lundi 23 novembre 2015

Extrait de " ET LA VIE CONTINUE............" de Hubert Zakine (à paraitre)

RICHARD
Richard subissait sa vie. Il avait emménagé dans un petit deux pièces au bord de la mer. Un rez-de-chaussée pour accéder facilement à son logement. Il avait espéré retrouver non pas la totalité de ses mouvements mais du moins la faculté de se mouvoir sans une aide extérieure. Au bout de  huit mois de souffrance,  il avait dû se rendre à l’évidence, il ne serait plus qu’un handicapé. Solitaire parmi les hommes, il se préparait à une vie d’ermite entrecoupée par le passage d’une bonne fée que l’on nomme aide-ménagère. Il imaginait ses matinées au soleil de méditerranée et ses après-midi selon son humeur, tantôt sur l’ordinateur, tantôt assis à une terrasse toute proche de son domicile. Pas de promenades, de parties de cartes, de visites impromptues, de déplacement plus ou moins éloigné, pas de, plus de, pas de……………...
Il lui fallait s’adapter à cette nouvelle situation du handicap irréversible qui n’arrive pas seulement aux autres. Et cette solitude, triste compagne de ses jours sans joie à maudire ce corps désarticulé, ce cerveau qui avait résisté au naufrage, juste ce qu’il faut afin de conserver assez de raison pour faire face au déraisonnable,  ce cerveau qui conservait suffisamment  de faculté pour évaluer sa déchéance et ressasser son mal être. Pour ressasser la perte de son amour. Ecrire jusqu’à épuisement, source tarie de l'encrier vide, bousculer la mémoire, se souvenir des doux instants ou regretter les jours heureux,  quand on se sentait le roi du monde. Ecrire et réinventer sa vie, s’accrocher à la moindre parcelle de joie de vivre, écrire pour ne pas sombrer dans le tourbillon de l’ennui. Boulimie d’écriture pour ne pas sombrer.
Face à la mer, assis sur un banc, il suit du regard les baladins de fin d’après-midi. Malgré lui, il les envie. Beaux ou laids, ils marchent, se déplacent sans gêne, sans mesurer, toutefois, le bonheur d’aller et venir sur la grande promenade des gens heureux. Le bonheur d’hier apparaît, alors, dans toute sa cruauté quand le malheur frappe à sa porte. Mais rien n’y fait,  il est trop tard. Il lui faut se résoudre mais comment se résoudre au malheur perpétuel. A la solitude de l’âme, du corps et de l’esprit.
Pouvait-il deviner qu’une bonne étoile se pencherait sur son destin? Une femme blessée par la vie qui refusait l’amour et préférait se retrancher derrière le miroir aux alouettes. Pouvait-il imaginer qu’une jeunesse serait sensible à sa façon d’exprimer le  désespoir en se cachant derrière un humour embué. Avait-il seulement songé à ces âmes bouleversées qui vivent par procuration l’aventure d’un autrui entraperçu au détour d’une  fiction, de peur d’endurer une passion malheureuse?

*****
MARIE
Marie apprenait cet écrivain avant de découvrir l’homme dont les écrits ne la laissaient pas indifférente. 
Sûr qu’un jour, elle le rencontrerait, ne serait-ce que professionnellement. Il lui arrivait souvent de travailler de concert avec un auteur insatisfait de son œuvre ou simplement pour refuser un manuscrit. Rêveuse comme toutes les romantiques, elle inventait, au gré de ses lectures, le beau prince charmant ou le désespéré au regard si sombre qu’elle en était troublée, le papa abandonné par sa femme ou l’homme d’affaire entreprenant qu’elle n’avait jamais croisé. Alors, résignée, elle se réfugiait dans la peau de ses personnages et n’en sortait plus.
Pour la toute première fois, elle travaillait sur un auteur pour d’autres raisons que la littérature. Le matelassier de la casbah et 12 rue Randon lui racontaient les raisons de l’attachement paternel à ce pays de transhumance humaine qui l’avait envoûté après l’avoir attiré. Chaque mot judéo-arabe, chaque expression pataouète lui racontait une péripétie de lumière qu’elle parvenait à imaginer pour avoir perçu la nostalgie dans la voix de son père. Hélas, la magie qui l’ensorcelait enfant, lui était devenue étrangère.  Le charme oriental qu’elle percevait, par  instant,  n’eût pas le temps  de peupler  son jeune esprit de futurs souvenirs. Pourtant, à présent que son père avait rejoint sa mère au grand jardin de l’éternité, elle recevait comme un don du ciel l’héritage précieux de ses années enfantines. Aussi, parcourait-elle,  avec avidité ces textes qui lui traçaient le chemin la conduisant vers l’absolu.
Elle appréciait  cet écrivain  qui maniait l’humour  avec ce zeste de nostalgie qui le rendait attachant. Elle adorait son style à la frontière du rire et des larmes, parfois impudique ou  se masquant derrière un personnage qu’elle croyait deviner en lui.
Elle dévora les deux ouvrages qui l’invitèrent au voyage du souvenir.
L’auteur parlait de sa terre natale comme d’une femme. Charnellement. Le cœur au bord de la route, il errait à la recherche du paradis perdu et des amitiés égarées.
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RICHARD
Quand son travail de fabriquant lui en laissait le temps, Robert et sa petite famille lui rendait visite.  Mais la plupart du temps, Richard passait le  dimanche à regarder la mer.

Il s’obligeait à sortir mais s’apercevait que la foule l’agaçait. Alors, il rentrait chez lui pour partager sa solitude avec son téléviseur.

Il ne voulait ennuyer à aucun prix, ne pas être celui qui empêche de tourner en rond, celui qui est tributaire de l’autre.  Afin de ne pas avoir cette désagréable impression de n’être plus bon à  rien. Hélas, il avait oublié d’être sot et se reprochait de n’avoir pas cherché à fonder une famille. Son amie s’en était allée loin de la vision pathétique de l’homme handicapé qu’il était devenu. Richard désirait ne plus être considéré comme l’infirme qui avait besoin d’une tierce personne pour réaliser le moindre  geste. Certains lui répétaient sans cesse qu’il lui fallait remercier le ciel de s’en être sorti  alors qu’il fut à deux doigts de rendre son âme à l’Eternel.  D’autres s’étaient senti obligés de l’encourager à trouver de nouvelles raisons d’espérer mais il n’en avait cure. Lui seul savait ce qu’il endurait et surtout  était bien placé pour  savoir que  les conseilleurs ne sont pas les payeurs. A écouter les partisans de la démagogie, il devait remercier le ciel d’être toujours de ce monde. Ce qu’ils ignoraient, ces bons apôtres, c’est qu’il  aurait préféré ne pas se réveiller. Ne pas subir sa vie. Ne pas ressembler à ce pauvre pantin désarticulé qu’il croise au hasard d’un miroir rencontré dans la rue. Si certains prétendaient qu’il agissait en égoïste, c’est qu’ils n’avaient rien compris. Savoir que le handicap serait définitif lui paraissait  intolérable. Et cela était intolérable. Il ne pouvait supporter cet autre qu’il ne connaissait pas. Qui marchait à ses côtés. Du pas hésitant de l’infirme. Cet étranger qui lui ressemblait  comme deux gouttes d’eau mais si différent  de celui qu’il fut, qui aimait rire, nager, courir, qui était fêté comme l’ami, le copain, le camarade. Celui dont la compagnie était recherchée. Cet homme qui n’était que l’ombre de l’enfant, de l’adolescent, du jeune homme et même de l’adulte qui trouvait belle, la vie. Qui se retournait au passage d’une jolie tentatrice. Qui baisse les yeux à présent qu’une canne le soutient. Et change le regard des passantes qu’il croise.

Richard, comme d’autres blessés de la vie, ne savait pas feindre. Alors plutôt que de faire semblant pour paraître courageux aux yeux des incrédules, plutôt que se pâmer devant les exploits sportifs des handicapés pour offrir l’image lisse des valeureux, il rentrait dans sa coquille afin de ne pas montrer une image dévalorisée de celui qu’il n’avait jamais cessé d’être au fond de lui-même. Car, tout au fond de son cœur, il était toujours le petit garçon qui usait ses culottes sur les bancs de l’école de sa prime jeunesse. L’insouciant élève qui ne pensait qu’à jouer dans la rue dès la sortie de l’école. Le jeune garçon qui copiait ses devoirs dans une entrée  d’immeuble avant que sonne l'heure de la rentrée ou qui baladait sa nonchalance au gré de ses jeudis cinématographiques. L’indépendance de l’Algérie lui révéla l’exil, le dénuement, l’effort.

Alors c’est tout naturellement qu’il se réfugia dans le cocon de ses plus belles années. Lorsque la vie ne lui demandait  que de se laver et d’insister derrière les oreilles, de faire ses devoirs sans ronchonner ou d’aller aux commissions. C’était le bon temps de l’enfance qui ne reviendrait jamais. Mais  l’écriture en redessinait les contours pour rendre ses matins plus doux et ses nuits propices au rêve.

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