La
religion était quelque chose de sacré pour qui ne désirait pas prêter le flanc
à la débandade collective que subit la communauté française d’Algérie. Depuis
le rapatriement, la famille s’était recroquevillée avec une seule idée en
tête : conserver l’unité en attendant des jours meilleurs. Déjà présente à
Alger, la religion avait cimenté le clan Saada afin de conserver une identité
de vue sur l’idée que les fêtes, comme à Alger, seraient autant d’occasion de
se réunir. Un soir de shabbat, Prosper
Saada se fendit d’un petit laïus pour la seule et unique fois sur
l’importance de la famille.
--Dans ce pays, il faut avoir le cœur bien accroché et
la volonté rivée au corps pour empêcher une
dispersion de la famille. La transmission orale ne peut s’opérer
qu’autour de la table du Shabbat et c’est la raison pour laquelle, j’exige la
présence de tout le monde le vendredi soir. Et je n’admettrais aucune excuse……
pour quelque raison que ce soit !
Et
chacun fit sienne la devise tous
pour un et un pour tous pour le plus grand bonheur de la maitresse de
maison. Ainsi se déroulait la vie de la famille Saada entre famille, mémoire et religion.
Guy,
l’ainé de la fratrie Saada coulait des jours heureux auprès d’une amie d’enfance
qu’il avait épousée en 1961. Suzy lui avait donné deux garçons, gâtés par des grands-parents gâteaux. Doté
d’une belle réputation auprès d’une clientèle triée sur le volet, il avait
refusé le poste de directeur d’une clinique du 16ème afin de ne pas
devenir esclave de son métier.
Jacky,
le cadet, commençait à se tailler une belle renommée dans le milieu judiciaire.
Avocat, il était parvenu à décrocher
deux affaires très importantes menées en main de maitre jusqu’au dernier round
qu’il avait remporté. Depuis, il était considéré comme la valeur montante de la
justice d’affaire à Paris.
Muriel,
son épouse qui avait mis au monde deux filles, attendait un troisième enfant
qui serait, à n’en pas douter, le garçon tant espéré par le père et les
grands-parents.
Edith,
la sœur cadette, avait épousé un ami d’enfance dont les parents possédaient une bijouterie boulevard
des italiens. Autant dire qu’elle se contentait d’élever ses deux garçons
tandis que Sonia, sa petite sœur, était
célibataire car, disait-elle, elle ne pouvait mener de front une vie familiale
et une vie professionnelle. Tout au moins jusqu’à présent. A 29 ans, elle
semblait prête à franchir le pas qui mène au mariage. Elle fréquentait un
garçon de la communauté rencontré lors d’un mariage et semblait-il, le déclic
s’était opéré ce jour-là.
Samuel,
Sam pour les intimes, joueur quasi professionnel à ses heures, vivait de l’air
du temps sans se soucier des apparences. Il adorait flâner dans les rues de
Paris à la recherche d’un regard féminin. La solitude lui convenait
parfaitement. Il pouvait laisser libre cours à son penchant pour les
bouquinistes de la Seine ou déambuler au jardin des Tuileries et rester des
heures à regarder les bambins nourrir les moineaux de Paris sous les yeux de
leurs jeunes et jolies mamans. Mais quand le froid le paralysait, il retrouvait
des amis algérois au café de la rue des petites écuries ou sa jolie maitresse
pour un après-midi de débauche au creux d’un lit dévasté.
Jusqu’à
ce jour du mois de mai, où la chance lui tourna le dos. Alors que tout lui
réussissait dans sa vie de bohème, la superstition lui annonça que la fête
était finie.
Tout
commença lorsqu’Inès, la maitresse de Sam lui annonça le départ de son mari
pour un poste aux Etats Unis.
--Tu n’as qu’un mot à dire et je reste !
--Tu restes ? Et ton mari, tu le laisses partir
seul ?
--Pourquoi pas ?
--Tu divagues ou quoi ? Tu penses qu’il accepterait
que sa femme vive à Paris et lui à …… ?
--Washington ! Il acceptera! Affirma Inès
avec force persuasion.
--Il peut également te flinguer ! Ajouta Sam.
--Penses-tu! Tu ne le connais pas ! Il est prêt à
tout pour sa carrière ! Pas pour sa femme !
--Je ne veux pas être celui par qui le scandale
arrive. Tu prendras tes responsabilités toute seule comme une grande.
--Tu ne tiens pas à moi ! Regretta Inès peinée de la réaction de son amant.
--Si, je suis très bien avec toi mais tu me
connais, je suis attaché à toi mais je ne veux pas être ligoté par mes sentiments. Je suis comme
ça, c’est à prendre ou à laisser.
--Jusqu’au jour où tu te feras attrapé par une
demoiselle.
--Il n’est pas venu ce jour. J’aime trop ma liberté.
Et puis, de toi à moi, tu es mariée et tu es libre comme le vent
Alors ????
--Si je te comprends à demi-mot, tu préfères que je
reste en France sans t’ennuyer avec mon amour ?
--Garder mon libre arbitre, voilà ce que je
veux !
--Et moi, dans tout ça ?
--Toi, tu as le choix ! La raison ou le
cœur ?
Inès
regarda Sam droit dans les yeux, afin de le jauger et lâcha.
-- Tu me laisses le choix ? Elle plissa ses jolis yeux bleus ……Alors, ce sera le cœur plutôt que la
raison ! Lança-t-elle, comme un défi.
--Comme tu veux !
Sam
n’osait se l’avouer mais considérait que le choix d’Inès lui importait bien
plus qu’il ne le laissait entrevoir. Toujours son indépendance qui finirait, un
jour ou l’autre, par lui laisser des cicatrices au cœur !
Inès
faisait partie de ses nombreuses conquêtes. Sans se prendre au sérieux, il avait
papillonné de fleurs en fleurs sans trop se poser de questions. Depuis quelques
mois, Inès lui procurait, des instants de plaisir incomparables et le train de
sa vie dissolue paralysait le trafic de ses sentiments.
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