vendredi 13 novembre 2015

Extrait de MIRACLE A MANHATTAN de Hubert Zakine. A PARAITRE

Extrait de MIRACLE A MANHATTAN de Hubert Zakine. A PARAITRE
(oui, je sais jécris beaucoup mais la solitude qui engendre l'ennui............)
Depuis, Samuel s’était enfermé dans son métier solitaire. Pianiste de jazz, virtuose du clavier, il officiait la nuit, dans un bar de Manhattan. Là, les effluves d’alcool et les aventures faciles entretenaient un semblant d’ivresse lié à la musique. Les lueurs de la nuit lui convenaient parfaitement. Elles le protégeaient de la réalité et maquillaient sa peur du lendemain. La nuit tous les chats sont gris mais les larmes de l’aube ne sèchent guère au petit matin. Chaque jour, il écrivait les pages d’une vie sans espoir de la conclure par une fin heureuse.
Tel Pénélope, il détricotait chacune de ses journées comme si elle n’avait jamais existée. Hannah n’existait plus que dans son souvenir.
En regagnant son domicile, il déambulait au hasard des rues. Il aimait ces instants volés au tumulte, quand l’aurore s’éveille à peine. Le livreur de lait croisait chaque jour le pianiste au pardessus noir, sans un mot, comme s’il ne désirait pas troubler les pas silencieux de l’artiste. Un simple signe de la tête puis l’errance monotone. Le froid matinal, plus que l’alcool, embrumait ses pensées vers un seul visage. Visage féminin qui s’estompait, par instant, de sa mémoire. Depuis le cataclysme qui bouleversa sa vie, il avait renoncé à habiter le nid douillet qu’Hannah avait façonné à son image. Dès lors, l’appartement de ses parents où ses souvenirs de petit garçon lui rappelaient qu’un jour, il avait été heureux, devint son refuge. Les aiguilles du temps passé dansèrent, alors, devant ses yeux. Images d’autrefois jalousement enfouies au creux d’une mémoire endolorie.
Il revoyait les instants délicieux de ses retrouvailles avec Hannah. Au Blue Note, club où il accompagnait les couples enlacés, il remarqua une jeune fille aux cheveux châtain clair dont les boucles se paraient d’or en balançant son corps gracile sur une musique de Hoagy Carmichael. Les yeux fermés, elle dansait voluptueusement, bercé par Stardust, morceau interprété par Samuel en hommage consacré à cet immense compositeur.
En gardant le rythme, elle quitta sa place et s’approcha du piano afin de ne pas être troublée par le bavardage environnant. Samuel reconnut son amour de jeunesse mais il n’osa pas lui parler d’autrefois. Il attendit le miracle en suivant du regard cette silhouette qui semblait touché par la grâce. Le charme du tableau le désarçonna à tel point qu’il égratigna la musique qui figurait, pourtant, au panthéon de son répertoire. Divine surprise, le regard bleu indigo de la jolie spectatrice décocha une flèche réprobatrice qui l’atteignit au plus profond de son être. Après s’être excusé par un haussement des sourcils qui avouait à la jolie demoiselle et, à elle seule, la fausse note, ils échangèrent le sourire du pardon.
C’est à ce moment précis qu’elle le reconnut.
Il demanda à sa doublure de jouer à nouveau son slow préféré et invita la brune au regard océan. Sans un mot, il se leva de son banc et lui prit la main. Electrisés par ce contact physique qui rappelait tant de souvenirs, ils s’approchèrent l’un de l’autre. Hannah se serra contre Samuel qui l’emporta dans un slow d’éternité. Quand ils se ressaisirent, leurs sourires évoquaient bien plus qu’une complicité basée sur la musique. Leur jeunesse renouait le lien, un instant interrompu par les caprices de la vie.
En trois minutes, l’amour avait forcé, sans bruit, le verrou de leur univers. Pas un mot, pas une parole. Un simple regard. Deux corps qui s’épousent. Des souvenirs qui se bousculent. Premier baiser, première promenade, première promesse d’un amour éternel dans les rues de Manhattan. Un mariage sans la présence de ses chers parents disparus. Un bonheur majuscule, douce promesse de petites têtes brunes ou blondes. Puis ce fut l’accident briseur de rêves……….
Chaque soir, entre deux morceaux de Fats Waller, Count Basie ou Glenn Miller, Samuel posait sur un coin du piano le portrait de son âme sœur afin de lui dédier sa chanson fétiche. Ce rendez-vous immuable avec le slow de Hoagy Carmichael lui était indispensable afin de ne pas oublier qu’il avait frôlé la félicité. La nostalgie lui brûlait le cœur. Il noyait sa lassitude à grandes rasades de whisky et, l’aurore renaissante, il tentait vainement de retrouver le chemin de son appartement aux abords de la petite Italie.
Ses amis d’enfance récitaient la nostalgie du pays de Dante mais Samuel vivait une autre nostalgie qui courait le long de sa solitude. Il est des nostalgies mélancoliques qui bravent les années, d’autres embellies par le souvenir du pays perdu mais la sienne portait la mémoire d’un visage à jamais disparu. Douleur muette, omniprésente.
Ses journées s’allongeaient sans joie à l’ombre d'Hannah. Souvent, il partait sur les traces de son passé pour un pèlerinage le long des quais de l’Hudson River auprès des bouquinistes qui furent les témoins de leurs promenades en amoureux. Parfois, ses amis lui faisaient une agréable surprise en débarquant au Blue Note. Alors, il délaissait son piano pour un instant de grâce et revisitait les heures éblouissantes des années de jeunesse. Le rire en bandoulière, il redevenait le garçon chevauchant les vagues de son enfance. L’insouciance en bataille, il prenait un bain de jouvence rafraichissant auprès de ses amis mais il n’était pas dupe. Sitôt, cette petite parenthèse refermée, reviendraient la solitude, les nuits sans sommeil et les verres d’alcool désenchantés.

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