lundi 8 février 2016

Extrait de LE SOUFFLE DU SIROCCO de Hubert Zakine (à paraitre)

 
A ce moment, mu par une envie irrépressible de chanter, Richard entonna "Sous un ciel orangé" de Jean Marco que reprirent en chœur les amis soudain ragaillardis. Paulo ne fut pas le dernier à pousser la chansonnette. Tout le répertoire de ces années 50 qui berça leurs tendres années y passa, leur rappelant des tranches de vie familiales où les mamans fredonnaient dans leur cuisine. Heureux temps d’une jeunesse éreintée à taper dans un ballon.
Paulo s’étira en élevant ses bras vers les cieux. Comme une prière, sa voix se fit soudain suppliante. La réalité venait de le rattraper.
--Putain de sa mère à cette maladie ! Quand je vois combien, la vie peut être belle entouré des amis et de la famille, elle aurait pu me foutre la paix !
Afin de ne pas verser dans la mélancolie et distraire Paulo de pensées noires, Jacky reprit l’Oriental d’Enrico Macias en tapant dans ses mains :
--Et l’on m’appelle l’oriental…….le brun au regard fatal…..
Au son de cette musique endiablée, Victor exécuta une danse orientale pachydermique qui dérida l’atmosphère en entrainant ses amis dans une sarabande qui dura une bonne partie de la nuit. Ce fut l’occasion de se souvenir de ces bouffas tant prisées par la jeunesse du faubourg qui faisaient la nique aux surprises-parties des autres quartiers.
--Comme y disait mon père, les surprises parties c’était grand genre et p’tits moyens. Beaucoup trop sélect pour des oualiones comme nous. Rappela Roland qui n’avait pas oublié la langue de Cagayous, personnage mythique de Bab El Oued, malgré ses années américaines.
C’était à celui qui se souviendrait le plus de ce passé qui leur collait encore à la peau.
--Putain, et le bal du jardin Guillemin ! Rappela Richard.
-- Oh, purée, moi je repense au radio-crochet du 15 Aout, quand on inscrivait les copains sans qu’ils le sachent. La rigolade ! Surtout, les copains qui n’en touchaient pas une en chanson ! Paulo entra dans la ronde du souvenir sans état d’âme.
--Dès qu’ils entendaient leurs noms, ils savaient plus où se mettre et nous, comme des samotes, on les montrait du doigt au présentateur! Alors, obligé, ils montaient sur la scène, vert de honte mais ils montaient.
--Purée, c’était le bon temps ! Rien qu’on pensait à rigoler. Confia Victor.
La mimique de Paulo approuva sans un mot le regret de Victor. Comme des moulins à paroles, les amis évoquaient leur enfance avec au fond des yeux une certaine mélancolie parfumée de désespoir. Comment pouvait-il en être autrement lorsque la vie ne tient qu’à un fil?
En puisant à la source de la terre natale, ils s’apercevaient qu’il suffisait d’un mot, d’une expression de là-bas, d’une odeur de soubressade pour que renaisse la magie du souvenir. Roland, esseulé en Amérique, qui avait enfoui, tout au fond de son jardin secret, mille épisodes de sa vie algérienne avait rajeuni de vingt ans. Il avait suffi de deux jours pour que son enfance lui explose en plein visage. Il en était heureux mais songeait aux lendemains qui déchanteront avec l’ombre de Paulo qui planerait au-dessus de son odyssée américaine. Le cœur à la dérive, Jacky assistait au défilé du souvenir sur l’avenue des bons copains. Paulo n’était pas dupe. Ses amis souffraient. Faire semblant, biaiser, feinter ne rimait pas avec amitié. Il était d’autant plus reconnaissant de cette imposture qu’il connaissait le sentiment qui les unissait. Dans la moiteur de cette nuit méditerranéenne, son regard se posait sur chacun. Il aimait ses amis. Un sentiment proche de l’amour sans démonstration équivoque. S’il se laissait aller, il se jetterait dans leurs bras, les embrasserait à en perdre haleine, mêlant les larmes et les rires, donnant un sens à cette commedia dell’arte aux accents de Bab El Oued. Mais l’affection des gens de ce pays n’osait pas dire son nom, retenue par pudeur presque maladive d’exhiber sa sentimentalité. Et pourtant, ils avaient osé. Telle une charge de la brigade légère, ils avaient galopé à bride abattue pour porter secours à un ami sans se poser d’autre question que celle de connaitre la raison de cette aventure si loin de chez eux. Oui, c’était cela l’amitié ! Se comprendre sans un mot, sans un regard, une simple mimique, un tape cinq, une grande claque dans le dos pour se dire bonjour, faire mine d’un désaccord afin de continuer la discussion, rire ensemble de tout et de rien, et pardessus tout partager les bons comme les mauvais moments de la vie. Ils avaient répondu présent au pire moment. Aujourd’hui, il savait pourquoi l’amitié s’était immiscée dans leurs jeux d’enfants. Pourquoi eux et pas les autres copains de la rue, de l’école ou du jardin ? L’amitié les avait reconnus, tout simplement !

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