Histoire d'un blessé de la vie qui écrit pour exister. Roman historique de la conquête de l'Algérie qui se confond avec la conquête d'une lectrice.
MANUSCRIT QUE JE VIENS DE TERMINER
MANUSCRIT QUE JE VIENS DE TERMINER
Simon revenait à la réalité en refermant le livre de l’avenir
à deux. Le rêve s’évanouissait. Il avait
fantasmé sa vie et, à présent, le masque de la félicité était tombé.
--Tu
comprends Roland, rêver c’est bien beau mais au bout du bout, le rêve passe et
tu restes démuni face à la réalité.
--Arrête
de déconner ! A t’entendre, ta vie elle est finie. Regarde Edith, elle te
plait, ne dis pas le contraire ! Et selon moi, tu lui plais, alors
pourquoi tu renoncerais à…..
--Je
renonce à rien mais c’est pas la peine de se faire du cinéma. Elle est trop bien pour un canard boiteux
comme moi. Etre assis….. même couché à ses côtés, ça peut aller mais tu me vois
me promener à son bras, d’ailleurs je pourrais même pas…….
Roland sursauta.
--
Tu pourrais pas la niquer ??
--Eh
badjij, je parle pas de niquer ! Je pourrais pas me promener en lui
donnant la main.
--Pourquoi ?
--Putain,
tu es de gaz ou quoi ? Tu oublies
que j’ai qu’une main valide et elle me sert à tenir la canne?
--Ah
oui !
--Et
oui, tonton ! La vie est ainsi faite, aujourd’hui bli-bli, demain
cacahuète !
Roland sourit en écoutant ce proverbe arabe qui lui rappelait
bien des souvenirs.
--Et
si, malgré tout, elle se trouvait bien avec toi, si elle te trouvait à son
goût, qu’est-ce que tu ferais ?
Simon laissa passer un moment puis, se mit à chanter une
chanson d’Eddie Constantine :
--Si
c’est comme ça, dans ce cas-là, je garde mon sang-froid, ok, je prends la chose
du bon côté !
--C’est
bon à savoir, tu dis pas non, c’est tout ce que je voulais savoir.
--Roland,
ne mets pas la charrue avant les bœufs. J’avance à pas de loup sans me faire
d’illusions ! Pour le moment, je tente de me reconstruire même si je sais
que la reconstruction risque de s’écrouler à tout moment. Je fais en sorte
qu’un tremblement de terre ne
m’anéantisse pas. C’est grâce à ma famille que je suis encore debout. Et
bien sûr à ta présence auprès de moi !........ mais ne crois pas que je vais
t’élever une statue pour autant ou sinon tu vas t’envoler !
Après bien des réflexions sur son avenir, mille discussions
avec sa mère et ses frères, avec Roland et surtout avec lui-même, il se rendit
à l’avis unanime que la vie méritait
plus d’investissement de sa part. Et surtout, que sa vie amoureuse n’était en
rien finie. Il ne comptait plus sur un
possible retour de flamme de Suzy mais Edith avait réveillé en lui un
sentiment qu’il croyait à jamais anéanti : l’envie de séduire.
Séduire comme un canard boiteux certes mais tenter la chance
d’attirer un regard féminin autre que compatissant, à présent, il savait. Edith
l’avait regardé sans le plaindre, sans la condescendance qui sied si bien aux bonnes
âmes qui ne comprennent pas qu’elles enfoncent plus qu’elles ne soutiennent
ceux qui souffrent.
Elle avait ouvert la porte de l’espoir et tant pis si elle ne
lui donnait pas la main, un autre
sourire illuminera son existence. De cela, il en était à présent certain. Il
sera toujours handicapé mais fini de s’apitoyer, terminée la peur du lendemain
et même si le temps n’efface pas le
souvenir-chagrin, d’autres bonheurs lui feront de l’œil.
*****
Ecrire l’épopée de ses trois héros encourageait son
optimisme. Il s’appuyait sur l’énergie de ces hommes et ces femmes partis de
leurs villages en proie à la famine pour tenter l’aventure. Passe encore pour
des célibataires qui n’avaient que leur peau à défendre mais quitter le pays
natal avec armes, bagages, femme et enfants, demandait un petit grain de folie
ou de désespoir que Simon prit en exemple.
Il lui fallait mettre de côté sa tristesse et regarder l’avenir avec une pointe
d’optimisme afin que ses jours ne se confondent pas avec ses nuits.
Pour cela, il lui fallait une amie. Roland l’avait si bien compris qu’il avait
fait le forcing pour lui faire admettre qu’Edith pouvait être celle-là. Il
avait reculé devant ce qui lui avait apparu comme une gageure impossible à
surmonter.
--Le
non, tu l’as alors pourquoi ne pas tenter le oui ! disait-il avec
un optimisme béat.
--Ça
se voit que c’est pas toi qui prends le risque de te prendre une gamelle !
--Et
alors, même si tu prends une gamelle, une de perdue, dix de retrouvées.
*****
1839
En 1838, Diégo Agullo a
ouvert deux points de vente rue Randon et
rue de la Lyre.
La rue Bab El Oued se pare de nombreuses boutiques,
damant le pion à la rue des Consuls. Ouvert en 1838, le café d’Apollon sur la place Royale devient le
nec plus ultra d’une société choisie.
La rue Bab Azoun voit l’installation
d’un salon de coiffure flambant neuf que Luigi Garguilo accueille avec
circonspection. Concurrents mais pas adversaires car ce sont deux compatriotes arrivés
en 1836 de Torre Del Gréco qui répondent au chant des sirènes françaises et investissent leur maigre
capital. Le droit d’ainesse jouant à fond, le salon de Luigi conserve sa
clientèle, l’augmentant, au passage, par l’apport de nouveaux immigrés de la
baie de Naples. Mais toute initiative est synonyme de succès tant la demande
dépasse l’offre.
C’est le cas pour Jonas qui reçoit
des commandes de petit mobilier de l’hôtel des Ambassadeurs l’obligeant à
enrôler deux ouvriers. La perte de la clientèle du Dey d’Alger est
rapidement compensée par la vente de
nombreux sièges aux gargotes,
bars et cabarets de la blanche capitale -- en 1837, on en dénombre près de cent
soixante
Le 14
Octobre 1839, La France francise El Djezaïr par la grâce du ministre de la guerre, le
général Schneider. ALGER est le nouveau nom des possessions françaises en
Afrique du Nord. Alger est en conformité avec le dessein de la France. Luigi,
Diégo et Jonas sont heureux d’avoir emboité le pas de la grande nation. Ils ne
sont pas français mais leur cœur est bleu-blanc-rouge. Ils ont fait le bon
choix et remercie le ciel de leur avoir permis
de franchir la mer méditerranée pour un avenir meilleur.
La femme de Luigi lui donne un fils en Septembre 1939.
L’Algérie nait en Octobre. Luigi est
fier que son fils et son pays soient nés la même année. Il s’ancre
définitivement en ce pays et, depuis il
ne jure plus que par cette terre
nourricière que le hasard a mis
sur son chemin.
Quant à Jonas, il voit enfin la fin
d’un tunnel moyenâgeux où l’avait enfermé l’ottoman. Il peut à présent
s’habiller de couleurs clairs, travailler sans avoir à payer une dîme pour
droit de vie, vivre tout simplement.
Pour Diégo, un sou est un sou. Le
travail ne lui fait pas défaut et prendre des risques ne lui fait pas peur. Il
écume les villages autour d’Alger pour trouver des points de ventes en laisser
sur place. Ses espadrilles de très belle facture lui apportent plus de clients
qu’il ne peut fournir. Aussi, il décide d’acquérir deux nouvelles machines à
coudre spéciales grosses aiguilles et charge son frère Manuel et sa sœur
Conchita de les faire tourner.
*****
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