mercredi 30 décembre 2015

Extrait de : "ET NOS RACINES S'ENFONCERONT SOUS D'AUTRES CIEUX " de Hubert Zakine.

Extrait de : "ET NOS RACINES S'ENFONCERONT SOUS D'AUTRES CIEUX " de Hubert Zakine.
Je ne sais plus quoi faire. Ne plus penser. Ne plus entendre. M’isoler pour ne plus voir l’avenir. Heureusement que la mer est câline avec ses enfants d’Outre-Méditerranée. Je m’assieds à l’ombre de l’unique cheminée du Ville d’Oran. Je ne vois que la mer. C’est beau pourtant, la mer.
Vite que ce voyage se termine. Que l’on devienne des exilés dont la seule faute fut de croire les politiciens. Jamais, je ne ferais confiance à des hommes dont le seul but est le pouvoir sans s’occuper des petites gens.
Je suis abattu. Je me promets que si je reste en France, ce que je doute car un autre pays m’attire comme un aimant, un autre pays où s’enfonceront, je l’espère, mes racines et ceux de ma famille, Israël.
 
Si je reste en France, je ne serais qu’un français non pratiquant, un français de pacotille, apatride parmi les apatrides, paria au milieu des parias.
Purée, si j’étais courageux, je me jetterais à l’eau. Mais, aouah, je verrais plus mes amis qui m’attendent à Paris, ma famille, le ciel bleu, la mer, et puis, la vérité, Je n’ai pas le courage !
D’abord, d’où je sais si la méditerranée entre deux continents est la même que la nôtre ? Si elle chante l’amitié et si elle est chaude comme celle de chez nous ? Si ça se trouve, avant de me noyer, je vais attraper une bonne congestion.
Allez, mieux, je cesse de m’isoler sur ce paquebot parce que ça me tape sur le système. Je réintègre le monde des vivants. Enfin, le monde des vivants, c’est beaucoup dire !
Le peuple pied noir qui aurait pu donner des leçons d’optimisme au monde entier semble suivre un enterrement. Même les femmes, d’habitude, si pomponnées, si bien coiffées, qui ne seraient jamais sorties avec des vêtements désaccordés, aujourd’hui, elles sont habillées comme l’as de pique.
Purée, les morfals envahissent déjà les salons où le repas sera servi. A leur décharge, il faut bien admettre que les occupations qu’offre le bateau ne sont pas légion. Alors, pourquoi ne pas manger ? Au moins pour passer le temps !
Le menu ne me plait pas. Un Gervais, deux radis, une espèce de pâté en croute et une pomme. Allez va, maman, fais-nous un sandwich !
Il me tarde d’être à Paris. Pour manger à ma faim chez ma tante qui est, à l’instar de ses sœurs, une excellente cuisinière.
Où sont nos repas dominicaux avec le rire en invité permanent et les bons petits plats de nos mères juives? Le boktof, la loubia, la tafina, les différents couscous, le bestel, le meguenna, la marsah, la chtétrah, la hasbanne, le gros et le petit kawa,et des dizaines de plats et de douceurs de la cuisine de chez nous. Nos mères avaient hérité, de leur ascendance, la confection de plats typiques, présentés avec goût. La table espagnole, italienne ou juive ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle des parents et des grands parents. Bien que chaque communauté revendique, bien haut et bien fort, son appartenance à une entité spécifique, nous étions loin de nous priver d’autres cuisines dont nous raffolions. Les voisines nous apportaient leurs traditions culinaires originelles, coutumes identitaires qui ne pouvaient qu’encourager les pratiques méditerranéennes anciennes.
Nos dimanches, dans ce Paris déshumanisé que mes amis dépeignent, risquent de ne plus ressembler à ceux que l’on a connus.
Impossible d’imaginer ce que sera notre vie future. Comme nous étions heureux en Algérie. Contrairement à que prétendent les gens mal intentionnés, nous ne faisions pas suer le burnous. Nous étions tout simplement des gens heureux. Pas d’or dans nos poches mais une richesse du cœur qui dégoulinait à foison. Nos ne prenions que la mort au tragique. Un morceau de pain trempé dans de l’huile, une tranche de tomate, c’était un goûter de gala.
Pas besoin d’argent pour me sentir quelqu’un. Ma veuve de mère nous a enseigné qu’un sou est un sou. Nous avons adopté cette notion que la richesse se trouve dans le cœur des gens plutôt que dans leur portefeuille…… Les morfals reçoivent le plateau mesquin. Ma parole, la compagnie transatlantique, elle exagère. On va, malgré tout, éviter de manifester. Non seulement, on n’en a pas l’envie mais en plus, la vérité, ça fera mauvais genre.

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