Chapitre 1
Tout souriait à Sam. Des filles belles comme le jour, des amis à tous
les coins de rue, un métier de photographe qui lui faisait sillonner le
monde, une reconnaissance de ses pairs….. Tout souriait à Sam.
Il
était né sur l’autre rive de la méditerranée. Sur l’autre trottoir de la
France. Alger, ville européenne et orientale, avait bercé ses premières
années sous une lumière incomparable. A dix-huit ans, il avait dû
partir, la rage au ventre et le cœur à l’envers. Lui, le petit pied noir
avait dû se faire une place au soleil dans le milieu très fermé de la
presse parisienne. A grand coup de courage, il avait su relever le défi
de réussir à se faire une assez jolie réputation de photographe à Paris
Match. A présent, à l’orée de ses quarante ans, il était toujours
célibataire.
Tout lui souriait…………..
Depuis huit mois, son
cœur avait élu une jolie créature au corps de braise et au visage
d’ange……….une jolie femme de vingt-six printemps qu’il promit d’épouser à
son retour d’une guerre en Israël.………………Une guerre qui dura six jours
et qui ruina sa vie. Six jours avant l’accident………
Ce baroudeur des
temps modernes qui avait couvert tous les conflits de la planète en feu,
du Mali au Vietnam, des Malouines au Cambodge, d’Israël au Liban,
partout où la folie des hommes prenait le dessus sur la démocratie,
n’était plus rien. Plus rien qu’un pantin désarticulé.
Huit mois à
lutter contre la mort. Huit mois de souffrance inhumaine pour une
sentence implacable. Il ne sera plus comme avant. Un bras arraché et une
jambe atrophiée……….une grenade jetée à ses pieds……………..un reflex de
photographe………protéger ses Nikon et se jeter au sol…….trop
lentement……..et puis le vide. Un brouhaha incompréhensible, l’odeur et
le gout du sang……………..perte de connaissance……..et l’hôpital……et au
réveil, la déchéance.
La bousculade des proches, la sollicitude des
infirmières, la difficulté d’aligner trois mots, l’orthophoniste pour
réapprendre à parler, puis la sentence. Ne plus pouvoir marcher sans
l’aide d’une canne, ne plus se servir de sa main droite……….ne plus
pouvoir photographier………ne plus exercer son métier…… et la question qui
revient sans cesse : pourquoi s’être réveillé du coma, pourquoi ne pas
avoir été emporté par la bourrasque qui l’a jeté à terre ?
Et les
faux amis qui ont déserté la rive de l’amitié, sans un mot, sans une
explication le laissant désemparé. La solitude. L’effroyable solitude.
Envolée, la jolie fleur à épouser ! La blanche colombe s’est
volatilisée avant le retour du tourmenté. Serait-il contagieux ?
Serait-il pestiféré, bon à jeter aux chiens ? A entendre les
commentaires, il pourrait le croire.
La pente sera dure à remonter,
le traumatisme physique serait moins lourd à encaisser si l’amitié avait
résisté aux vents mauvais. Le moral plus bas que terre.
Un seul
ami, un frère d’amitié est resté. Un ami de la prime enfance. Roland
d’Alger, Roland d’autrefois, Roland pour partager les angoisses. Roland
qui le seconde, qui tente et parvient parfois à le faire rire en
souvenir du temps d’avant.
--Je suis sûr d’une chose, un ami c’est
celui qui rit au même instant que toi, pour les mêmes plaisanteries.
S’il rit avant ou après, s’il sourit seulement là où tu t’esclafferais,
il sera, tout au plus un, un copain !
Il parlait avec
l’orthophoniste qui avait compris qu’il aimait raconter son pays. Alors,
elle avait refermé son ordinateur portable et lui avait dit : je vous
écoute ! Et elle l’avait écouté. Car malgré une élocution difficile,
tout y passa.
Son enfance dans les rues de Bab El Oued, ses plages,
l’amitié qui débordait de partout, le pataouète, langage familier,
mélange d’italien et d’espagnol colorié de judéo-arabe, le voisinage
ensoleillé, la khémia sur une anisette et le départ.
-Vous ne parlez pas de la guerre ? S’étonna l’orthophoniste.
--Non, parce que vous n’êtes pas de là-bas. Et seuls les gens de là-bas
peuvent comprendre. Alors pour ne pas prêter le flanc à des discussions
oisives, je préfère garder mes sentiments ou mes ressentiments pour
moi.
--Je comprends !
--Tant de bêtises ont été écrites sur le sujet ! Tenta d’expliquer Richard sans toutefois vouloir se justifier.
Peu à peu, Sam reprenait des couleurs. Il avait compris que la lutte
serait permanente. Sa famille lui apportait le soutien nécessaire à
rester debout mais plus que le physique, le moral avait pris un sacré
coup derrière la tête. Ses relations se comptaient à présent sur les
doigts de sa seule main valide. Pourtant, malgré leurs occupations, ils
se mettaient en quatre pour lui venir en aide.
--Je viens te chercher pour aller au stade !
--le 14 mai il y a un repas des anciens de Bab El Oued !
A toutes ces invitations, il répondait invariablement par un refus. Il
ne voulait, en aucun cas, être tributaire des autres, être celui qu’on
trimballe au gré des occupations, il ne désirait pas être l’empêcheur
de tourner en rond.
--Mais ça nous fait plaisir !
Sûr que
l’intention était bonne mais il voulait rester maitre de son destin.
Maitre de sa solitude. Ne pas importuner les autres devint son
leitmotiv. Mais il ne désirait pas davantage être celui par qui le
scandale arrive…..
Rester le seul esclave de son calvaire. Rester seul par choix.
Sa mère, l’angoisse rivée au cœur, avait beau le sommer de plébisciter
la vie, il n’en démordait pas, il adoptera la solitude pour unique
compagne. Pourquoi feindre, pourquoi se plier aux convenances des
autres, hormis celles de la famille. Il ne désirait surtout pas heurter
sa mère qui avait reçu un coup de poignard en apprenant l’accident de
son fils.
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