RICHARD
Richard subissait sa
vie. Il avait emménagé dans un petit deux pièces au bord de la mer. Un
rez-de-chaussée pour accéder facilement à son logement. Il avait espéré
retrouver non pas la totalité de ses mouvements mais du moins la faculté de se
mouvoir sans une aide extérieure. Au bout de
huit mois de souffrance, il avait
dû se rendre à l’évidence, il ne serait plus qu’un handicapé. Solitaire parmi
les hommes, il se préparait à une vie d’ermite entrecoupée par le passage d’une
bonne fée que l’on nomme aide-ménagère. Il imaginait ses matinées au soleil de
méditerranée et ses après-midi selon son humeur, tantôt sur l’ordinateur,
tantôt assis à une terrasse toute proche de son domicile. Pas de promenades, de
parties de cartes, de visites impromptues, de déplacement plus ou moins
éloigné, pas de, plus de, pas de……………...
Il lui fallait s’adapter à cette nouvelle situation du
handicap irréversible qui n’arrive pas seulement aux autres. Et cette solitude,
triste compagne de ses jours sans joie à maudire ce corps désarticulé, ce
cerveau qui avait résisté au naufrage, juste ce qu’il faut afin de conserver
assez de raison pour faire face au déraisonnable, ce cerveau qui conservait suffisamment de faculté pour évaluer sa déchéance et
ressasser son mal être. Pour ressasser la perte de son amour. Ecrire jusqu’à
épuisement, source tarie de l'encrier vide, bousculer la mémoire, se souvenir
des doux instants ou regretter les jours heureux, quand on se sentait le roi du monde. Ecrire
et réinventer sa vie, s’accrocher à la moindre parcelle de joie de vivre,
écrire pour ne pas sombrer dans le tourbillon de l’ennui. Boulimie d’écriture
pour ne pas sombrer.
Face à la mer, assis sur un banc, il suit du regard les
baladins de fin d’après-midi. Malgré lui, il les envie. Beaux ou laids, ils
marchent, se déplacent sans gêne, sans mesurer, toutefois, le bonheur d’aller
et venir sur la grande promenade des gens heureux. Le bonheur d’hier apparaît,
alors, dans toute sa cruauté quand le malheur frappe à sa porte. Mais rien n’y
fait, il est trop tard. Il lui faut se
résoudre mais comment se résoudre au malheur perpétuel. A la solitude de l’âme,
du corps et de l’esprit.
Pouvait-il deviner qu’une bonne étoile se pencherait sur
son destin? Une femme blessée par la vie qui refusait l’amour et préférait se
retrancher derrière le miroir aux alouettes. Pouvait-il imaginer qu’une
jeunesse serait sensible à sa façon d’exprimer le désespoir en se cachant derrière un humour
embué. Avait-il seulement songé à ces âmes bouleversées qui vivent par
procuration l’aventure d’un autrui entraperçu au détour d’une fiction, de peur d’endurer une passion
malheureuse?
*****
MARIE
Marie apprenait cet écrivain avant de découvrir l’homme
dont les écrits ne la laissaient pas indifférente.
Sûr qu’un jour, elle le rencontrerait, ne serait-ce que
professionnellement. Il lui arrivait souvent de travailler de concert avec un
auteur insatisfait de son œuvre ou simplement pour refuser un manuscrit.
Rêveuse comme toutes les romantiques, elle inventait, au gré de ses lectures,
le beau prince charmant ou le désespéré au regard si sombre qu’elle en était
troublée, le papa abandonné par sa femme ou l’homme d’affaire entreprenant qu’elle
n’avait jamais croisé. Alors, résignée, elle se réfugiait dans la peau de ses
personnages et n’en sortait plus.
Pour la toute première fois, elle travaillait sur un
auteur pour d’autres raisons que la littérature. Le matelassier de la casbah et 12
rue Randon lui racontaient les raisons de l’attachement paternel à ce pays
de transhumance humaine qui l’avait envoûté après l’avoir attiré. Chaque mot
judéo-arabe, chaque expression pataouète
lui racontait une péripétie de lumière qu’elle parvenait à imaginer pour avoir
perçu la nostalgie dans la voix de son père. Hélas, la magie qui l’ensorcelait
enfant, lui était devenue étrangère. Le
charme oriental qu’elle percevait, par instant, n’eût pas le temps de peupler
son jeune esprit de futurs souvenirs. Pourtant, à présent que son père
avait rejoint sa mère au grand jardin de l’éternité, elle recevait comme un don
du ciel l’héritage précieux de ses années enfantines. Aussi,
parcourait-elle, avec avidité ces textes
qui lui traçaient le chemin la conduisant vers l’absolu.
Elle appréciait
cet écrivain qui maniait
l’humour avec ce zeste de nostalgie qui
le rendait attachant. Elle adorait son style à la frontière du rire et des
larmes, parfois impudique ou se masquant
derrière un personnage qu’elle croyait deviner en lui.
Elle dévora les deux ouvrages qui l’invitèrent au voyage
du souvenir.
L’auteur parlait de sa terre natale comme d’une femme.
Charnellement. Le cœur au bord de la route, il errait à la recherche du paradis
perdu et des amitiés égarées.
*****
RICHARD
Quand son travail de fabriquant lui en laissait le temps,
Robert et sa petite famille lui rendait visite.
Mais la plupart du temps, Richard passait le dimanche à regarder la mer.
Il s’obligeait à sortir mais s’apercevait que la foule
l’agaçait. Alors, il rentrait chez lui pour partager sa solitude avec son
téléviseur.
Il ne voulait ennuyer à aucun prix, ne pas être celui qui
empêche de tourner en rond, celui qui est tributaire de l’autre. Afin de ne pas avoir cette désagréable impression
de n’être plus bon à rien. Hélas, il
avait oublié d’être sot et se reprochait de n’avoir pas cherché à fonder une
famille. Son amie s’en était allée loin de la vision pathétique de l’homme
handicapé qu’il était devenu. Richard désirait ne plus être considéré comme
l’infirme qui avait besoin d’une tierce personne pour réaliser le moindre geste. Certains lui répétaient sans cesse
qu’il lui fallait remercier le ciel de s’en être sorti alors qu’il fut à deux doigts de rendre son
âme à l’Eternel. D’autres s’étaient
senti obligés de l’encourager à trouver de nouvelles raisons d’espérer mais il
n’en avait cure. Lui seul savait ce qu’il endurait et surtout était bien placé pour savoir que
les conseilleurs ne sont pas les payeurs. A écouter les partisans de la
démagogie, il devait remercier le ciel d’être toujours de ce monde. Ce qu’ils
ignoraient, ces bons apôtres, c’est qu’il
aurait préféré ne pas se réveiller. Ne pas subir sa vie. Ne pas
ressembler à ce pauvre pantin désarticulé qu’il croise au hasard d’un miroir
rencontré dans la rue. Si certains prétendaient qu’il agissait en égoïste,
c’est qu’ils n’avaient rien compris. Savoir que le handicap serait définitif
lui paraissait intolérable. Et cela
était intolérable. Il ne pouvait supporter cet autre qu’il ne connaissait pas.
Qui marchait à ses côtés. Du pas hésitant de l’infirme. Cet étranger qui lui
ressemblait comme deux gouttes d’eau
mais si différent de celui qu’il fut,
qui aimait rire, nager, courir, qui était fêté comme l’ami, le copain, le camarade.
Celui dont la compagnie était recherchée. Cet homme qui n’était que l’ombre de
l’enfant, de l’adolescent, du jeune homme et même de l’adulte qui trouvait
belle, la vie. Qui se retournait au passage d’une jolie tentatrice. Qui baisse
les yeux à présent qu’une canne le soutient. Et change le regard des passantes
qu’il croise.
Richard, comme d’autres blessés de la vie, ne savait pas
feindre. Alors plutôt que de faire semblant pour paraître courageux aux yeux
des incrédules, plutôt que se pâmer devant les exploits sportifs des handicapés
pour offrir l’image lisse des valeureux, il rentrait dans sa coquille afin de
ne pas montrer une image dévalorisée de celui qu’il n’avait jamais cessé d’être
au fond de lui-même. Car, tout au fond de son cœur, il était toujours le petit
garçon qui usait ses culottes sur les bancs de l’école de sa prime jeunesse.
L’insouciant élève qui ne pensait qu’à jouer dans la rue dès la sortie de
l’école. Le jeune garçon qui copiait ses devoirs dans une entrée d’immeuble avant que sonne l'heure de la
rentrée ou qui baladait sa nonchalance au gré de ses jeudis cinématographiques.
L’indépendance de l’Algérie lui révéla l’exil, le dénuement, l’effort.
Alors c’est tout naturellement qu’il se réfugia dans le
cocon de ses plus belles années. Lorsque la vie ne lui demandait que de se laver et d’insister derrière les
oreilles, de faire ses devoirs sans ronchonner ou d’aller aux commissions.
C’était le bon temps de l’enfance qui ne reviendrait jamais. Mais l’écriture en redessinait les contours pour
rendre ses matins plus doux et ses nuits propices au rêve.
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