samedi 28 novembre 2015

LITTERATURE...........

Extrait de MIRACLE A MANHATTAN de Hubert Zakine. A PARAITRE.....
(en hommage à WOODY ALLEN)


Samuel n'aimait plus l'été. La saison des gens heureux. Qui parlent fort. Qui s’engueulent pour un oui, pour un non. La petite Italie a le sang chaud en été. Quand on vit dehors, les bruits sont multipliés par dix. On partage tout, on interpelle, on joue à fava vinga, on vit.
Il préférait Manhattan sous la pluie. Manhattan en hiver lui ressemblait. Solitaire et triste. La valse des parapluies faisait grise mine et s’inclinaient devant son chagrin.
Le quartier semblait figé, sans couleurs, triste et désolé. Les commerçants attendaient, derrière leurs vitrines dégoulinantes, l’hypothétique client.
Les clapotis de l’averse berçaient le sommeil de l’enfant et la sieste de l’ancien. Enrhumés, les immeubles ruisselaient de mauvaise humeur.
Les passants accéléraient le pas, pressés de se mettre à l'abri. Pour rejoindre une âme sœur, une famille ou tout simplement, un collègue de bureau.
Samuel aimait marcher au milieu de ce monde humide. Parfois, il s’isolait au Majestic, le cinéma de la petite Italie et revisitait un vieux film qui lui parlait d’autrefois, des jeudis en culottes courtes et des premiers émois. Il oubliait le présent pour deux heures de certitudes. Il ressortait désorienté de ce bain de jouvence, relevait le col de son trench-coat et affrontait le déluge de sa vie. Oubliée l’enfance intemporelle pour une réalité dévastatrice.
La musique pour seule compagne. Le cabaret source de vie. De 22 heures à 3 heures du matin. Et puis le vide. Le néant. Lui manquait sa femme, son âme sœur. Son épouse qui ne supportait pas la concurrence des admiratrices qui stationnaient béatement devant son piano durant le récital de son mari. Samuel avait eu beau lui déclarer que nulle femme ne possédait le pouvoir de le détourner, ne serait-ce qu’un instant, de son amour, rien n’y faisait. La jalousie est un mal qui ronge de l’intérieur les plus beaux sentiments. Féminine jusqu’au bout des ongles, elle prenait un malin plaisir à venir embrasser son mari lorsque ses admiratrices se faisaient trop pressantes.
A présent, il était seul. Plus rien ne comptait. L’alcool soutenait son mal de vivre. L’alcool et Elizabeth Park où il passait le plus clair de son temps lorsque que le sommeil le fuyait. Parfois, une petite fille attirait son regard. Et sa pensée voyageait vers la tendre image du bonheur. Comme lui aurait parue belle la vie auprès de sa femme et des enfants que l’amour n’aurait pas manqué de lui offrir !
Que le temps des promenades amoureuses et des promesses lui paraissait lointain ! Son enveloppe physique marchait à ses côtés mais à l’intérieur, il ressentait une curieuse sensation. Le vide, le néant. Plus rien en lui ne vivait. Aucune envie, aucun espoir, même son cœur semblait s’être arrêté tant ses battements ne résonnaient plus dans sa poitrine. Quand un baiser de sa femme se posait sur sa joue ou que deux bras tressaient un collier autour de son cou. Regretter le temps perdu. Marcher dans les rues pour ne pas côtoyer la solitude, errer pour mesurer la défaite, la désolation de sa vie. Est-ce cela la vie ?
Il avait bien des aventures mais au petit matin, les fantômes du passé lui murmuraient la douce musique de la solitude. Alors, il n’avait qu’une envie, que la jolie fleur se fasse la belle sans laisser d’adresse. Parfois, lui venait l’idée de bousculer son ennui pour se compromettre avec ses amis mais le rire se figeait dans sa mémoire endolorie. Alors, il désertait le bal des gens heureux et rentrait chez lui, se versait un whisky avant de se laisser choir dans le vieux fauteuil de cuir de son père, fermait les yeux et, surtout, ne plus penser.
Les musiciens du Blue Note se multipliaient pour l’empêcher de sombrer dans une déchéance morale qui étoufferait sa virtuosité. Ils ne se doutaient pas, les bons apôtres, que sa musique puisait dans son inconscient affectif la valeur ajoutée de son talent.
De temps à autre, il s’arrêtait à l’échoppe de Papa Napoli, l’épicier de la petite Italie à la bedaine impressionnante. Cet homme, tout en rondeur, qui respirait la bonhommie, avait fait la connaissance de Samuel qui avait été pris la main dans le sac par un flic débonnaire qui patrouillait dans le secteur. Magnanime, le bon papa Napoli décida de ne point porter plainte contre cet enfant du quartier qui devint, à ses moments perdus, le petit coursier de l’épicerie. Se créa entre l’homme et le jeune garçon une complicité qui ne se démentit jamais. Papa Napoli regardait Samuel avec les yeux de l’amour d’un père qui regrettait de ne jamais avoir eu de garçon. Dans ses jeunes années, il était ce que les Italiens dépeignent comme un guaglione toujours enjoué, chapardeur et coquin qui respirait la joie de vivre. Son intelligence et sa débrouillardise avait séduit son entourage et Papa Napoli avait toujours gardé un œil attentif sur son évolution. Lorsque Samuel avait épousé son amour, il lui avait offert une jolie montre gousset au dos de laquelle était gravée « la petite Italie. ». Il avait assisté à l’emménagement du couple à deux pas de l’appartement de ses parents et suivi d’un œil attendri le bonheur des deux enfants.
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