mardi 17 novembre 2015

Extrait de JONAS DE LA CASBAH D'ALGER de Hubert Zakine

L’après-midi, Jonas les emmena promener sur les hauteurs de Saint-Eugène à la lisière de Notre-Dame d’Afrique. Ce fut l’occasion de visiter l’Ermitage, ancien couvent acheté par la famille Oualid.
Ce fut l’occasion de faire étalage du savoir de Jonas sur la campagne Oualid et du patriarche Isaac Oualid qui était une personnalité de premier plan de la communauté.
--C’est une personnalité très importante d’Alger. Il récita un brillant condensé de ce que lui avait appris un ami de la famille Oualid.
À la fois propriétaire d’une compagnie de tramways à chevaux de quelque 300 hectares de terrains qui s’échelonnaient sur plusieurs kilomètres de Notre-Dame d’Afrique jusqu’au littoral de Saint-Eugène. Une partie de ce patrimoine territorial étant annexé par la mairie d’Alger afin d’agrandir le cimetière.
L’étonnement de sa fille et de son beau-fils poussa Jonas à poursuivre sur un ton savant la « leçon » sur cette grande famille juive.
--Sa maison appelée familièrement « Campagne Oualid » était une grande propriété de vingt-sept chambres desservie par deux escaliers qui se rejoignaient en leur milieu.
--Mais, papa, tu le connaissais cet homme ?
--Non, mais un de ses fils m’a raconté que le vieux Oualid avait été interprète auprès de l’adjoint au maire, chargé des affaires israélites de la ville d’Alger. Il était très élégant et il portait une barbe blanche qui lui donnait une allure princière. Lorsqu’il rentrait de métropole ou d’Europe, il retirait ses vêtements français pour s’habiller de costumes traditionnels. Dans son domaine, il était toujours coiffé d’un turban oriental mais il s’habillait à la dernière mode française lorsqu’il se rendait en Europe. Excellent cavalier, il se déplaçait sur ses terres à cheval et portait bottes et selle de même couleur.
--Il est toujours vivant ?
--Oui, ma fille mais il doit approcher les 90 ans. Et en plus, c’est lui qui a voulu qu’il y ait une synagogue à Saint-Eugène.
--C’est un saint homme, ce Oualid, conclut Rachel.
Satisfait de son intervention, il invita sa tribu à poursuivre la promenade qui s’acheva au pied de Notre-Dame d’Afrique. Ce fut une belle journée que vécut Rachel. Pour la première fois depuis bien longtemps, son époux avait paru se distraire. Lui qui n’était pas le moins du monde expansif, il avait paru transfiguré tout au long de la journée. Rachel pensait avoir trouvé la solution. Son époux avait besoin de la présence de sa famille autour de lui pour le sortir de son isolement. Bien sûr, Pauline et Robert avaient leurs occupations mais elle était persuadée que l’ennui était la cause principale du désœuvrement qui emprisonnait son époux dans la solitude. Ce qu’elle ignorait ou feignait d’ignorer, c’était que son métier et son quartier lui manquaient autant que ses enfants et qu’il vivait ce manque comme une maladie.
 
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Le Kursaal, édifié sur l'esplanade Bab-el-Oued, était un redoutable concurrent du théâtre municipal. Pion essentiel du bon déroulement de l’établissement, Robert s’y mouvait comme un poisson dans l’eau. Il semblait être très estimé de sa direction et prenait son rôle très au sérieux, n’hésitant pas à déléguer son pouvoir afin d’en être un des rouages indispensables.
À la fois théâtre où l’on y donnait de nombreuses pièces et opérettes du répertoire français et music-hall, il damait le pion à un établissement du centre de la ville. Aux abords de Bab El Oued, il attirait toute une frange de potaches lors de matinées récréatives et sa salle de jeux invitait les joueurs à tenter la chance.
Robert espérait voir son père pousser les portes de cet établissement afin de séduire son incrédulité et de fondre sa résistance. Le tramway déposa Jonas sur la place du lycée qui donnait accès au jardin Marengo. Là, assis sur un banc près du tombeau de la reine, il avait une vue plongeante sur le Kursaal accolé à la caserne Pélissier. Ce magnifique bâtiment de trois étages, au style rococo, à l’architecture noble, se voulait le temple du music-hall, du théâtre et de l’opérette dont l’enseigne rouge attirait tel un aimant une clientèle que Robert qualifiait « de standing ».
Jonas resta un moment à contempler la place du Lycée Bugeaud qui se voulait la frontière fictive avec le reste de la ville. La basse casbah commençait si tôt franchi la rampe Valée pour se jeter sur cette place qui portait le nom d’un général d’empire. De cette place Margueritte partait la rue Volland qui vit ses parents s’y marier dans la très belle et très ancienne synagogue. Il en conservait une tendresse toute particulière bien qu’il eût tenu à épouser Rachel au temple de la rue Randon.
 
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