mercredi 20 avril 2016

Extrait de ECRIRE POUR EXISTER ou EXISTER PAR L'ECRITURE que j'écris actuellement.



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Simon, reporter photographe, blessé pendant la guerre de Kippour écrit pour exister autrement. Mais écrire quoi ? Après de multiples quêtes, la conquête de l'Algérie à travers trois personnages : Diégo l'espagnol, Luigi l'italien et Eléazar le juif.

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Depuis l’enfance, l’ironie de Simon faisait mouche à tous les coups sur son ami qui ne trouvait la parade que par un "Va te faire" qui signifiait "Va te faire voir chez les Grecs". Mais à présent, elle n’avait pas de prise sur lui car elle démontrait que Simon demeurait, sous sa tristesse apparente, le même plaisantin qu’autrefois. Il fallait simplement gratter l’écorce pour que réapparaisse le garçon enjoué et rieur sous le soleil d’Alger.
Lorsqu’à nouveau, sa chambre se tamisait de silence, la machine à écrire lui parlait d’autrefois.
Les murs de sa prison lui fredonnaient la douce complainte de la solitude. Alors pour ne pas sentir sa déchéance, il écrivait. Phrases mises bout à bout, sans ordre ni consistance, phrases à retravailler, idées en l’air et, lorsque l’inspiration le bousculait, il poursuivait son roman qui commençait à prendre tournure. Ses personnages étaient bien plantés ainsi que le décor, l’intrigue lui paraissait intéressante sans pour cela le satisfaire tout à fait, mais cela viendrait au fur et à mesure que se dérouleront les agissements des trois héros.
Une famille italienne de Torre Del Gréco dont le mari coiffera les premiers colons transalpins, une famille espagnole majorquine, de forte lignée de savetiers et une famille juive ancrée dans ce pays depuis l’inquisition médiévale, des destinées qui se croisent, s’apprécient, se haïssent, pour finalement se réconcilier sous le drapeau tricolore
Pour l’heure, la seule préoccupation commune se limite à mieux manger qu’à Alicante, Palma, Tolède ou Naples d’où sont issus les premiers arrivants.
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Diégo Agullo, natif d’Elche, sera fabricants de savates en toile –spadégna- comme le faisait son père et avant lui son grand père. Il ramène dans ses maigres bagages le savoir, la corde, la toile et quelques aiguilles pour perpétuer la tradition familiale. Il débute son activité auprès de ses compatriotes aux abords de la balseta. Là, autour du lavoir, on y parle valencien, alicantin, majorquin ou mahonnais et l’on se sent frères. On s’entraide dans la joie comme dans le malheur et, quand la nostalgie devient insupportable, on joue à la mora, on tape la ronda, alors qu’au loin, un air mélancolique égrène sur une guitare de deux sous aux cordes usagées, l’accent du pays.
Plus tard, il s’installera dans une petite échoppe de la basse casbah.
Luigi Garguilo sera coiffeur au pied d’un immeuble, sur une terrasse ou plus prosaïquement à l’intérieur de son appartement. La clientèle se recrutera auprès des amis, des voisins et des compatriotes qui ne font confiance qu’au ciseau napolitain. Plus tard, il ouvrira une échoppe minuscule qui lui prouvera que là est l’avenir de sa famille.
Quant à Eléazar Duran, il vit dans le vieux quartier juif de la casbah, la hara où il mêle son métier de menuisier à celui de matelassier. Il doit son autorisation de travailler à la bonté Hussein Pacha qui lui accorde un droit d’exercer pour services rendus. En effet, son art consommé de l’ébénisterie lui avait valu de devenir l’un des fournisseurs du dey.
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L’impétueux Luigi Garguilo avait rejoint son frère à Alger en 1831. Débarqué avec armes et bagages sous le soleil algérois, il fut immédiatement séduit par la blanche cité. Dès le premier jour, il sut que là était son avenir. Aussi, il écrivit à sa femme de le rejoindre avec ses deux enfants. Il lui semblait que la France était bien l’eldorado annoncé. Au bout d’une semaine, toute la communauté transalpine connut ce colosse à la voix de stentor et la moustache frémissante, adoré de sa clientèle et des oualiones du quartier, amateur de bel canto et des jolies cigarières qu’il suivait du regard lorsqu’elles passaient devant l’immeuble où il officiait. Il disait : « Mes yeux regardent alentour mais ne voient que ma maison. ». Son épouse, une brune napolitaine, tout feu, tout flamme, qui le rejoignit quelques jours plus tard, attirait tous les regards mais elle n’avait d’yeux que pour son premier amour. Lorsqu’il se promenait à son bras, ses deux garçons gambadant joyeusement à ses côtés, le roi n’était pas son cousin. Il remerciait le ciel et surtout son frère qui avait débarqué dès Septembre 1830 en ce pays qui ne demande que courage et savoir pour s’offrir à qui le désire. Deux mois, plus tard, la famille Garguilo emménagea dans une petite maison près de l’austère porte de Bab El Oued-porte du ruisseau- qui, à l’instar des cinq autres portes de la ville, constitue une forteresse inexpugnable pour tout envahisseur terrestre.
Luigi s’organise autour de la porte de la rivière
-bordj el zoubia-. Sa clientèle est fournie par les travailleurs essentiellement hispaniques des fours à chaux et des carrières. Elle vient s’ajouter aux espagnols qui vivent autour du lavoir-balseta- et des pêcheurs italiens qui chaque jour se rendent à la marine dans le quartier de la mosquée blanche-djemaa el djedid !
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Simon se lançait à corps perdu dans cette aventure littéraire. Aventure qui n’avait rien à voir avec l’épopée de ces aventuriers des temps modernes qui débarquaient dans les ports d’El Djezaïr mais qui néanmoins l’exaltait. Il avait besoin de croire en la valeur de ses héros avec, en point de mire, la réussite de ces gens partis de rien non pas pour chercher fortune mais pour offrir un avenir à leur descendance.
Il lui fallait affiner ses personnages, développer l’intrigue, insister sur la valeur et le courage au travail de ses trois héros, leur désir commun d’entrer, de plein pied, dans l’aventure de la colonisation en Algérie et, surtout, obtenir la citoyenneté, voire la nationalité française. Il en parlait rarement à ses frères, plus souvent à sa mère afin qu’elle oublie de se soucier pour lui.
--Tant que tu écris, mon fils, c’est que tu vas bien ! répétait-elle pour se convaincre de la guérison morale de Simon qui ne la démentait jamais en regard à son âge avancé. Mais, cette fois, il allait mieux. Bien est un bien grand mot mais sa torture s’estompait quand il écrivait. Il oubliait son handicap, si tant est qu’il lui était possible de l’oublier, mais écrire l’apaisait.
Raconter à travers l’histoire de trois familles la merveilleuse épopée de l’Algérie française en marche lui était d’un grand secours. Il s’identifiait à ses personnages qui luttaient contre l’adversité pour se faire une toute petite place au soleil. Se faire une place au soleil dans ce monde égoïste qu’il découvrait, ce monde nombriliste qui s’obligeait à fêter les nantis en détournant le regard sur la misère de l’autre, l’autre qui ne demandait rien d’autre que d’être considéré pour ce qu’il est et non pour ce qu’il parait.
Comment était-il avant l’accident ?
Son éducation d’enfant de la casbah judéo-arabe, de chitane de Bab El Oued l’avait façonné de la meilleure des façons. Du moins le pensait-il. Doutait-il de l’enseignement de ses maitres, de l’environnement familial et amical qui l’avait accompagné depuis tant d’années ? Aussi pauvre que l’on pouvait être, avait-il eu conscience de son ambition démesurée, qu’elle allait à l’encontre des principes que lui avait enseigné sa mère, sa ville, son quartier……quartier pauvre et besogneux, pourtant si heureux de communier à l’unisson de la grande France, fier d’avoir défendu la patrie en danger, oui, peuple heureux de vivre là où sont enterrés les pionniers qui se virent proposer un merveilleux challenge relevé avec enthousiasme. Simon était le descendant de ces hommes-là et, même, si ses ancêtres débarquèrent en ce pays en 1391, il se reconnaissait en ces hommes et ces femmes de méditerranée qui abandonnèrent leur terre natale pour tenter une aventure humaine extraordinaire. Extraordinaire parce que française !
Ecrire un roman en forme d’hommage destiné à trois héros, invisibles sans doute aux yeux de l’histoire universelle mais qui figureront dans la grande aventure d’un monde en mouvement. Ecrire pour rétablir l’humain dans ses droits, écrire pour témoigner avec l’encre de sa machine à écrire comme il avait témoigné avec son Leica. Mais raconter cette magnifique transhumance des hommes de méditerranée pour une terre inconnue afin de l’adopter lui parut une tâche plus exaltante, plus annonciatrice de joyeux lendemains.

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