être obligé de sortir le dictionnaire de l’armoire pour me comprendre !
Alors, bien sûr, je m’suis trouvé comme un poisson dans l’eau dans cet univers de l’enfance qu’à vrai dire, j’ai toujours un pied (noir) englué dedans….et même au dehors.
Déjà, quand j’entendais mes frères vanter les mérites de tel jeu, de tel ami, (ou même de Guillaume Tell) y me prenait un gousto de descendre en bas la rue, j’vous dis pas ! Seulement, j’étais trop p’tit pour que ma mère (et ses sœurs) elle lâche le cheval fou que j’étais dans l’espace que me proposait le jardin Guillemin.
Le jardin, comment vous dire, il était rond comme un ballon de foot, grand comme un stade, entouré d’un grande ceinture de plantes exotiques et d’arbres que les Tarzan du quartier y prenaient d’assaut quand ils avaient rien d’autre à faire. C’était le terrain de prédilection de tous les apprentis-footballeurs le matin et de toutes les mamans du quartier l’après-midi. Alors, j’prenais mon mal en patience et j’obéissais à mes frères ou sinon, j’me prenais une schkobe que le mur y m’en donnait une autre.
Heureusement, y avait l’école ou je pouvais me dépenser à la récréation même que la plupart du temps, le maitre y me mettait au piquet, ce pourri, zarmah pour me calmer.
Madame Dahan, la directrice de la maternelle, elle m’appelait ver solitaire tellement que j’étais remuant, c’est dire !
Mais je pouvais pas faire un geste sans qu’un ou l’autre (j’parle de mes frères, espèces de babaos) y me réprimande. J’adore faire celui qui parle comme un savant! Oh, c’est que normalement, j’utilise jamais le mot réprimande. D’ordinaire, je dis y m’engueule comme du poisson pourri!
Les premiers jours, y me suivaient du regard sitôt que je m’éloignais du périmètre du jardin Guillemin et, avec l’index, ils agrandissaient un œil en me prévenant par un chof à la mode arabe. Si j’obéissais pas, y me couraient après pour me mettre une calbote. Et puis avec le temps, y m’ont fait un p’tit peu plus confiance et, à six ans, y m’ont lâché la grappe. Disons que mon éducation de la rue et de ses dangers, elle était r’lass. Je savais même traverser la rue ! Total, mes frères y jouaient le jeu pour que ma mère, elle se fasse pas un litre de mauvais sang. Toujours, elle disait qu’elle allait attraper la colique tellement qu’elle avait peur qu’il m’arrive quelque chose. Zarmah, je risquais de m’faire écraser par une automobile. Tu parles, quand trois voitures elles passaient par ma rue dans la journée, c’était le bout du monde!
Ma mère, rien qu’elle croyait que la bombe atomique elle allait exploser au jardin Guillemin ! Pas ailleurs, hein ! Juste où ses fils y s’trouvaient! Le lâcheur de bombes, y nous suivait à la trace comme un samote. C’est nous et personne d’autre qu’il voulait dégommer, ce brèle.
Et si c’était pas une bombe qui nous tombait dessus, c’était le bras qu’on s’cassait, la jambe qu’on s’esquintait ou la goffa qu’on s’faisait dans le pull-over! Yaré, yaré! Ma mère, comme elle s’faisait plus de cassements de tête que les autres mères, elle ajoutait quelques mots judéo-arabe de sa casbah natale, style tiassardo ou tiarlasso, quand elle était inquiète ou énervée.
Par contre, si elle était contente, les bébésso, larzèze, r’mouss qui vantait la beauté, la gentillesse, la douceur de ses fils, y fusaient de partout. Y faut dire que veuve à 36 ans, elle avait reporté tout son amour sur nous et, en plus, on est beaux comme des soleils. Zarmah, vous savez pas que je plaisante….même si on est les plus beaux du monde et des alentours -dixit ma mère-.
A la rue comme au jardin, y avait une bande. Pas une bande d'indiens mais c’est tout comme. C’est là que j’ai appris les gros mots de la rue algéroise style une chiée plus quinze. Purée, toujours on était une chiée plus quinze au quartier pour taper le match de foot, jouer aux jeux de nos ainés ou simplement mater les filles. Moi, je m’contente d’enregistrer la façon de draguer pour quand je serais grand.
Mon éducation sentimentale, en quelque sorte ! Pour l’instant, grâce à mes frères qui m’ont appris à jouer au foot dans le couloir de mon appartement ou dans une entrée de maison, je fais partie de l’équipe des petits -6/9 ans- que chaque jour on s’prend une tannée contre l’équipe des grands -10/13 ans- et ça suffit à mon bonheur.
Le reste du temps, on se défoule avec nos jeux qui coûtent pas un sou à nos mères. Les noyaux d’abricot, les bouchons de limonade qu’on ramasse dans les cafés, qu’on leste de bougie pour taper le tour de France, les tchapp’s, face imagée des boites d’allumettes, les toupies ou la boléra avec une vieille balle de tennis. Ajoutez les jeux à se casser un membre comme papa vinga ou "un le brun" et vous aurez compris qu’on a pas le temps de s’ennuyer. Mais le foot des rues….avec ou sans balle, c’était le kif. Quoi, vous avez jamais joué sans une balle en caoutchouc ? Et comment on fait quand on n’a pas de pèze pour en acheter une ? Comment, hein ? Eh bien on se dégotte des morceaux de papier, on trouve des élastiques et on fabrique un semblant de balle. C’est simple, non ? Mais attention, la balle, y faut jouer en la caressant, pas en frappant comme des r’mars, pas de caramels à la Couard qui avait un tir de mule -dixit mon oncle Léon- Sinon, toutes les cinq minutes, y faut en refaire une. Des fois, on avait une balle de tennis ou de Jokari. Alors, on pouvait dribbler et tirer comme des malades.

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