samedi 4 juin 2016

Extrait de "LE COIFFEUR DE BAB EL OUED" de Hubert Zakine. (en attente de parution)

De bon matin, j’adore prendre le pouls de ma rue, en sirotant le café au lait que me prépare ma mère. En tricot de peau, réveillé par mes frères qui se préparent à prendre le chemin de l’école, j’écoute la chanson de mon quartier qui entonne un hymne à l’amour et à la joie de vivre. Déjà, les petits commerçants relèvent leur rideau de fer et s’interpellent à qui mieux-mieux, élevant le ton pour se faire entendre. Le garagiste fait pétarader sa Terrot en enfumant le quartier, le menuisier accompagne le chant de sa scie circulaire sous un ciel qui colore ses joues de bleu pervenche et le marchand d’habit commence déjà sa tournée en lançant son cri réputé : z’habits ya !
Allez, il est temps de rejoindre les amis de la Grande Brasserie avant d’aller travailler pour rendre beaux les vilains.
Parce que les jeunes hommes qui travaillent, enfin ceux qui sont pas gavatchos et qui ont des poils aux pattes, y z’aiment bien jouer les Cary Grant avec leur costume prince de Galles. Alors, y viennent chez bibi pour se faire raser les trois poils qui leurs poussent au menton. Je leur passe plein de pommade. Pas style Vitapointe mais style tu es le plus beau du monde et des alentours. Y repartent du salon satisfaits de leur dégaine mais sans oublier de payer. Par ici, la monnaie ! Et pourquoi je travaille, alors ? Pour la gloire ? Rien que ça y manque ! Le boulanger Mullor y m’apporte un morceau de pitse. C’est comme ça qu’on appelle la pizza à Alger. Avec Blasco de Villa Grossa, ils se font de la concurrence pour obtenir mes faveurs. Y faut dire qu’ils se font face de chaque côté de l’avenue de la Bouzaréah.
Zarmah, je suis important. Mais quand même, quand même, je suis considéré depuis que je suis un commerçant du quartier. Avant, j’étais un oualione qui avait été exempté du service militaire. Alors, bien sûr, les amis y se sont pas gênés pour me traiter de planqué.
--Ta sœur elle couche avec un général ? Ils savaient que j’avais pas de sœur ou sinon c’était la guerre de 100 ans qui recommençait.
--Tu es pistonné parce que tu as la tchopisse ?
--Non, il est truch des oreilles !
La vérité, c’était la peine que je réponde ?
Quand je leur ai mis la raison de ma dispense de service militaire sous les yeux, on a entendu les mouches voler : En tant qu’orphelin de père, j’étais soutien de famille! Purée, le froid que ça a jeté ! Le Labrador à Alger. Les r’mhars du quartier, ils savaient plus où se mettre. Surtout que ces falampos, y me connaissaient depuis l’enfance mais, jamais, ça leur est venu à leur cerveaux atrophiés, qu’être orphelin ça exemptait de service militaire. S’ils l’avaient su, les connaissant comme je les connais, ils auraient été capables de tuer leur père pour échapper à cette corvée patriotique.
J’exagère à peine !
Tout ça je dis, total, ça m’en touche une sans faire boucher l’autre parce qu’une seule chose compte, je continue de seconder ma mère auprès de mes jeunes frères.
Et en plus, ça m’a permis de parfaire le métier que je me suis choisi un jour de colère. Pour ma bar misvah, mon coiffeur, y m’avait tellement mal coupé les cheveux, mi-bol-de-loubia, mi-fartasse que j’ai découvert un débouché à ma fainéantise scolaire. Je serai coiffeur pour qu’aucun garçon ne se retrouve avec une tête de tchic-tchic à trois faces pareille. Et je suis devenu coiffeur ! La classe ! Mais attention, il m’a fallu bousculer ma paresse légendaire pour obtenir mon diplôme. C’est que les amis y me pourrissaient le moral.
--Viens, y a un match contre la rampe Valée.
--Le métier de coiffeur c’est pour les tapettes !
--Avec tous les chauves, les fartasses et les chiches qui se coupent les cheveux tout seul, comment tu vas gagner ta vie ?



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire