vendredi 11 décembre 2015

extrait de mon dernier ouvrage LE COIFFEUR DE BAB EL OUED que je termine actuellement.

 
J’aurai pu passer de vie à trépas en ce dimanche de Pentecôte 1957.
Le Casino de la Corniche, superbe établissement qui surplombe la mer, est un dancing réputé d’Alger. Pour mon malheur, j’ai voulu offrir à Edith un après-midi de rêve.
La journée se déroule magnifiquement, bercée par la musique américaine de Lucky Starway, enfant de Bab El Oued. Trois heures de slows langoureux qui régalent les amoureux, entrecoupée de morceaux de jazz légendaire, tout pour passer un dimanche merveilleux. Edith est câline au possible, douce promesse d’un avenir radieux.
Mais l’heure tourne et on se prépare à quitter ce lieu paradisiaque quand une énorme déflagration secoue le Casino. Une bombe placée sous l’estrade vient de faucher des dizaines de personnes. Lucky Starway est tué sur le coup. Lorsque la fumée et la poussière des gravats sont retombées, je constate les dégâts. Huit morts. Quatre-vingt-un blessés. Edith est secouée mais grâce à dieu, elle était au vestiaire. On rentre dans un état second. Les sirènes des ambulances, elles nous accompagnent tout au long du parcours. Edith tremble. Je la confie à ses parents et je rassure ma mère. Mes frères y sont en bouffa à El Kettani.
Une petite plaie à la jambe me rappelle que si j’avais pas accompagné Edith au vestiaire, j’aurais morflé. Je suis passé belmot. Je navigue entre nos deux appartements. Je descends à la Grande Brasserie renseigner le quartier sur la mort de Lucky Starway. C’est un gros choc. Commerçant de l’avenue de la Bouzaréah, il était très apprécié autant pour sa musique que pour son amabilité. Ca nous fait tout drôle de parler de lui au passé.
Et les sirènes qui hurlent toujours. Raïeb, pour une fois que j’emmène ma fiancée danser au Casino de la corniche. Edith traumatisée et moi, complètement truch. Son père, le rabbin, rien qu’il prie. D’abord pour Lucien Serror alias Lucky Starway, le chef d’orchestre déchiqueté par la bombe, ensuite pour les morts, après pour moi. Total, une fois essuyé le sang, ma jambe elle est comme neuve. Et la famille qui rapplique à la maison.
--Lydia, y faut remercier le bon dieu qu’il ait rien. Il aurait pu y rester
--Laïstarna et qué, remercier le bon dieu ? S’il était si bon que ça, il aurait empêché cette bombe de malheur d’exploser.
--Ton fils, il est vivant, Lydia ! Y a que ça qui compte ! Pense aux parents qui ont perdu leurs enfants………
Le traumatisme, il a pourri nos esprits. Les obsèques, elles ont donné lieu à des ratonnades habituelles et puis la vie elle a repris le dessus. Que faire d’autre ? Se lamenter ? Ceux qui ont été touché dans leur chair, y garderont toute leur existence la brulure de ce dimanche de Pentecôte. Les autres, bon gré, mal gré, ils entament le long chemin de l’oubli. Pour ma part, je garde le souvenir de cet épisode douloureux pour moi afin de donner l’illusion de la sérénité.
Je boite un p’tit chouïa mais je m’aperçois que c’est plus psychique que réel. Petit à petit, Edith, elle redevient elle-même. Y parait que j’ai eu une chance de cocu. Quand je lui ai dit ça, elle m’a fait les gros yeux mais, quand même, quand même, elle m’a laissé batifoler avec ses tétés pour me prouver sa reconnaissance d’être sorti vivante de ce traquenard. Quand je regarde ma jambe, je remarque que l’empreinte de l’éclat, même pas on la voit. Dans ma rue, mon quartier, mon salon, je suis un héros. Purée, si j’avais été tué, ils m’auraient porté en triomphe ou quoi ? Quels babaos !
Edith, elle est aux petits soins avec le miraculé du quatrième étage. Quant à Rosa, presqu’elle me viole pour voir si je suis opérationnel. Je feins, je biaise, zarmah je suis traumatisé. Elle me prévient que si je lui donne pas satisfaction…….. Je t’en prie ! Trouve un autre galopin à éduquer. J’ai d’autres projets.
Purée, c’est facile les femmes mures. Pour casser avec les jeunes filles, rien qu’il faut ruser et mentir toute la sainte journée. Là, simplement, tu fais plus l’affaire, illico presto, elle te remplace ! Châ. Je suis libre. Je vais plus raser les murs en m’approchant de l’immeuble. Il est certain que son corps et ses jeux coquins y vont me manquer quelque temps mais quand on aime, on compte pas le temps qu’il faudra attendre. Mais je sais que j’aurais quelques compensations de la part d’Edith……….
 
Le mois de Juin, c’est le tour de France. Anquetil, Bahamontés et Nencini y se partagent les faveurs des pronostiqueurs de salon qui connaissent le cyclisme comme moi, je connais la choucroute alsacienne. Je me contente d’écouter les élucubrations des apprentis sorciers qui parient des sous sur chaque étape. Et à chaque étape, y se trompent. Riquelme, qu’il en touche pas une en vélo y remporte le concours avec sept bons pronostics. Attention les yeux ! Y va se prendre pour Georges Briquet. C’est que le Riquelme en question, rien qu’il se prenait pour un autre quand il était petit. Tout ça parce qu’il était indispensable dans notre équipe de foot si on voulait gagner contre les autres quartiers. Mais Riquelme y fait partie de mon enfance alors je lui pardonne tout ! Comme elle dit ma mère avec du miel dans la bouche, je suis une bonne pâte !
Rosa c’est fini. Bien sûr, elle m’a plaint d’avoir été blessé au Casino de la corniche mais je l’ai vite rassuré. Je lui avoué que j’étais amoureux d’Edith, presque fiancé et tout, et tout. Et tout et tout, ça lui a donné un coup de revenez-y mais malgré ma gobia, j’ai tenu bon ! C’est sûr que c’est pêché de pas profiter de son tempérament de feu mais Edith m’a laissé entrevoir des qualités insoupçonnées lors de nos balades sur la terrasse de notre immeuble.

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