samedi 26 mars 2016

Extrait de ECRIRE POUR EXISTER de Hubert Zakine





Jacky, son ami d’enfance, qu’il n’avait pas revu depuis la guerre d’Octobre 73 venait d’arriver d’Israël pour assister aux obsèques de son oncle.

Sa première visite fut pour Simon. Retrouvailles teintées d’amertume. Ils déjeunèrent avec Roland.

--Mais tu ne crois pas que de raconter l’Algérie, risque de t’éloigner non pas de la guérison, mais de la possibilité d’accepter le nouveau toi, comment dire euh…. de te remodeler une………

Simon lui coupa la parole en prenant bien garde de ne pas le froisser.

--Oui, en un mot comme en cent, tu voudrais que je ne sois plus moi ! Tu voudrais, et tout le monde avec toi, que je me transforme en un zigoto que je ne reconnaitrais même pas. Déjà que j’arrive tout juste à supporter ma propre image quand je me vois dans une glace…….

--C’est pas ce que je dis ! Tu vois, tu déformes…….

--Je déforme rien, Jacky ! Tu vois pas que c’est moi qui suis déformé et tu voudrais que je déforme en plus tes propos !

Jacky comprenait le drame de son ami. Il mesurait ce qu’il endurait. Alors, il se tût. C’est Roland qui prit le relais.

--Tu vois Jacky, Simon fait ce qu’il peut pour se sortir de ce guêpier. Il écrit pour penser à autre chose qu’à son handicap car, si pour  nous, il est toujours le même, pour le reste du monde, il est un handicapé…… Alors, doucement, doucement, il avance. Un pas en avant, deux pas en arrière ou le contraire mais il s’est donné une année pour réussir à redevenir quelqu’un aux yeux des autres.

--Quand même, pourquoi s’attarder à ce que pensent  les autres ? Seuls l’avis de ta famille et de tes amis comptent !....... Au fait, et ta fiancée, tu m’en as pas parlé ? S’étonnait Jacky qui ignorait que la belle avait déserté les rives de l’amour.

--C’est fini ! Elle m’a laissé tomber comme une vieille chaussette ! Soit disant, elle m’aimait.

--Oh putain !..... Et comment, elle a eu le courage de te lâcher juste au moment où tu  en a le plus besoin ! ………et comment, tu le prends ?

--Et comment tu veux que je  le prenne ? Je m’en fais une raison même si la raison parfois prend les couleurs de la folie. J’essaie d’oublier mais ça fait un mal de chien !

--Putain ! Il te manquait plus que ça !

Roland reprit la parole après avoir terminé sa pizza. Il s’adressa à Jacky qui était tout à la fois son ami et son cousin par la parenté de leurs mères qui étaient sœurs.

--C’est pour ça que je lui ai conseillé d’écrire son mal de vivre ! ……Il préfère parler de là-bas, de Bab El Oued, d’Alger. Alors va pour là-bas ! Le tout c’est qu’il pense à autre chose qu’à son handicap.

--Purée, vous êtes bons, tous les deux!   Comment oublier mon bras déchiqueté et ma jambe qui ressemble à tout sauf à la jambe du sportif que j’étais. Tu rigoles ou quoi ? Je peux pas oublier! Vivre avec, je peux  même si c’est pas facile tous les jours.

Ils prirent congé de Simon et en le raccompagnant, Roland précisa sa pensée.

--Il faut l’encourager et si ses écrits ressemblent à du pipi de chat, il faut lui dire que c’est bon !

--Oh, tu crois qu’il est devenu con ? Si  ça casse pas trois pattes à un canard, Il le saura avant nous. Tu as lu ce qu’il a déjà écrit ?

--Ouais mais comme il le dit lui-même, c’est qu’une ébauche !



Quand le ciel se couvrait de rides hivernales,Simon s’enfermait dans sa prison personnelle.

Le silence devenait, alors,  son complice. Assis à l’intérieur d’un café, il regardait le déluge s’abattre sur sa vie. Dans la salle enfumée par quelques braillards tirant sur leurs pipes recourbées, il écoutait le clapotis des gouttes sur l’auvent sans faire attention au brouhaha qui l’environnait.

Il pensait le moins possible.

Il essayait d’oublier celui qu’il fut afin de           faire la paix avec lui-même. Oublier celui qu’il fut et qu’il ne sera  plus. Oublier  le miroir aux alouettes. Adopter le nouveau Simon. Sans cela, point de salut.

Parfois, son pays, son quartier, sa maison caressaient sa mémoire. Le bonheur entrait, alors, sans façon dans son univers, le violait pour un instant de volupté. Des images bienheureuses effleuraient son passé, petite blonde au regard violent qui traça le sillon d’un amour d’enfance,  bar misvah, entouré de sa famille, de ses amis, de ses chers disparus, cabanon maritime au soleil d’été qui lui offrit  sa première  expérience dans les bras d’une jolie sirène, -enfer ou paradis-, il se le demande encore. La vision d’autrefois lui apportait des souvenirs effacés de sa mémoire. Vision trouble, images pastelles aux senteurs  de méditerranée. Réminiscences d’un monde disparu qui renaissait chaque soir à la tombée de la nuit. Qu’il chassait en allumant le bouton de l’étrange lucarne qui lui renvoyait le spectacle d’une actualité dont il s’était exclu.

Plus rien ne l’intéressait. Il manquait d’envie. Il lui arrivait souvent de sombrer dans une douce mélancolie. Mélancolie d’un passé qui lui collait à la peau, qu’il ne parvenait pas à envoyer balader d’un revers de main, Alger, Suzy, son métier de photographe, son handicap, c’était beaucoup trop pour un seul homme.

Il préférait s’isoler, loin des gens bien portants qui amplifient leurs petites misères  en oubliant qu’à leurs portes, d’autres angoisses  existent.

Chacun pour soi et  Dieu pour tous était leur leitmotiv.



Et pourtant, sa machine à écrire s’emballait parfois pour un souvenir de jeunesse qui lui ravissait le cœur. Une empoignade l’attirait irrésistiblement vers le paradis des années perdues et sa mémoire remontait allègrement le fleuve de l’insouciance. Avant que la source ne se tarisse, il voyageait, le cœur léger, en pays de nostalgie à la recherche d’instants dispersés dans les méandres de ses souvenirs. Lorsque la montre du temps passé s’arrêtait, il redevenait l’homme au corps mutilé et au cœur blessé.


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