"Pessah à Alger" par Caroline Rebouh
L’air
était agréable à Alger, au printemps, chargé des senteurs de fleurs
d’orangers puis des jasmins qui recommençaient à fleurir. Les
hirondelles poussaient leurs cris de joie en s’élançant en sarabandes
immenses dans le ciel bleu pâle du matin.
Pâque
approchait et les ménagères soucieuses d’avoir une maison immaculée
pour Pessah dès avant la fête de Pourim se mettaient en devoir de trier
les vêtements et d’appeler par le balcon les "marchands d’habits" qui
annonçaient leur passage en criant ponctués par leur accent "marchands
d’habits, marchands d’habits vaisselle, marmites …".
Ils étaient deux en général. L’un
restait en bas, dans l’entrée de l’immeuble, et l’autre montait pour
juger de ce qu’on lui proposait et si cela lui convenait il proposait en
contre partie de la vaisselle, de la mercerie, des savonnettes etc…La
plupart du temps, les maîtresses de maison n’étaient pas regardantes
toutes contentes de se débarrasser d’un tas de vieilleries et de les
échanger contre de la vaisselle.
Les
armoires et les placards débarrassés du superflu, les "fatmas"
nettoyaient portes et étagères et lavaient systématiquement le linge qui
n’avait pas servi depuis un certain temps de manière à éviter au linge
de maison de se tâcher de "tâches de rouille". Puis, le tout était plié
ou amidonné et repassé et l’on recréait ainsi des piles harmonieuses
dans les armoires. Dans les coffres à jouets on traquait les miettes que
les bambins de la famille auraient pu éparpiller dans des recoins.
En
cette saison, les matelassiers étaient débordés de travail étant donné
que n’existaient pas encore les matelas à ressorts. Les matelas et les
oreillers ou les traversins étaient confectionnés en pure laine.
L’habitude consistait à louer la terrasse et la buanderie pour quelques
jours.
Puis,
l’on devait s’assurer de la présence d’une ou plusieurs femmes de
ménage qui ouvraient les matelas, sortaient la laine pour la laver,
lessivaient les toiles à matelas vides qu’elles brossaient
vigoureusement et étendaient au soleil le travail était le même pour les
traversins et les oreillers. Par ailleurs, elles cardaient et lavaient
la laine puis la faisaient sécher.
Ce
jour-là ou le lendemain on lessivait aussi les couvertures. Le
matelassier arrivait avec un aide. Il ouvrait des tréteaux et y posait
des planches de bois. Il déployait les toiles à matelas une par une les
remplissaient avec la laine cardée et toute propre. Puis, muni de son
alène et d’un fil qui avait plus l’air de ficelle que de fil et,
rapidement, il cousait les bords du matelas et piquait le matelas de
part en part de façon à maintenir la laine en place et éviter qu’elle ne
s’amasse d’un côté ou d’un autre.
Pour
ceux qui possédaient des tapis, il fallait les battre vigoureusement,
puis, à l’aide d’un tuyau, de brosses et de savon, on lavait les tapis
souvent de haute laine pour en déloger les miettes traîtresses qui
auraient pu s’incruster dans la laine serrée. Une fois secs on les
roulait et on les ficelait pour les garder derrière les portes des
chambres jusqu’à la fête.
Ensuite
venait le tour du peintre qui lessivait les murs et les repeignait ou
si le besoin de rafraîchir les peintures ne se faisait pas sentir, la
femme de ménage lavait les murs à grande eau, et faisaient briller les
lustres. On emportait à la teinturerie de l’avenue de la Bouzaréah les
tentures et les voilages qui ne seraient suspendus à nouveau qu’à la
veille de la fête.
Venait
enfin le tour des fenêtres : on brossait vigoureusement les persiennes
les boiseries des fenêtres que l’on repeignait parfois et enfin les
vitres.
Entre
temps, les meubles avaient été cirés à la cire d’abeilles et la maison
sentait bon. Ces odeurs mêlées conféraient déjà un « goût » spécial à
la fête.
Les
femmes de ménage, armées de citron de bouchons en liège et de poudre à
récurer astiquaient ensuite les cuivres (plateaux, cruches et divers
ornements) puis avec du dentifrice on astiquait l’argenterie.
Généralement
à Alger, les appartements ne disposaient pas de cave et, à l’époque
nous ne possédions dans le meilleur des cas que de glacières, on ne
faisait donc pas non plus de provisions alimentaires gigantesques et la
liquidation du hametz en conséquence s’en trouvait grandement facilitée.
Ce n’est que vers 1952 qu’arrivèrent de France les premiers
réfrigérateurs et les premières machines à laver le linge.
Une
dizaine de jours avant la fête, les parents faisaient entre eux le
point des invités qui seraient conviés à prendre part à la soirée
pascale (le seder de pessah). Mon père devrait lire et chanter le texte
de la haggada ou récit de la sortie d’Egypte puis, Maman qui jouissait
d’une certaine renommée de cuisinière hors pair et raffinée de surcroît
mettait au point le menu et la liste d’achats.
A
cette époque, chaque saison avait ses fruits et ses légumes et on ne
trouvait pas de tomates ou de concombres en hiver. Les artichauts, les
petits pois frais et les fèves, ainsi que les fenouils, faisaient leur
apparition sur les étals au printemps et dès le début de l’été les
poivrons, les tomates et les aubergines et les haricots verts, blancs et
rouges faisaient notre bonheur.
C’est
pourquoi, dès l’été, les mères de familles préparaient des bocaux de
conserves qui seraient consommés toute l’année et pour Pâque en
particulier tels que les poivrons séchés conservés dans l’huile et les
olives vertes (cassées ou pas) et les olives violettes ou noires
conservées avec des herbes aromatiques ou avec du citron ou des oranges.
Les
Matsot ou pains azymes que nous consommions à l’époque étaient rondes
mais très épaisses. Le fabricant de ces galettes les faisait à la main
dans une sorte d’entrepôt situé dans le quartier de La Marine. Il
s’agissait du regretté M. Simon Bitone.
Il était un ami de mon Père. Le secteur d’activités de cet homme très brave et généreux était la biscuiterie. Il
travaillait avec son Papa qui était très âgé et avec l’un de ses
frères. A l’approche de la fête de Pâque, il louait avec la bénédiction
du consistoire d’Alger une petite synagogue située rue Suffren.
Au
rez-de-chaussée des feuilles de carton ondulées étaient disposées à
même le sol et elles étaient recouvertes de draps blancs immaculés les
matsot reliées par paquets de 6 avec un bolduc, s’empilaient sur toute
la surface de l’entrée de la synagogue. Ces matsot étaient si épaisses
qu’on ne pouvait les consommer en l’état mais nous étions obligés de les
mouiller et de les envelopper d’un torchon pour conserver l’humidité.
Une
année, alors que Mr Simon Bitone avisa mon père qu’il venait d’acquérir
une machine à laminer qui permettrait d’obtenir des galettes beaucoup
plus fines et friables, mon père, représentant en emballages suggéra un
emballage pour chacune des différentes sortes de matsot : les galettes à
l’eau, au vin et les « oranaises » etc…
Mon
père qui était perfectionniste élabora une maquette et conçut un label
qui – malgré l’exode d’Algérie et bien que la Biscuiterie devînt la
"Biscuiterie d’Agen" – subsista et, d’ailleurs, bien que les
protagonistes ne soient plus de ce monde, ce label est toujours en
usage.
Chez
le boucher, il fallait faire la chaîne, chacun désirant sacrifier aux
coutumes et il fallait donc acheter de l’agneau et puis des tripes de la
viande qu’il faudrait hacher à la maison.
Maman
se faisait aider car elle n’aurait jamais pu suffire seule aux
préparatifs des salades, du fameux potage de Pâque contenant sept
légumes ou végétaux et que tout le monde s’accordait à dire que ce
potage avait un goût tout-à-fait particulier le soir de la fête. Et puis
il fallait confectionner une saucisse de gras-doubles qui mijotait dans
la soupe et tant d’autres mets particuliers que tous appréciaient sans
compter les desserts "sfériéss" sorte de petits beignets au miel que
chacun dégustait à l’envi.
La
consommation à Pessah de produits manufacturés n’était pas tolérée par
les plus observants qui ne buvaient leur café qu’en prenant en bouche
une datte bien mielleuse qui servait à sucrer chaque gorgée du breuvage
chaud et corsé. Le café d’ailleurs était acheté vert et les ménagères le
torréfiait à la maison puis on le moulait à la main dans ces vieux
moulins à café en bois que l’on coinçait entre les cuisses tout en
tournant la manivelle pour recueillir la fine poudre odorante dans le
petit tiroir. La maîtresse de maison enfermait ensuite le café finement
moulu dans un pot de conserve en verre muni d’une nouvelle rondelle de
caoutchouc.
A
l’époque il n’y avait pas encore de fer à repasser électrique ni à
vapeur dans chaque maison, on disposait pour le repassage de petits fers
à repasser en fonte que l’on mettait à chauffer soit sur des braises ou
sur un "primus" ou encore sur le gaz (dans les maisons modernes).
Pour ne pas tâcher les vêtements avec la semelle du fer qui avait
noirci sur les braises ou sur le gaz, on disposait un tissu légèrement
humidifié (la pattemouille) sur le vêtement à repasser et la vapeur
s’échappait du tissu humidifié au contact de la semelle chaude du fer en
fonte.
Parmi
les invités on comptait bien sûr les proches : ma grand-mère et sa sœur
qui nous avait tous élevés, des oncles, tantes et cousins mais aussi
des personnes étrangères qui étaient seules ce soir où les gens en
général festoyaient en famille ou entre amis. Beaucoup plus tard,
cinquante ans plus tard, je perpétuai la tradition mais, par la suite,
me retrouvant moi-même seule, j’eus recours aux fêtes organisées dans
des hôtels.
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