L’été s’était enfui. La plage, redevenue terrain de jeux pour
les oiseaux marins, s’ennuyait ferme. Délaissées des touristes, les terrasses
des cafés faisaient leur toilette. Côtoyer la foule bigarrée des grandes
métropoles, à présent, indisposait Simon. Il préférait le calme à la fureur d’une station balnéaire. L’enfant
d’Alger n’aimait plus l’été. Aimer est un bien grand mot pour un solitaire. Mais
était-il encore capable d’aimer ?
Tout lui paraissait tellement dérisoire que le mot aimer ne résonnait plus avec
la même sonorité qu’auparavant. Aimer un enfant, une femme, un objet, un
paysage ne mérite pas le même investissement affectif. Aimer sa mère, son père,
sa famille semble un escalier qu’il est aisé de franchir mais la forme d’amour
diffère selon l’âge et l’objet de ce sentiment si difficile à cerner. Etait-il
encore capable d’aimer ? Lui seul le
savait, l’espérait peut-être. Mais sitôt qu’il se posait la question, le
verdict tombait telle une sentence de mort. Avait-il envie d’aimer? De
souffrir mille morts. Car aimer c’est souffrir. Et dans l’état de dépendance où
il se trouvait, il ne pourrait être confronté à une autre épreuve.
Jamais, il n’avait côtoyé le mal d’amour et à présent, qu’il
ne pouvait se défendre, comment absorberait-il cette souffrance ?
L’amour c’est bon pour les bien-portants. Pas pour les
malades.
*****
C’est vrai qu’elle était jolie Edith. En d’autres
temps, Samuel se serait bien laissé tenter mais à présent, il s’interdisait de
demander la lune. Bien qu’il restait un homme dans tous les sens du terme, ses
besoins ne se limitaient aucunement en
un appétit sexuel non satisfait mais en un échange avec une femme joliment
compréhensive. Parler, échanger, avoir une compagne à ses côtés pour voir un
film, rire pour les mêmes blagues, lui faire l’amour sans que ce soit une fin
en soi, voilà ce qui lui manquait, ce qu’il espérait sans oser y croire tout à fait. L’espoir fait vivre,
répétait sans cesse sa mère afin de se donner du cœur au ventre lorsque son
moral de maman chancelait.
En parlant de moral, celui de Simon connaissait plus
de bas que de haut. Contrairement à ce que prévoyait Roland, la présence
d’Edith lui avait fait plus de mal que de bien et lui avait fait toucher du
doigt le fossé qui existait entre le Simon d’hier et celui d’aujourd’hui. Il
n’était pas dupe. Tout cela partait d’un
bon sentiment mais les sentiments n’existent que pour ce qu’ils sont, des
moulins à vent qui changent de direction à la moindre rafale. A présent, il
mesurait la différence entre l’amour et l’amitié. Celle-ci se donne sans
retenue ni condition, l’amour offre émerveillement ou destruction. Sincère ou
capricieux, la fidélité en bandoulière, il joue avec les âmes sensibles et ne
souffre pas la mesquinerie.
Simon, fort de son nouvel état d’esprit, n’attendait
plus rien des femmes. Il s’en servira comme d’un adorable jouet, si tant est
qu’une seule d’entre elles, s’intéresse à lui. Une seule demoiselle s’était
envolée et, soudain, son ciel s’était obscurci. Alors, plus de rêve, plus
d’entourloupe, plus de sentiment.
*****
--Tu
sais qu’Edith a parlé à Colette !
--C’est
normal. Elle a une bouche !
--Quel
con ! Elle lui a parlé de toi !
--Bon
ça va ! Lâche-moi avec Edith !
--Oh,
tu as fini ! Tu n’as pas envie de savoir ce qu’elle pense de toi ?
--Je
m’en tamponne le coquillard !
--Putain,
tu fais le con ou tu l’es devenu ? Colette elle s’est donné un mal de
chien pour la faire sortir de son cocon….. pour toi….
--Pour
moi ?
--Ouais
monsieur, pour toi ! Elle s’est dit que cette femme pouvait t’apporter une
stabilité…..
--Une
stabilité ? Pourquoi, elle allait m’acheter une autre jambe ?
--Ah
c’est malin ! Elle voulait simplement réunir deux âmes solitaires…..
--Deux
âmes solitaires ? C’est plus Colette, c’est Ménie Grégoire !
--Putain,
quel con ! C’est comme quand on était petit. Tu croyais toujours avoir
raison ! Rappelle-toi, il fallait toujours que tu choisisses les
films….. même les filles, tu critiquais les gonzesses qui me plaisaient……..
--Pour
les filles, du moment qu’elle avait des gros tétés, tu flashais sur elle. Peu
importe qu’elle soit laide, grosse, blonde, brune et même chauve, il te la fallait.
--Et
je veux !......Bon, tu veux pas lui
téléphoner…….je lui ai fait l’article…..ma parole, tu lui plais !
--Je
veux pas me fâcher, surtout avec toi, mais si tu continues……
--Arrête
de penser qu’à toi ! Colette….et moi on l’a baratinée comme des malades.
Pour la première fois, depuis leurs disputes
d’écolier, Simon avait envie de l’envoyer sur les roses. Devant son silence,
Roland sortit de ses gonds :
--Tu
as fini de te regarder le nombril ? On se décarcasse tant et plus et
monsieur, joue les vierges effarouchées. Putain, tu te plains que tout le monde
te tourne le dos mais, crois-moi, tu fais rien pour que ça change ! Bon,
comme j’ai pas envie qu’on se dispute pour de bon, je raccroche !
Simon était seul. Plus seul que jamais. Il se sentait
incompris. Etait-ce lui qui demandait trop aux autres ? Pourtant, il
n’avait pas l’impression de trop exiger. Que demandait-il? De ne pas être
tributaire de lui comme des autres. Etait-ce une fantaisie de sa part, vouloir
se suffire à lui-même et ne pas devoir supporter la commisération à son
encontre. Ses copains avaient déserté le rivage des bonnes intentions, soit. Il
en avait fait son deuil. Son amie nageait au large de son horizon, cela le
troublait mais il ne se plaignait pas, tout au moins aux autres. Non, il
attendait une nouvelle fée sans toutefois l’attendre. Elle viendra un jour ou
elle fera défaut, mais la vie lui avait appris que rien n’est jamais acquis.
Cette phrase d’une chanson de Georges Brassens l’avait guidé tout au long de
son périple de reporter-photographe. A présent, il s’appuyait sur elle afin de ne
plus jamais être déçu. Roland montrait de l’agacement mais il connaissait son
ami. Il lui fallait se calmer pour revenir à de meilleurs sentiments, tout au
moins, le pensait-il.
*****
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