mercredi 25 mai 2016

extrait de ECRIRE AFIN D'EXISTER que j'écris actuellement.


Roland avait raison. Ecrire un ouvrage qui regrouperait l’enfance algéroise, l’abject abandon puis après le froid de l’exil, la résurrection. La réussite professionnelle avant le drame.
Ecrire pour raconter l’histoire d’un petit juif issu de la casbah judéo arabe devenu français au même titre que les italiens et les espagnols, raconter la marche inexorable de son peuple vers la modernité, l’abandon de la casbah pour les quartiers modernes….et Bab El Oued… la vie d’un monde en effervescence, qui chante, qui rit et pleure en se retroussant les manches, qui devient plus français que les métropolitains par excès de patriotisme, par reconnaissance aussi de lui avoir permis de s’extirper de la misère…..oui, il lui fallait écrire l’histoire de son peuple et de sa terre natale.

Les pages s’alignaient sans effort tant le besoin de raconter le pays perdu se faisait pressant. Il avait suffi que la proposition de Roland mûrisse dans sa pensée pour qu’aussitôt la machine à écrire déchire le silence. De sa main gauche malhabile, il tapait des phrases qui semblaient sortir d’une boite magique que rien ni personne ne contrôlait. Les mots jaillissaient de sa mémoire, sans réflexion comme si ses doigts alimentaient son cerveau et inversement. Le clavier semblait danser sous ses doigts dans une grande farandole du souvenir et de douleur.
Il n’était pas écrivain et ignorait l’ordonnancement des pages, la syntaxe comme le style. Il était un auteur brut de décoffrage mais il s’apercevait qu’il en avait tant à dire, à écrire, qu’une vie ne lui suffirait pas.
--Tu vas parler du 13 mai, du FLN, de l’OAS…….
--Jamais de la vie ! Je ne veux surtout pas évoquer les évènements. Même s’ils ont eu une grande importance dans notre vie…….même si la politique française nous a niqué le moral, pour moi, l’Algérie c’est le bonheur, la joie de vivre, l’amitié et des tas de petits bonheurs qui, mis bout à bout, tressent l’histoire de l’Algérie française. Alors, je laisse à d’autres qui croient connaitre l’Algérie parce qu’ils y ont passé une semaine, le soin de raconter la version édulcorée et surtout remaniée par la propagande gaulliste. Moi qui ait vécu dans la casbah puis à Bab El Oued, je sais. Je sais que la politique nous a tués par le manque d’information de ses médias à la solde du pouvoir en place………… Nous, qui aurions pu donner des leçons de patriotisme au monde entier, on s’est retrouvés empêchés de décider de notre propre sort……….Allez, fermons la parenthèse. Je préfère garder pour moi le ressentiment de ne plus me sentir chez moi…… un apatride où que j’aille, et dieu sait si j’ai sillonné la planète.
--Putain, tu pourrais écrire un bouquin sur ce ressentiment !
--Aouah, mieux, je m’y risque pas sinon, je finis mes jours en prison !
--Non, mais on en a jamais parlé ! C’est drôle cette pudeur de taire nos sentiments comme si, on se contentait de rire, de déconner……..comme si on avait peur d’abimer nos souvenirs.
--Les amis, c’est fait pour accompagner le bonheur, pas le malheur. Mais tu as raison, on s’est bâillonné sans nous en rendre compte, ………sans doute de peur de ne plus se trouver sur la même longueur d’onde.
--Mais on avait tort ! On peut tout entendre l’un de l’autre.
--On se disait aussi que la politique, c’était pour les grandes personnes et nous, on désirait garder notre insouciance……c’était notre façon de prolonger l’enfance !

Avant le déluge, ils parlaient des heures avec le rire au coin des lèvres. Leur seul souci, consistait à plaisanter, à rire, ne pas se prendre au sérieux. L’accident de Simon, après le drame de l’exode, les avait confrontés à la douleur.
Simon avait été trop occupé à ruer dans les brancards au sein des rédactions de la capitale pour s’attarder au désarroi de ses compatriotes. Il n’en avait eu ni le goût ni le temps. Il disait qu’il fallait mordre dans la vie afin de ne pas se laisser humilier par des hommes comme Deferre qui désirait rejeter les pieds noirs à la mer. Leur montrer que ces hommes et ces femmes d’Algérie étaient des fils de pionniers et que rien ne pouvait les abattre. Relever la tête afin de s’en sortir et par ricochet prouver à la France, si elle était encore capable de comprendre, qu’elle avait tout à gagner à accueillir comme il se doit ces français d’outre méditerranée.

Pour Simon, seul comptait sa volonté de réussir dans ce métier de trompe-la-mort réservé aux intrépides et aux débrouillards. Dans cette mouvance de coups bas, sa carapace forgée en Algérie, eût tôt fait de s’endurcir au contact des plus grands reporters de la presse nationale. Réussir dans la capitale pour faire la nique aux pathos, tel fut le combat qu’il mena dans les premières années parisiennes. Plus tard, lorsque la consécration fut obtenue par la reconnaissance de ses pairs, il oublia la revanche du petit pied noir pour mener sa barque sereinement.
Son accident lui avait révélé l’autre Simon, le petit algérois apatride, le petit juif emmitouflé dans son malheur, l’homme diminué qui revenait au pays des vivants. En tapant sur sa machine à écrire, des pans entiers de sa vie d’avant remontaient à la surface. Il devenait l’historien, le biographe de sa propre existence sans d’autre difficulté que la complexité de l’orthographe grammatical.
De temps en temps, l’amitié par téléphone lui rappelait que les distances s’étaient allongées et l’amitié pas courrier s’était installée dans son existence. Elles avaient remplacé le contact physique et visuel de jadis. Une existence qui tentait de se faire une place au soleil sans la présence d’une âme sensible qui lui prendrait la main les soirs d’infortune. Lui restait l’écriture, le retour sur les chemins de sa folle jeunesse et les matins transparents qui lui parlaient d’Alger.
Ecrire pour exister. Ecrire simplement pour passer le temps et pour se souvenir. Ecrire sans prétention. Ecrire comme un onguent sur son mal de vivre. Etrange thérapie. Car il ne se leurrait pas. Il savait bien qu’après l’emballement des premières pages, quand la solitude noiera son inspiration et que les jours sans joie prendront le pas sur l’exaltation de l’écrivain, les questions sur sa déchéance resteront lettres mortes. Mais survivre malgré tout pour les siens, pour les autres qui ne comprendront jamais pas pourquoi il aurait préféré mourir sur les bords du canal de Suez.


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