lundi 20 juin 2016

ECRIRE AFIN D'EXISTER de Hubert Zakine

Histoire d'un blessé de la vie qui écrit pour exister. Roman historique de la conquête de l'Algérie qui se confond avec la conquête d'une lectrice.

MANUSCRIT QUE JE VIENS DE TERMINER


Simon revenait à la réalité en refermant le livre de l’avenir à deux. Le rêve s’évanouissait.  Il avait fantasmé sa vie et, à présent, le masque de la félicité était tombé.  

--Tu comprends Roland, rêver c’est bien beau mais au bout du bout, le rêve passe et tu restes démuni face à la réalité.

--Arrête de déconner ! A t’entendre, ta vie elle est finie. Regarde Edith, elle te plait, ne dis pas le contraire ! Et selon moi, tu lui plais, alors pourquoi tu renoncerais à…..

--Je renonce à rien mais c’est pas la peine de se faire du cinéma.  Elle est trop bien pour un canard boiteux comme moi. Etre assis….. même couché à ses côtés, ça peut aller mais tu me vois me promener à son bras, d’ailleurs je pourrais même pas…….

Roland sursauta.
-- Tu pourrais pas la niquer ??
--Eh badjij, je parle pas de niquer ! Je pourrais pas me promener en lui donnant la main.
--Pourquoi ?
--Putain, tu es de gaz ou quoi ?  Tu oublies que  j’ai qu’une main valide  et elle me sert à tenir  la canne?
--Ah oui !
--Et oui, tonton ! La vie est ainsi faite, aujourd’hui bli-bli, demain cacahuète !
Roland sourit en écoutant ce proverbe arabe qui lui rappelait bien des souvenirs.
--Et si, malgré tout, elle se trouvait bien avec toi, si elle te trouvait à son goût, qu’est-ce que tu ferais ?
Simon laissa passer un moment puis, se mit à chanter une chanson d’Eddie Constantine :
--Si c’est comme ça, dans ce cas-là, je garde mon sang-froid, ok, je prends la chose du bon côté !
--C’est bon à savoir, tu dis pas non, c’est tout ce que je voulais savoir.
--Roland, ne mets pas la charrue avant les bœufs. J’avance à pas de loup sans me faire d’illusions ! Pour le moment, je tente de me reconstruire même si je sais que la reconstruction risque de s’écrouler à tout moment. Je fais en sorte qu’un tremblement de terre ne  m’anéantisse pas. C’est grâce à ma famille que je suis encore debout. Et bien sûr à ta présence auprès de moi !........ mais ne crois pas que je vais t’élever une statue pour autant ou sinon tu vas t’envoler !
Après bien des réflexions sur son avenir, mille discussions avec sa mère et ses frères, avec Roland et surtout avec lui-même, il se rendit à l’avis  unanime que la vie méritait plus d’investissement de sa part. Et surtout, que sa vie amoureuse n’était en rien finie.  Il ne comptait plus sur un possible retour de flamme de Suzy mais Edith avait réveillé en lui un sentiment qu’il croyait à jamais anéanti : l’envie de séduire.
Séduire comme un canard boiteux certes mais tenter la chance d’attirer un regard féminin autre que compatissant, à présent, il savait. Edith l’avait regardé sans le plaindre, sans la condescendance qui sied si bien aux bonnes âmes qui ne comprennent pas qu’elles enfoncent plus qu’elles ne soutiennent ceux qui souffrent.
Elle avait ouvert la porte de l’espoir et tant pis si elle ne lui donnait  pas la main, un autre sourire illuminera son existence. De cela, il en était à présent certain. Il sera toujours handicapé mais fini de s’apitoyer, terminée la peur du lendemain et même si le temps n’efface pas  le souvenir-chagrin, d’autres bonheurs lui feront de l’œil.


*****

 

Ecrire l’épopée de ses trois héros encourageait son optimisme. Il s’appuyait sur l’énergie de ces hommes et ces femmes partis de leurs villages en proie à la famine pour tenter l’aventure. Passe encore pour des célibataires qui n’avaient que leur peau à défendre mais quitter le pays natal avec armes, bagages, femme et enfants, demandait un petit grain de folie ou de désespoir que Simon prit en exemple.

Il lui fallait mettre de côté sa tristesse  et regarder l’avenir avec une pointe d’optimisme afin que ses jours ne se confondent pas avec ses nuits.

Pour cela, il lui fallait une amie.  Roland l’avait si bien compris qu’il avait fait le forcing pour lui faire admettre qu’Edith pouvait être celle-là. Il avait reculé devant ce qui lui avait apparu comme une gageure impossible à surmonter.

--Le non, tu l’as alors pourquoi ne pas tenter le oui ! disait-il avec un optimisme béat.

--Ça se voit que c’est pas toi qui prends le risque de te prendre une gamelle !

--Et alors, même si tu prends une gamelle, une de perdue, dix de retrouvées.



*****




 1839


En  1838, Diégo Agullo a ouvert deux points de vente  rue Randon et rue de la Lyre.
La rue  Bab El Oued se pare de nombreuses boutiques, damant le pion à la rue des Consuls. Ouvert en 1838, le  café d’Apollon sur la place Royale devient le nec plus ultra d’une société choisie.
La rue Bab Azoun voit l’installation d’un salon de coiffure flambant neuf que Luigi Garguilo accueille avec circonspection. Concurrents mais pas adversaires car ce sont deux compatriotes arrivés en 1836 de Torre Del Gréco qui répondent au chant des  sirènes françaises et investissent leur maigre capital. Le droit d’ainesse jouant à fond, le salon de Luigi conserve sa clientèle, l’augmentant, au passage, par l’apport de nouveaux immigrés de la baie de Naples. Mais toute initiative est synonyme de succès tant la demande dépasse l’offre.
C’est le cas pour Jonas qui reçoit des commandes de petit mobilier de l’hôtel des Ambassadeurs  l’obligeant à  enrôler deux ouvriers. La perte de la clientèle du Dey d’Alger est rapidement compensée par la vente de  nombreux sièges aux  gargotes, bars et cabarets de la blanche capitale -- en 1837, on en dénombre près de cent soixante
Le 14  Octobre 1839, La France francise El Djezaïr  par la grâce du ministre de la guerre, le général Schneider. ALGER est le nouveau nom des possessions françaises en Afrique du Nord. Alger est en conformité avec le dessein de la France. Luigi, Diégo et Jonas sont heureux d’avoir emboité le pas de la grande nation. Ils ne sont pas français mais leur cœur est bleu-blanc-rouge. Ils ont fait le bon choix et remercie le ciel de leur avoir permis  de franchir la mer méditerranée pour un avenir meilleur.
La femme de Luigi lui  donne un fils en Septembre 1939. L’Algérie  nait en Octobre. Luigi est fier que son fils et son pays soient nés la même année. Il s’ancre définitivement en ce pays et, depuis  il ne jure plus que par cette terre  nourricière que le hasard a mis  sur son chemin.

Quant à Jonas, il voit enfin la fin d’un tunnel moyenâgeux où l’avait enfermé l’ottoman. Il peut à présent s’habiller de couleurs clairs, travailler sans avoir à payer une dîme pour droit de vie,  vivre tout simplement.
Pour Diégo, un sou est un sou. Le travail ne lui fait pas défaut et prendre des risques ne lui fait pas peur. Il écume les villages autour d’Alger pour trouver des points de ventes en laisser sur place. Ses espadrilles de très belle facture lui apportent plus de clients qu’il ne peut fournir. Aussi, il décide d’acquérir deux nouvelles machines à coudre spéciales grosses aiguilles et charge son frère Manuel et sa sœur Conchita de les faire tourner.

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