Histoire d'un blessé de la vie qui écrit pour exister. Roman historique de la conquête de l'Algérie qui se confond avec la conquête d'une lectrice.
Simon se
prélassait au soleil. Sous ses Ray-ban violet, il pensait à ses personnages, à
ce roman qu’il avait mis entre parenthèses, le temps d’un rêve qu’il
espérait éternel. Il était bien. Il
regardait l’horizon qui lui rappelait un autre pays, une autre méditerranée
plus chaude, plus douce, parfois plus violente quand l’hiver venait moutonner ses rivages. Le pays d’une enfance à jamais
enfuie qui lui laissait pourtant un goût d’inachevé. Terre natale qui
aiguillait une existence aux senteurs
entêtantes qui collent toujours à sa peau d’éternel naufragé.
Il essayait de
faire le vide afin de profiter pleinement du paysage mais revenait sans cesse le visage
bouleversant d’Edith. C’était une femme fragile qu’il fallait aborder avec
doigté et délicatesse. Elle était si
belle qu’il ne comprenait pas qu’elle s’intéresse à un zigoto tel que
lui ? Un zigoto qui avait certes bourlingué mais qui n’était que l’ombre
de lui-même. Sans doute, il se sous-estimait puisqu’une
étoile du sud aussi jolie qu’intelligente avait l’air de le trouver à son
goût ?
--Salut larzèze ! Tu joues les capitaine
Troy ?
--Achno adda capitaine Troy ?
Simon utilisait souvent
le langage judéo-arabe de la casbah dont les parents de Roland étaient issus.
--A cause des Ray Ban !
--Ah !
--Alors ?
--Attends, profite du soleil, de la mer, des bateaux…..
--Qué j’m’en fous des bateaux. Alors Edith ?
Depuis tout petit,
Simon adorait faire languir Roland qui n’allait pas tarder à s’énerver.
--Qu’est ce tu veux savoir ?
--Tout !
--Tout quoi ?
--Ah, ne commence pas !
--Bon alors, je commence par le commencement ou par la
fin ! Au fait, tu as pas faim.
--Putain de ta race, tu as fini, ouais ?
Roland savait
qu’il allait avoir droit au jeu du chat et de
la souris mais, cette fois, son impatience concernait
la rencontre entre Simon et d’Edith. Allait-elle déboucher sur une
désillusion qui, à coup sûr, affecterait
son ami ou sur une route fleurie, that’s the question ?
--Allez, arrête de déconner !
--Comme je te l’ai déjà dit, ce serait miraculeux si
elle s’intéressait véritablement à moi !
--Et tu crois qu’elle s’intéresse à toi ?
--A savoir ! Je suis pas devin mais il y a des
signes encourageants…..
--Et alors, qu’est-ce que tu attends ? S’étonna Roland avec véhémence.
--Pour la demander en mariage ? Simon aimait jouer avec les nerfs de Roland.
--Jamais tu seras sérieux ?
--Je serai sérieux quand je serai mort !
--Laïstarna, que dieu nous en préserve !
--Contrairement à ce que tu penses, je suis très
sérieux car s’il y a moyen de moyenner, je l’épouse illico presto.
--Aouah ?
--Ma parole d’honneur ! Encore faudrait-il
qu’elle accepte de m’épouser ! Surtout que chat échaudé craint l’eau froide.
Avec Suzy, j’ai déjà donné !
--Alors appelle-la pour la voir ce week-end !
--C’est prévu, mais tu permets que je mange ma
pizza !
--Goinfre-toi, mon fils, mais surtout que ça t’empêche
pas de lui téléphoner.
--Tu es samote quand tu t’y mets !
Soudain, Simon fit
mine de se lever.
--Où tu vas ?
--Eh bien, lui téléphoner !
--Assieds-toi, espèce de brèle !
--Il faudrait savoir ce que tu veux !
Simon avait réussi
sa feinte de corps comme au plus beau temps de
sa jeunesse.
--Mange, ya babao que tu es!
--J’obéis, tu dis de téléphoner, je téléphone !
--Mange ! Ordonna
Roland faussement énervé.
Lorsque le repas
s’acheva et, avant qu’ils ne se séparent, Simon téléphona à Edith devant son
ami afin qu’il participe, un tant soit peu, à la conversation.
--Bonjour Edith !
--Bonjour beau brun !
--Edith, tu es libre dimanche ?
--Dimanche…. dimanche…..pourquoi tu veux encore
m’inviter ?
--Peut-être mais cette fois, chez moi !
Roland ouvrit tout
grand ses yeux étonnés puis leva son pouce en signe de complicité et d’admiration.
--Chez toi ? Tu n’aurais pas une idée derrière la
tête ?
--Absolument pas ! Je t’ai déjà dit que tout
vient à point qui sait attendre. Et si ça ne vient pas…….
--Oui, je sais, tu ne m’en voudras pas ! Ça
m’irait si je n’avais pas envie de te
revoir.
--Alors, je te vois dimanche ?
--Tu me vois dimanche !
*****
1850 -
En 1849, importé de France par le bateau Pharamond
en provenance de Marseille, le choléra gagne le pénitencier de fort Bab Azoun
puis l’hôpital du dey puis la ville. C’est la panique.
Jonas, habitué aux épidémies qui régnaient
dans la hara, renseigne ses nouveaux amis sur la manière d’éviter le fléau. Plus
que d’ordinaire, ils pratiquent une hygiène rigoureuse, chauffent l’eau avant
de la boire et ne mangent que des aliments
cuits. A quelque chose, malheur est bon, ils passent à travers cette
maladie qui aura duré 3 mois et demi a
entraîné 579 décès civils sur 1133 cas.
À la suite de la proclamation
de la II e République Française
à Paris le 24 février 1848, la constitution
est adoptée dans la foulée.
Luigi, Diégo et Jonas voient d’un bon œil l’avènement de la IIème république. A la vérité, ils n’y comprennent pas grand-chose mais le rattachement de l’Algérie à la France leur parle bien plus que la proclamation de l’empire en 1852. Pourtant, elle est accueillie avec désinvolture par les journalistes qui demeurent les plus assidus consommateurs de l'apéritif autour des tables du café d'Apollon.
Luigi, Diégo et Jonas voient d’un bon œil l’avènement de la IIème république. A la vérité, ils n’y comprennent pas grand-chose mais le rattachement de l’Algérie à la France leur parle bien plus que la proclamation de l’empire en 1852. Pourtant, elle est accueillie avec désinvolture par les journalistes qui demeurent les plus assidus consommateurs de l'apéritif autour des tables du café d'Apollon.
Diégo a réussi son pari. Des dizaines de
points de vente sont disséminés dans tout l’Algérois qui est ouvert à la
colonisation sur des routes plus sûres.
Avec des compatriotes, il crée un réseau qui s’étend jusqu’à l’Oranie. Comme il
le répète lui-même, jamais il n’avait espéré une telle réussite. Mais la
fortune souriant aux audacieux, il entame une deuxième carrière en
proposant des chaussures de cuir importé
par un compatriote qui a senti le vent tourner. De plus en plus de pauvres
immigrés abandonnent la « spardegna » pour des chaussures plus européennes
et Diégo ne désire pas être à la traine. Il loue un magasin rue Randon où il ne
propose que des chaussures de ville.
Luigi a ouvert un deuxième salon dirigé par Salvatore qui
a écouté son cousin et ne le regrette en aucune façon. Mais il n’a pas la force
de travail de Luigi et surtout pense
trop aux filles de petites vertus.
--Si tu es venu à Alger pour d’autres raisons que le
travail, trouve-toi un autre pigeon !
--Je suis désolé Luigi, je suis célibataire et j’ai
envie de m’amuser.
--De t’amuser ou de profiter des gens ?
--Alger c’est comme dans tous les ports du monde, il y
a les pauvres et les riches, je veux faire partie des riches.et s’il faut que
je joue des coudes, je jouerais des coudes.
--Et du révolver !
--Pourquoi tu
me parles de révolver ?
--Tu fréquentes des gens peu recommandables !
--Luigi, tu m’as fait venir, je t’en remercie mais je
fréquente qui je veux.
--Alors prends tes cliques et tes claques, et va où tu
veux !
Jonas n’avait pas ce genre de problème. Il désirait
simplement que ses clients soient satisfaits de son travail. Et ils l’étaient.
Le juif de la hara, sans être hautain, avait chassé de son esprit cette image
qu’il donnait jadis du juif qui s’effaçait devant autrui. Il ambitionnait à
présent de s’installer dans une petite boutique afin de présenter ses meubles
aux passants. Eliaou Choukroun, propriétaire du bazar Salomon de la rue de
Chartres lui avait proposé un magasin
sous les nouvelles arcades de la rue Bab Azoun. Après bien des hésitations, il
s’engagea, encouragé par son épouse qui estimait que son mari avait de l’or
dans ses mains.
*****
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