mardi 1 mars 2016

extrait de MA MERE, MES TANTES, L'ALGERIE ET MOI de Hubert Zakine (sortie prévue le 2 ème semestre 2016)

MON EMANCIPATION

Je me souciais de moins en moins des recommandations de mes protectrices. J'étais devenu un grand, débarrassé de l'image trompeuse du petit enfant sage de l'école maternelle. Je redevenais alors, le petit voyou que je n'avais jamais cessé d'être comme tous les enfants de ma rue. Petit voyou dont nous affublaient les grandes personnes mais que nous ne méritions pas tant nous étions respectueux des lois régies par les adultes.
Orphelin de père, je le fus tout au long de ma jeunesse et chacun s'évertuait à me le rappeler. Si mon classement ne méritait pas le tableau d'honneur, je le devais à l'absence de mon père, si je me battais comme un chiffonnier avec un petit camarade, c'était sûrement parce que je n'étais pas éduqué comme l'aurait fait mon père etc......etc.....
La révélation de mon statut spécial d'orphelin m'avait ouvert la porte de la différence. L'absence du père me distinguait des autres enfants par un atout dont ils ne pouvaient se prévaloir. Moi, si ! J'étais solitaire sur l'île déserte des enfants abandonnés par le bon dieu. Cela m'offrait des avantages qui étaient refusés à d'autres.
Fort de de cette immunité familiale, je me laissais bercer au gré de ma fantaisie et surtout de ma fainéantise qui, toutefois, ne m'empêchait pas de suivre avec une désinvolte réussite ma première année d'école élémentaire. Malgré tata Rose qui me surveillait comme le lait sur le feu, je devins un des piliers du quartier. Les copains ne pouvaient commencer un match de foot sans ma présence. Je me sentais comme un poisson dans l'eau parmi les chitanes de mon quartier que les anciens appelaient toujours l'Esplanade.
Ainsi, au gré de mes amitiés, j'étais, tour à tour, le copain qu'on invitait à la maison, dans son équipe de foot ou au cinéma qui, pour l'instant, m'était interdit pour cause de deuil. Ces honneurs auraient pu me combler mais l'orphelin de père que j'étais, sut faire la part des choses en ne prêtant pas trop d'attention à ce privilège. Demeurait l'amitié des rues et cela me suffisait.
Malgré tout, le chagrin s'insinuait en moi car je ressentais chaque jour l'absence du père. Ne plus entendre son sifflet dans l'escalier, ne plus courir dans le couloir pour lui ouvrir la porte, ne plus le voir reposer dans la chaise longue du balcon et profiter de la douceur d'une nuit d'été, dans son tricot de peau ajouré, ne plus se retrouver le soir, entre hommes, comme il se plaisait à répéter, jouer en tête à tête, à la belote, instants précieux qui soudain resurgissaient et me révélaient ma fatalité orientale personnelle. Mon père était parti pour ne plus jamais revenir. Il me fallait vivre avec cette douleur permanente et ne pas la montrer. Jamais plus qu'à ce moment-là, je mesurai l'abnégation et le courage dont faisait preuve ma mère.
Me manquait l'admiration que ressentaient mes copains lorsqu'ils évoquaient avec amour ou crainte la parole du chef de famille. Tout l'amour dont m'abreuvaient mes femmes avait besoin d'être contrebalancé par l'autorité paternelle mais je sentais, tout au fond de moi, que mon éducation reposait essentiellement sur le sable mouvant des contradictions des sœurs Azoulay.
Ma mère aussi me manquait. Le dimanche était le seul jour où je profitais de sa présence et je détestais leur intrusion à notre repas dominical. Elle avait beau m'expliquer que la visite de ses sœurs partaient d'un bon sentiment, je raisonnais égoïstement car je la voulais toute à moi. N'ayant d'autre alternative, je m'enfermais dans ma chambre et écoutais, en sourdine, l'émission « sports et musique » de Georges Briquet, dérangé, toutefois, par le flot ininterrompu du bavardage des femmes de la famille. Jusqu'au moment de rejoindre les copains revenus du cinéma ou du stade dont je n'avais pas le droit de fréquenter pour la simple raison de n'être pas accompagné d'un adulte. Ce dont se dispensait aisément mes amis qui n'avaient qu'une seule mère. L'école et la rue m'invitaient, non pas à oublier, mais à tamiser mon chagrin afin d'honorer l'enfance.
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MAUVAIS ESPRIT
Depuis que tata Rose s'occupait de moi, mon mauvais esprit me détournait de la vérité en me faisant croire que ma mère se dédouanait de son absence auprès de moi par un surplus de consignes sécuritaires. Mauvais esprit ou réalité, toujours est-il que, depuis la perte de mon père, un simple rhume la saoulait d'inquiétude. Mes tantes étaient contagieuses. Elle, qui, jadis, disputait ses sœurs pour me lâcher la bride sur le cou, la voilà qui sursautait à chaque raclement de gorge de son fils. Comme ses sœurs se voulaient le rempart contre la maladie, la moindre bosse prenait des allures de catastrophe nationale.
--Tu crois pas qu'on a eu notre compte avec ton père ? Me grondaient mes tantes quand je ne respectais pas leurs consignes draconiennes. Qui les entendait pouvait croire qu'elles avaient perdu leurs maris. Le malheur de ma mère était le leur. Elles oubliaient simplement que mon père était le mari de ma mère. Égoïstement, elles faisaient un transfert affectif qui me sidérait. Quelle soient peinées, je n'en doutais pas mais dans mon petit cerveau, je trouvais quelque chose d'indécent dans leurs lamentations. Je n'imaginais pas que leur douleur puisse être réelle. Et surtout que ce chagrin s'ajoutait à celui qu'elles éprouvaient pour leur sœur.
Ma mère, seule, avait le droit d'éprouver du chagrin. Et si elle ressemblait chaque jour un peu plus à ses sœurs, je lui pardonnais bien volontiers ce virage de mentalité. J'acceptais ses inquiétudes de mère d'Algérie car je n'y voyais qu'une grosse dose d'amour alors que, de mes tantes, je ne décelais qu'un empêchement de tourner en rond. La jeunesse croit tout savoir sans n'avoir jamais rien appris !
Du jour au lendemain, ma mère décida que je ne devais plus porter le deuil. Tata Rose avait compris la première que ma jeunesse avait besoin de liberté. J'aimais beaucoup cette femme qui avait su dompter sa rancœur sans le faire payer aux autres. Au contraire, sa douceur avait été multipliée par le décès de mon père. D'un simple sourire, elle savait me calmer. En me laissant descendre en bas le jardin, elle se contentait d'un chof assorti d'un doigt écarquillant son œil pour que je comprenne ses recommandations muettes. Notre complicité me comblait. Chaque semaine, elle récompensait mon assiduité à lui faire ses commissions par des jeudis cinématographiques qu'elle était heureuse de m'offrir.
Ce qui ne plaisait pas à ses sœurs.
--Tu le gâtes trop !
--Il faut toujours que vous exagérez ! Se défendait tata Rose.
--Tu vois pas que tu le pourris ! Renchérissait tata Irène
--Sans compter qu'il ne va pas connaître la valeur de l'argent si tu lui donnes tout ce qu'il veut ! Ajoutait tata Cécile
–Je vous en prie, une place de cinéma, ça va pas le pourrir ! Le pauvre, depuis six mois, il a respecté le deuil alors que ses copains...........
--C'est normal qu'il ait respecté le deuil de son père !
Et il en était ainsi tous les jours ! Jamais d'accord mais cette fois, j'étais l'enjeu du désaccord. Et il me fallait l'assentiment des trois sœurs pour que je puisse rejoindre les amis devant le cinéma du jeudi après-midi. Je prenais mon mal en patience pour ne pas ajouter du tourment à ma mère et, il faut bien le dire, pour faciliter la tâche de Tata Rose qui tentait de soulager l'orphelin qui ne se plaignait jamais. Accord tacite de deux accidentés de la vie qui se portaient secours sans même le savoir. Ma tante mesurait sans doute l'importance de son indispensable présence auprès de moi mais, distrait par l'école, la rue et premiers émois amoureux, je naviguais à vue sans me rendre compte que j'apportais mon onguent au moulin meurtri de son cœur.



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