dimanche 13 décembre 2015

Extrait du COIFFEUR DE BAB EL OUED que je termine ces jours-ci

--Edith, tu m’aimes ?
Elle se love contre moi. Face à nous, le soleil, il est rouge de honte. Pourtant, on a jamais été aussi sages. La terrasse c’est notre refuge. Notre nid d’amour presque chaste.
--Je t’aime, je t’adore, je te veux comme époux !
Ouah ! La classe !
--Seulement comme époux ? Je me veux tentateur.
--Comme tout ce que tu voudras ! En se collant contre moi. Je sens sa poitrine me traverser.
--Et si on arrêtait une date pour nos fiançailles ?
Plus je parle et plus elle est désirable. Jolie et désirable. Je l’aime !
Mes mains font plus ample connaissance avec sa féminité.
Elle est prête à franchir le Rubicon mais je freine son désir afin de respecter les convenances. Attendre le mariage pour m’offrir la preuve de son amour.
On redescend sur terre en quittant la terrasse. Elle demande à ses parents de nous rejoindre chez moi, ma mère et mes frères s’attendent à l’officialisation de nos fiançailles.
--Voilà, avec Edith, on voudrait se fiancer le plus tôt possible pour se marier très vite !
--Bouh, mon fils, tu as déshonoré cette petite !
Le rabbin s’apprête à m’étrangler. Mes frères ont l’air d’assister à un film comique.
--Mais non, man ! Mr Oualid, Mme Oualid, j’ai l’honneur de vous demander officiellement la main de votre fille. Et je n’ai pas déshonoré Edith, je la respecte trop, et je vous respecte trop pour vous décevoir !
--Papa, je suis vierge ! Ajoute Edith.
Ma mère elle est aux anges. Son fils, il épouse la fille d’un rabbin ! Tout Alger, y va le savoir. Si elle en avait le pouvoir, elle l’annoncerait à Radio- Alger. Purée, si ses sœurs elles relayent la nouvelle, toute la ville, elle sera au courant. Et pas moyen de passer au travers parce que si j’ai le malheur de demander qu’on tape un mariage en catimini, bouh, j’aurais droit à des lamentations que même le kotel, il en a pas connu de pareilles ! (Comme les lecteurs y sont pas forcément au courant que le Kotel c’est le mur des lamentations en Israël, ça me coute rien de le préciser ! Et toc pour les ignares, mes amis compris ! Zarmah, je suis un savant !)
Je revois ma mère à la distribution des prix de l’école Rochambeau me féliciter pour mon prix de français en répétant à qui voulait l’entendre : c’est mon fils. Je la vois d’ici en faire des tonnes avant, pendant et après mon mariage.
--Je marie mon fils ! Le bebesso à sa mère ! Avec la fille d’un rabbin, ma fille, tu t’rends compte ! Cinq et dix et quinze et vingt!
Mais, le plus important pour moi, c’est qu’elle soit heureuse ! Sa vie n’a pas été toujours rose, avec mon père qui est parti à la guerre sitôt marié et qui est décédé en 1947. Veuve à trente-six ans, elle a reporté tout son amour sur ses trois fils et voir leur réussite la comble de bonheur.
Bab el Oued se réveille avec la langue bien pendue. Dans les cafés et sur les marchés, çà suppute un maximum. Les nerfs y sont mis à rude épreuve. Y en a même qui parlent de s’engager pour faire un sort aux fellouzes. Et d’autres qui racontent des tchalefs. Bozambo, il invente. Zarmah, le jour de l’attentat au casino de la corniche, il avait l’intention d’y aller mais sa moto, elle a pas voulu démarrer. Juste ce jour-là, y nous prend pour des Américains, ma parole !
Purée, qu’est-ce qu’il a entendu de la part des copains!
--Quel bloffeur !
--Jure sur la vie de ta mère !
--Laisse ma mère tranquille ! Raïeb, y se défend comme y peut.
Jacky, il en rajoute dans le sarcasme.
--Et moi, j’ai failli voyager sur le Titanic….
--Je vous jure que c’est ma moto….
--Arrête, ta moto elle a jamais marché.
Au point, qu’il se voit obligé de renoncer à devenir un héros.
--Allez-vous faire un amant, bande de calamars farcis !
Et comme à chaque fois, y me prend à témoin.
--Ils sont cons hein ?
On s’insulte, on se moque, on se dispute, on se fâche pour un temps, on se rabiboche jusqu’à la prochaine engueulade, c’est ça l’amitié à la vie, à la mort de Bab El Oued.
Le salon, c’est le rendez-vous de l’amitié d’enfance. On y trouve les mêmes plaisanteries, la même mauvaise foi, les mêmes fou-rires. J’ai l’impression en écoutant les amis qu’en ouvrant chaque jour, mon salon, je prends une assurance contre l’oubli etun bain de jouvence. Tous les jours que dieu fait, les amis y me servent sur un plateau d’argent un souvenir d’autrefois, une école, un coin de rue, un cinéma, un film que j’aie partagé avec eux. Et aussitôt, c’est le bonheur qui envahit mon univers. Une bagarre quartier contre quartier, une partie de ronda dans une entrée de maison, une fabrication collégiale d’une carriole, une rencontre de foot, c’est autant de souvenirs à emmagasiner pour la postérité. Et si parfois, j’ai le cœur à l’envers, la voix d’un ami me déride, sitôt franchi le seuil du magasin. On parle pas, on gueule, on sourit pas, on se fait une bosse de rigolade, on veut toujours avoir raison, garder le dernier mot pour conserver la main, on sait tout mieux que les autres, on est les plus beaux, les plus forts, les plus intelligents et malheur à la moindre contestation, en un mot comme en cent, tout est dans la démesure. Perpétuer l’enfance dans un petit salon de coiffure de trente mètres carrés, à l’intérieur des cafés du quartier, c’est la sublime victoire d’une troupe de chitanes de Bab El Oued mais j’oublie pas que je suis un chef d’entreprise. Par ici la monnaie ! Des amis, d’accord, mais également des clients et, pour les faire payer le jour même, c’est la croix, l’étoile et le croissant ! (c’est vrai pourquoi la croix et la bannière ?)
Alain, c’est celui qu’il a le plus d’oursins dans les poches mais comme il a une tignasse chebarène, obligé, je lui fais crédit pace qu’il passe sous la tondeuse deux fois par mois ou sinon, sa mère elle lui tape le carnaval.
A côté de ça, il y a les clients qui ont toujours peur de sortir du coiffeur fartasse, ceux qui s’en foutent du tiers comme du quart de leur bobine, d’autres qui se rappellent de leur jeunesse en récitant comme un leitmotiv c’était le bon temps. Et puis, il y a les pseudo-Adonis qui m’énervent à se contempler dans la glace sans parvenir à les ramener à la réalité. La vérité, j’aimerais mieux qu’ils aillent voir ailleurs si j’y suis, mais commerçant, je suis, commerçant, je reste !



J

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