dimanche 29 mai 2016

Extrait de : ECRIRE AFIN D'EXISTER que j'écris actuellement



Histoire d'un blessé de la vie qui écrit pour exister. Roman historique de la conquête de l'Algérie qui se confond avec la conquête d'une lectrice.

Simon se prélassait au soleil. Sous ses Ray-ban violet, il pensait à ses personnages, à ce roman qu’il avait mis entre parenthèses, le temps d’un rêve qu’il espérait  éternel. Il était bien. Il regardait l’horizon qui lui rappelait un autre pays, une autre méditerranée plus chaude, plus douce, parfois plus violente quand l’hiver venait moutonner ses rivages. Le pays d’une enfance à jamais enfuie qui lui laissait pourtant un goût d’inachevé. Terre natale qui aiguillait une existence aux  senteurs entêtantes qui collent toujours à sa peau d’éternel naufragé.
Il essayait de faire le vide afin de profiter pleinement du paysage  mais revenait sans cesse le visage bouleversant d’Edith. C’était une femme fragile qu’il fallait aborder avec doigté et délicatesse.  Elle était si belle qu’il ne comprenait pas qu’elle s’intéresse à un zigoto tel que lui ? Un zigoto qui avait certes bourlingué mais qui n’était que l’ombre de lui-même. Sans doute, il se  sous-estimait puisqu’une étoile du sud aussi jolie qu’intelligente avait l’air de le trouver à son goût ?
--Salut larzèze ! Tu joues les capitaine Troy ?
--Achno adda capitaine Troy ?
Simon utilisait souvent le langage judéo-arabe de la casbah dont les parents de Roland étaient issus.
--A cause des Ray Ban !
--Ah !
--Alors ?
--Attends, profite du soleil, de la mer, des bateaux…..
--Qué j’m’en fous des bateaux. Alors Edith ?
Depuis tout petit, Simon adorait faire languir Roland qui n’allait pas tarder à s’énerver.
--Qu’est ce tu veux savoir ?
--Tout !
--Tout quoi ?
--Ah, ne commence pas !
--Bon alors, je commence par le commencement ou par la fin ! Au fait, tu as pas faim.
--Putain de ta race, tu as fini, ouais ?
Roland savait qu’il allait avoir droit  au jeu du chat et de  la souris mais, cette fois, son impatience  concernait  la rencontre entre Simon et d’Edith. Allait-elle déboucher sur une désillusion qui,  à coup sûr, affecterait son ami ou sur une route fleurie, that’s the question ?
--Allez, arrête de déconner !
--Comme je te l’ai déjà dit, ce serait miraculeux si elle s’intéressait véritablement à moi !
--Et tu crois qu’elle s’intéresse à toi ?
--A savoir ! Je suis pas devin mais il y a des signes encourageants…..
--Et alors, qu’est-ce que tu attends ? S’étonna Roland avec véhémence.
--Pour la demander en mariage ? Simon aimait jouer avec les nerfs de Roland.
--Jamais tu seras sérieux ?
--Je serai sérieux quand je serai mort !
--Laïstarna, que dieu nous en préserve !
--Contrairement à ce que tu penses, je suis très sérieux car s’il y a moyen de moyenner, je l’épouse illico presto.
--Aouah ?
--Ma parole d’honneur ! Encore faudrait-il qu’elle accepte de m’épouser ! Surtout que chat échaudé craint l’eau froide. Avec Suzy, j’ai déjà donné !
--Alors appelle-la pour la voir ce week-end !
--C’est prévu, mais tu permets que je mange ma pizza !
--Goinfre-toi, mon fils, mais surtout que ça t’empêche pas de lui téléphoner.
--Tu es samote quand tu t’y mets !
Soudain, Simon fit mine de se lever.
--Où tu vas ?
--Eh bien, lui téléphoner !
--Assieds-toi, espèce de brèle !
--Il faudrait savoir ce que tu veux !
Simon avait réussi sa feinte de corps comme au plus beau temps de  sa jeunesse.
--Mange, ya babao que tu es!
--J’obéis, tu dis de téléphoner, je téléphone !
--Mange ! Ordonna Roland faussement énervé.
Lorsque le repas s’acheva et, avant qu’ils ne se séparent, Simon téléphona à Edith devant son ami afin qu’il participe, un tant soit peu, à la conversation.
--Bonjour Edith !
--Bonjour beau brun !
--Edith, tu es libre dimanche ?
--Dimanche…. dimanche…..pourquoi tu veux encore m’inviter ?
--Peut-être mais cette fois, chez moi !
Roland ouvrit tout grand ses yeux étonnés puis leva son pouce en signe de complicité et d’admiration.
--Chez toi ? Tu n’aurais pas une idée derrière la tête ?
--Absolument pas ! Je t’ai déjà dit que tout vient à point qui sait attendre. Et si ça ne vient pas…….
--Oui, je sais, tu ne m’en voudras pas ! Ça m’irait si je n’avais pas  envie de te revoir.
--Alors, je te vois dimanche ?
--Tu me vois dimanche !
*****




1850 -


En 1849, importé de France par le bateau Pharamond en provenance de Marseille, le choléra gagne le pénitencier de fort Bab Azoun puis l’hôpital du dey puis la ville. C’est la panique.
Jonas, habitué aux épidémies qui régnaient dans la hara, renseigne ses nouveaux amis sur la manière d’éviter le fléau. Plus que d’ordinaire, ils pratiquent une hygiène rigoureuse, chauffent l’eau avant de la boire et ne mangent que des aliments  cuits. A quelque chose, malheur est bon, ils passent à travers cette maladie  qui aura duré 3 mois et demi a entraîné 579 décès civils sur 1133 cas.

À la suite de la proclamation de la II e République Française  à Paris le 24 février 1848, la constitution    est adoptée dans la foulée. 
Luigi, Diégo et Jonas voient d’un bon œil l’avènement de la IIème république. A la vérité, ils n’y comprennent pas grand-chose mais le rattachement de l’Algérie à la France leur parle bien plus que la proclamation de l’empire en 1852. Pourtant, elle est accueillie avec désinvolture par les journalistes qui demeurent les plus assidus consommateurs de l'apéritif autour des tables du café d'Apollon.

Diégo a réussi son pari. Des dizaines de points de vente sont disséminés dans tout l’Algérois qui est ouvert à la colonisation sur des routes plus  sûres. Avec des compatriotes, il crée un réseau qui s’étend jusqu’à l’Oranie. Comme il le répète lui-même, jamais il n’avait espéré une telle réussite. Mais la fortune souriant aux audacieux, il entame une deuxième carrière en proposant  des chaussures de cuir importé par un compatriote qui a senti le vent tourner. De plus en plus de pauvres immigrés abandonnent la « spardegna » pour des chaussures plus européennes et Diégo ne désire pas être à la traine. Il loue un magasin rue Randon où il ne propose que des chaussures de ville.


Luigi a ouvert un deuxième salon dirigé par Salvatore qui a écouté son cousin et ne le regrette en aucune façon. Mais il n’a pas la force de travail de  Luigi et surtout pense trop aux filles de petites vertus.
--Si tu es venu à Alger pour d’autres raisons que le travail, trouve-toi un autre pigeon !
--Je suis désolé Luigi, je suis célibataire et j’ai envie de m’amuser.
--De t’amuser ou de profiter des gens ?
--Alger c’est comme dans tous les ports du monde, il y a les pauvres et les riches, je veux faire partie des riches.et s’il faut que je joue des coudes, je jouerais des coudes.
--Et du révolver !
--Pourquoi  tu me parles de révolver ?
--Tu fréquentes des gens peu recommandables !
--Luigi, tu m’as fait venir, je t’en remercie mais je fréquente qui je veux.
--Alors prends tes cliques et tes claques, et va où tu veux !

Jonas n’avait pas ce genre de problème. Il désirait simplement que ses clients soient satisfaits de son travail. Et ils l’étaient. Le juif de la hara, sans être hautain, avait chassé de son esprit cette image qu’il donnait jadis du juif qui s’effaçait devant autrui. Il ambitionnait à présent de s’installer dans une petite boutique afin de présenter ses meubles aux passants. Eliaou Choukroun, propriétaire du bazar Salomon de la rue de Chartres  lui avait proposé un magasin sous les nouvelles arcades de la rue Bab Azoun. Après bien des hésitations, il s’engagea, encouragé par son épouse qui estimait que son mari avait de l’or dans ses mains.

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