vendredi 26 février 2016

Extrait de "ECRIRE POUR EXISTER" que j'écris actuellement


Sam se demandait alors s’il se comportait de la sorte lorsqu’il faisait partie des bien-portants, des vivants, des nantis. Ceux qui marchent droit dans leurs bottes, ceux qui prennent la vie à bras le corps, qui chantent l’espoir sur tous les tons et qui empruntent la route enchantée qui mène au bonheur.          
Sans doute.  Pensait-il trop à son métier, à sa carrière, sans un regard pour l’autre, trop  préoccupé à photographier  la mort. Oui, il faisait partie de ce monde qui détourne le regard pour ne s’intéresser qu’à l’image  argentique. Lui, le petit pied noir de Bab El Oued, désirait vaincre le sort qui frappa son peuple. Alors, faire la nique aux professionnels parisiens, être reconnu de la presse nationale et parfois internationale, lui était indispensable. Son comportement ressemblait à une revanche. Sam était semblable à tous ceux qui recherchent leur vérité, à  prouver  une valeur que nul ne conteste. A s’offrir une expérience qui ne viendra qu’avec les années. Mais le temps court trop vite pour s’arrêter en chemin.
Il est trop tard pour philosopher. Trop tard pour refaire le chemin inverse. Sa mère ne disait-elle pas : il  faudrait deux vies. Une vie pour apprendre et une vie pour la vivre !
Seul dans sa tour d’ivoire, il lui restait tout le temps  pour emmagasiner ses souvenirs. Souvenirs d’une enfance lâchée dans les grands espaces des plages ensoleillées d’Alger et souvenirs de sa course effrénée à la notoriété.  Mais à présent, cette escalade vers les sommets lui laissait un goût amer sur les lèvres. Vivre intensément ne dure qu’un temps. Alors, penser à reculons. Faire tourner la ronde des heures dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
--Tu penses trop ! Lui reprochait Roland. Vis le moment présent pour pouvoir regarder le passé sans amertume ! Si tu te retournes trop souvent, tu oublieras de vivre.
--Oui, tonton ! Rétorquait ironiquement Sam. Tu parles comme un philosophe. Puis redevenant sérieux, il lâchait le fond de sa pensée. Aller de l’avant avec une seule jambe, je sais pas si tu le sais mais c’est pas facile et même, je peux te l’affirmer, c’est difficile. Laissons faire le temps car c’est mon plus sûr allié. Si je parviens à le dompter, ce que je doute, je pourrais entreprendre sinon, j’irais où le vent m’emmènera. Chez Tazz ou chez Azrine !
Cette expression effleurant des lieux imaginaires que les enfants d’Algérie employaient pour désigner un endroit improbable fit sourire les deux amis. Parfois, Sam oubliait son handicap pour redevenir l’enfant de Bab El Oued qui maniait la dérision à tout propos. Et cela  comblait d’aise Roland qui comptait sur leur complicité pour atténuer le malaise que ressentait son ami mais, au-delà de son engagement,  il savait que la vie ne peut attendre l’oiseau de toutes les couleurs qui lui redonnerait foi en l’avenir.
Il en parlait fréquemment avec son épouse qui fut la  voisine algéroise de Samuel et lui gardait une grande tendresse.  Elle imaginait combien la vie auprès d’un handicapé pouvait être compliquée mais faisait néanmoins le forcing auprès de ses  amies afin de leur présenter Sam.
--Mais tu me dis toi-même qu’il est handicapé !
--Handicapé, c’est un bien grand mot ! Une mine lui a esquinté le bras et la jambe !
--Une paille !
--Mais il a des qualités. Il était photographe de presse, il est pas mal du tout, intelligent, ……
Mais c’était toujours la même rengaine……il est handicapé, presqu’un pestiféré.
Lorsque, par hasard, Roland évoquait une rencontre avec une fille, Sam répétait invariablement : lâche-moi la grappe, va ! Il s’était fait à cette idée : il ne serait plus comme avant. Sa seule question : comment surmonter cette épreuve ? Pour qui et pourquoi…….  trouver une raison de vivre qui en vaille la peine …….
--Et pourquoi tu n’écrirais pas ? Lâcha Roland. Souviens-toi, tu avais toujours le premier prix de Français à Condorcet ! En plus, écrire avec un ordinateur, tu as besoin d’un doigt.
--Ouais mais j’ai pas l’âme de Victor Hugo ! Et puis écrire quoi ? La vie de Pépète en prison ! pensa-t-il en songeant à ce personnage Bab el ouédien sorti de l’imagination d’Auguste Robinet.
--Non, sérieusement, tu pourrais écrire des histoires de là-bas. Comme Marcel Pagnol avec la Provence.
--Bardah ! Rien que Marcel Pagnol tu as trouvé ! Et j’aurais le prix Goncourt ! Allez, arrêtes de dire des …balivernes !
Roland était satisfait. Sam reprenait du poil de la bête. Le mot balivernes en était la preuve. Petits, ils s’amusaient à tour de rôle, à chercher un mot savant pour dire des choses simples. D’ordinaire, il aurait dit : conneries !

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