samedi 11 juin 2016

extrait de ECRIRE AFIN D'EXISTER que j'écris actuellement.


Histoire d'un blessé de la vie qui écrit pour exister. Roman historique de la conquête de l'Algérie qui se confond avec la conquête d'une lectrice.


Quand le ciel se couvrait de rides hivernales,Simon s’enfermait alors dans sa prison personnelle.
Le silence devenait, alors, son complice. Assis à l’intérieur d’un café, il regardait le déluge s’abattre sur sa vie. Dans la salle enfumée par quelques braillards tirant sur leurs pipes recourbées, il écoutait le clapotis des gouttes sur l’auvent sans faire attention au brouhaha qui l’environnait.
Il pensait le moins possible.
Il essayait d’oublier celui qu’il fut afin de faire la paix avec lui-même. Oublier celui qu’il fut et qu’il ne sera plus. Oublier le miroir aux alouettes. Adopter le nouveau Simon. Sans cela, point de salut.
Parfois, son pays, son quartier, sa maison caressaient sa mémoire. Le bonheur entrait, alors, sans façon dans son univers, le violait pour un instant de volupté. Des images bienheureuses effleuraient son passé, petite blonde au regard violent qui traça le sillon d’un amour d’enfance, bar misvah, entouré de sa famille, de ses amis, de ses chers disparus, cabanon maritime au soleil d’été qui lui offrit sa première expérience dans les bras d’une jolie sirène, -enfer ou paradis-, il se le demande encore. La vision d’autrefois lui apportait des souvenirs effacés de sa mémoire. Vision trouble, images pastelles aux senteurs de méditerranée. Réminiscences d’un monde disparu qui renaissait chaque soir à la tombée de la nuit. Qu’il chassait en allumant le bouton de l’étrange lucarne qui lui renvoyait le spectacle d’une actualité dont il s’était exclu.
Plus rien ne l’intéressait. Il manquait d’envie. Il lui arrivait souvent de sombrer dans une douce mélancolie. Mélancolie d’un passé qui lui collait à la peau, qu’il ne parvenait pas à envoyer balader d’un revers de main, Alger, Suzy, son métier de photographe, son handicap, c’était beaucoup trop pour un seul homme.
Il préférait s’isoler, loin des gens bien portants qui amplifient leurs petites misères en oubliant qu’à leurs portes, d’autres angoisses existent.
Chacun pour soi et Dieu pour tous était leur leitmotiv.
Et pourtant, sa machine à écrire s’emballait parfois pour un souvenir de jeunesse qui lui ravissait le cœur. Une empoignade l’attirait irrésistiblement vers le paradis des années perdues et sa mémoire remontait allègrement le fleuve de l’insouciance. Avant que la source ne se tarisse, il voyageait, le cœur léger, en pays de nostalgie à la recherche d’instants dispersés dans les méandres de ses souvenirs. Lorsque la montre du temps passé s’arrêtait, il redevenait l’homme au corps mutilé et au cœur blessé.

Afin de s’améliorer aussi bien dans la tournure des phrases que grammaticalement, Simon se mit en tête de lire de grands classiques de la littérature contemporaine. L’éventail lui parut si vaste qu’il se borna à disséquer les grands auteurs américains. Faulkner, Steinbeck, Fitzgerald et Williams auxquels il ajouta Albert Camus plus par chauvinisme - Camus est né en Algérie - que par goût.
Lorsqu’il commença la lecture de Noces, il pensa à Tipaza qui demeurait un souvenir douloureux d’enfance. Ce jour-là, il dut rester sur les bancs de l’école alors que ses camarades partaient en excursion vers le tombeau de la chrétienne à Tipaza qui se trouvait à soixante-dix kilomètres d’Alger. Simon demanda les quelques sous pour être de l’expédition comme les autres élèves. Hélas, le porte-monnaie désargenté de sa mère s’avoua vaincu. Adieu la balade en autobus, la liberté, la visite du site archéologique et du fameux tombeau de la chrétienne. Mais la pire punition fut la description idyllique qu’en fit le directeur afin d’inciter les élèves à faire la promotion de l’excursion auprès de leurs parents.
L’image d'un homme qui fréquenta le journal communiste Alger-républicain dont le siège se trouvait rue Kœchlin face à l’immeuble où Simon habitait l’accompagna tout au long de sa lecture. Il revoyait ce journaliste, qui, du haut de sa fenêtre, assistait au match de football que disputaient les gosses du quartier. Oui, il se souvenait d’Albert Camus au visage émacié et au costume fatigué en lisant Noces.

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