lundi 13 juin 2016

Extrait de "ECRIRE AFIN D'EXISTER" que j'écris actuellement


Ecrire, c’est bien gentil mais écrire quoi ? Son mal de vivre comme le voulait Roland, l’Algérie, son métier de photographe, raconter les affres de la guerre sur tous les continents ou bien décrire la vie du petit peuple de Bab El Oued.
Il y a tant à dire sur la folie des hommes qui tuent sans se demander pourquoi et pour qui, qui tuent d’abord et font la paix ensuite, qui tuent par personnes interposées et ne connaissent même pas l’adversaire, qui ne sont jamais les véritables protagonistes des conflits armés.
Mais il en a autant à dire sur les différentes communautés d’Algérie, ces européens chassés par la misère humaine qui croyaient avoir trouvé un eldorado vanté par la France et qui furent abandonnés par l’amère patrie qui ne sut reconnaitre leurs mérites, ces italiens, espagnols, juifs, arabes, maltais, mahonnais, pathos, gitans…...Et les artistes, les sportifs, les grandes et petites figures qui font que Bab El Oued n’est comparable à aucun quartier. 100 000 âmes, c’est plus qu’un quartier, c’est une ville dans la ville avec ses cinémas, ses marchés, son quartier des italiens, son quartier espagnol et les relents de la culture judéo-arabe.
Ecrire Alger, ses avenues, ses quartiers, ses jardins et ses plages. Ou bien écrire des romans, raconter des histoires à dormir debout, inventées de toutes pièces. Est-ce que Simon saura se mettre dans la peau d’un autre ? Trouver l’idée lumineuse qui le guiderait vers la lumière ou bien s’engluer dans l’angoisse de la page blanche, tel serait le challenge à surmonter afin de bousculer ses habitudes.
Jamais, il n’aurait imaginé devenir un scribouillard pour rompre une solitude inéluctable qui offrirait ses bras décharnés à sa mélancolie.
Au contraire, lorsqu’il était encore vivant, il songeait à prendre le temps de vivre, à renoncer à sillonner le monde en furie pour flâner tranquillement dans les rues assoupies de villes en paix, au bras d’une jeunesse. Et abandonner la rapidité de ses Nikon pour le flegme du Leica, à la recherche de la qualité photographique plutôt que du scoop. Il avait songé à cela et bien plus encore, à pouponner deux ou trois têtes brunes ou blondes pour accompagner sa maturité nouvelle. Mais la vie reprend d’une main ce que l’espoir laisse entrevoir. Une seule petite seconde d’inattention sur une mine et les projets s’envolent comme une nuée d’oiseaux de mauvais augure. La veille de la fin de la guerre, la malchance s’en était mêlée et le roi du monde avait été destitué.
Sa mère, son amour, avait été avertie avec une grande précaution par ses fils. Elle se révéla une femme forte comme elle l’avait toujours été. L’âge n’eut aucune prise sur sa volonté d’accompagner Simon tout au long de ces longs mois d’hôpital. Elle lui avait transmis son courage et sa foi en l’avenir, elle avait tant connu de désillusions, le décès de son mari, le rapatriement, la perte de ses repères, la dislocation de sa famille……elle avait su faire face pour ses enfants……elle était, tout simplement, une mère d’Algérie.

*****

--Alors, larzèze, ton premier livre il sort quand ?
Simon lui répondit sur le même ton de la plaisanterie exprimé par Roland.
--Demain matin, de bonne heure ! Non mais sérieusement, j’ai déjà aligné quelques notes sur la façon de travailler.
--Et alors, par quoi tu commences ?
--Deux titres : un livre sur l’histoire de Bab El Oued et un autre sur ma vie de photographe .
--Aouah, deux livres……en même temps ?
--Je me vois pas écrire du matin au soir sur le même sujet ! J’essaie et je verrais bien si j’arrive !
--Putain, tu me feras lire au fur et à mesure ?
--Si tu es sage ! Comme quand on se lisait nos rédactions à Condorcet, quand tu me copiais…..Ajouta Simon.
--Ouais mais n’oublies pas que je te passais les devoirs de maths. Rétorqua Roland.
--Yaraslah !
Leur enfance caressait chaque souvenir et ramenait sur le théâtre ensoleillé de leur jeunesse. Et ils ne se privaient pas de faire appel à leur mémoire afin de ne jamais oublier que pour redonner vie à l’histoire tronquée de français d’Algérie. Roland se voulait le tuteur de la nouvelle existence de Simon.
--C’est ta mère qui va être contente……enfin, son bébesso de fils y va sortir de sa léthargie…..Tu lui as dit ?
--Pas encore, mais mes frères sont au courant.
--Pourquoi, ils travaillent à l’E.G.A. ?
Roland reprenait lui aussi des couleurs. Il s’apercevait que les plaisanteries fusaient comme avant, quand le malheur n’avait pas frappé son ami. L’E.G.A. était la compagnie d’Electricité et Gaz d’Algérie. Donc, il était normal qu’ils soient au courant, voilà le genre de plaisanterie que leur enfance leur avait léguée. De nouveau, Roland se comportait en joyeux facétieux sans se demander si son ami apprécierait. Ce qu’il ignorait, c’est que le visage que montrait Simon n’était que façade, une poudre aux yeux en attendant que la vie lui sourit à nouveau.

Ecrire pour exister, exister à travers l’écriture, pour éloigner la solitude qui le guettait du coin de l’œil. Il lui avait suffi d’arrêter le temps pour qu’aussitôt s’imposent à lui les souvenirs d’un passé qui lui collait à la peau sans qu’il en soit véritablement conscient. Soudain, une boulimie d’écriture pour décrire son quartier s’empara de lui. Alger renaissait dans son imaginaire. Un nom de rue, une odeur de soubressade, une photo de la ville blanche et, soudain, s’agitaient sous sa plume les souvenirs d’une nostalgie enfouie dans sa mémoire.
Les journées lui paraissaient longues et inutiles avant que le virus de la page inviolée ne le surprenne. Sans crier gare, il avait envahi son horizon plombé et lui avait redonné des couleurs qui viraient au bleu selon son aptitude à retourner au pays du souvenir. Il écrivait selon son humeur et selon son inspiration. Il avait appris la solitude, il apprenait la patience. Mais la photographie lui manquait terriblement. Aussi, il se fit fabriquer un petit support de poitrine et souvent, sur son fauteuil d’handicapé, il se postait sur la place du village afin de voler quelques instantanés de rue pour le simple bonheur de continuer à se servir de son Leica. Petit à petit, il parvint à remplir ses journées d’écriture et de photographie bercé par les réminiscences de sa vie d’avant.
Il avait trouvé, grâce à Roland, un semblant d’équilibre moral qu’il savait illusoire. Ecrire sa jeunesse dans les rues de sa ville natale lui était d’un grand secours mais l’absence d’une compagne au cœur tendre manquait à son équilibre. Suzy avait fui. Elle n’avait pas apprécié le comportement de son ami qui avait privilégié son métier et surtout d’y avoir laissé sa santé. Elle avait eu l’aplomb de s’en expliquer avec Simon qui en resta bouche bée. Il avait balbutié :
-- Un photographe, comme un médecin se doit à son métier. Je me devais de réagir en pro !
Depuis, il n’était plus en mesure de se défendre, aussi, il accepta la douloureuse révélation de la démission de sa belle en pensant que, le temps du traumatisme avalé, elle reviendrait à de meilleurs sentiments.
Après deux mois de solitude, la dérobade de Suzy fut confirmée. Ce fut un coup terrible. Ainsi va la vie. Sa belle n’avait eu ni le cran ni l’amour nécessaire pour partager la vie d’un handicapé.
Il pensa à la fatalité orientale de sa mère mais cela ne lui fut d’aucun secours. Le vieil adage une de perdue, dix de retrouvées, pas plus. Alors, en désespoir de cause, il fit le chemin à l’envers afin de coucher sur papier nostalgie sa mélancolie. Afin de retrouver le temps heureux de ses jeunes années, quand l’insouciance se maquillait de bleu et que s’offrait à sa jeune ambition un avenir de fête. Aussi, afin d’y puiser la source de son inspiration.

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