vendredi 24 juin 2016

extrait de LE COIFFEUR DE BAB EL OUED de Hubert Zakine......à paraitre.

Purée, pas ici, elle a pas dit non, elle s’est pas révoltée. Même pas elle m’a fait les gros yeux ! Pas ici, ces deux mots y résonnent dans ma tête comme une douce promesse! Pas ici, ça veut dire qu’ailleurs, je pourrais. On monte les marches doucement. Elle me fait comprendre qu’elle est pas insensible à mon charme ravageur. Enfin, j’ose l’imaginer. Et après tout, pourquoi pas ? Comme dit Quasimodo, j’suis pas bossu ! Certes, je suis pas Rudolph Valentino, non, ça c’est mon copain Vincent. Moi j’suis plutôt du genre Jerry Lewis mais quand le jeu il en vaut la chandelle, je fais la raie bien droite, je m’habille pas comme ce gavatcho de Lucien, je cire mes chaussures et attention les yeux. Tout ça, je dis pour croire qu’Edith, elle me trouve à son goût.
Elle entre chez elle. Je la suis ! Oh purée, le rabbin y me sourit. Jamais, je l’avais vu sans son chapeau. Comme ça, sans sa kippa, y ressemble à monsieur tout le monde.  Y me fait plus peur. Presque je l’appelle tonton. Ses binocles perchés sur le nez lui donnent un air savant mais dès qu’il ouvre la bouche, je m’aperçois qu’il parle comme un joueur de belote de la Grande Brasserie, les gros mots en moins.
--Tu sais, j’aurais pu aller au salon mais …..
--Vous rigolez, monsieur Oualid ! Ça me coûte rien de venir chez vous ! J’ai deux étages à monter.
L’air de rien, je suis en train de mettre mon futur beau-père dans ma poche. Et je parle, et je parle, je raconte ma vie en lui rafraichissant la nuque. Edith, elle écoute sagement. Il me pose des questions sur la religion, sur les fêtes que je fais. Je lui apprends que chaque dernier vendredi du mois, jour de Rosh Hoddesh, j’accompagne ma mère au cimetière de Saint-Eugène pour rendre visite à mon père. Je marque des points. J’ai envie de contempler Edith mais je suis tout à mon travail. J’attaque la barbichette. Y ferme les yeux, il est bien ! Et moi, je suis aux anges. Je termine en lui tenant la glace portative pour qu’il examine le travail de l’artiste. Il est visiblement satisfait. Je le débarrasse de la tunique et range mon petit bazar. En catimini, je lance un regard vers ma belle. Le rabbin y redevient rabbin. Il épingle sa kippa sur sa tête et sors son porte-monnaie.
--Monsieur Oualid, je vous en prie….rangez votre argent. Vous me vexeriez.
Il me sourit en guise de remerciement.
J’hésite mais j’en peux plus ! Je me jette à l’eau sans bouée de sauvetage.
--Mais par contre je me dois de vous demander de m’accorder une faveur.
--Oui, fils !
Je prends mon courage à trois mains et je me lance. Advienne que pourra.
--Voilà, je suis de la communauté, je suis travailleur, je suis un garçon honnête….votre dame, elle connait ma mère………et je voudrais vous demander de m’accorder l’autorisation d’emmener votre fille au cinéma, en tout bien tout honneur, et bien entendu, si elle le souhaite.
Purée, je me rends compte que c’est sorti d’un coup comme si j’avais appris chaque lettre de mon discours. Mon voisin y reste silencieux un moment comme le font tous les vieux sages. Y se gratte la barbe en ayant l’air de faire une règle de trois. Purée, il reste à me regarder dans les yeux comme si j’étais la Joconde. Alors, y parle ou y tape la syncope ?
--Tu sais, je me souviens d’avoir été jeune. Dire que ta demande m’étonne serait exagéré car j’ai des yeux pour voir et des oreilles pour entendre les mots qu’on ne dit pas. Ma fille est mon trésor et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Ça tu peux le comprendre………..Ho, y cherche à nouveau des poux dans sa barbichette ! Y cherche ses mots ou quoi ? Aouah, c’est râpé : je vais partir verser toutes les larmes de mon corps au Sahara. Et soudain, y lève la tête en écarquillant les yeux genre Euréka, j’ai trouvé !
--J’ai toute confiance en elle mais, à part que tu es un bon coiffeur, je ne sais rien de toi………. Je veux apprendre à te connaitre et ma fille également. Si elle pense qu’elle peut te faire confiance, je lui donne ma bénédiction mais attention, si tu la fais souffrir, tu auras affaire à moi.
--Monsieur Oualid, je n’ai que de bonnes intentions, soyez-en persuadé !
Alors, le rabbin se tourne vers sa fille et lui pose d’une voix empreinte d’amour :
--Tu as envie de sortir avec ce.….garçon, ma fille ?
--Si tu n’y vois pas d’inconvénient et si ses intentions sont honnêtes, j’aimerais bien, papa !
Monsieur Oualid tend ses bras vers nous deux, nous regarde droit dans les yeux et, à la manière du rabbin qu’il est, acquiesce d’un simple vœu.
--Je vous bénis mes enfants !
Elle me raccompagne à la porte et, je comprends, à ce moment-là, qu’elle attendait que le courant passe avec son père pour se déclarer. La preuve, elle me murmure : "je suis contente" qui vaut toutes les déclarations d’amour de la terre.
Je rentre chez moi comme si j’avais gagné à la loterie.
--Manman, je viens de chez les Oualid !
--Soumlah, mon fils ! Je sais !
--Oui mais ce que tu sais pas c’est que j’ai l’autorisation de Mr. Oualid de sortir avec Edith.
Ma mère, elle est aux anges. Ça y est, elle prépare déjà les invitations pour le mariage. C’est à elle qu’il faut dire soumlah ! Vite, je lui fais respirer du vinaigre.
--C’est qu’elle est belle cette petite, et gentille avec ça. Mon fils, je suis heureuse et je te jure, elle connait pas la chance qu’elle a d’être tombée sur un garçon comme toi !
Elle lève les yeux au ciel comme pour implorer à savoir qui. Peut-être aussi et sans doute, pour partager cette nouvelle avec mon père.
Le soir, dans mon lit, j’échafaude des millions de projets, des histoires abracadabrantes où je gagne de quoi la couvrir de bijoux, enfin je me rends compte que je suis heureux comme un chitane qui a joué un bon tour à ses amis.
Edith c’est merveilleux mais je dois ouvrir le magasin. La vérité, j’ai envie d’aller travailler comme d’aller me pendre. Aouah, un bon commerçant, jamais y doit fréquenter une fille ou sinon, y pense plus au travail. Un célibataire endurci, je devrais devenir si je veux couper les cheveux souâ-souâ. Ouais, mais Edith, rien je pense à elle et mes bonnes résolutions elles s’écroulent comme un château de cartes. Allez, va, il faut que je me raisonne. Quand je suis au salon, j’enfile ma blouse blanche et, hop, je redeviens le meilleur coiffeur du monde et des alentours. Le reste du temps, je m’occupe de ma famille et de ma belle au bois dormant.

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