mercredi 7 octobre 2015

Extrait de "MA MERE JUIVE D'ALGERIE" de Hubert Zakine


Comme toutes les veuves de la planète, il te fallut faire fi de ton chagrin endeuillé pour remonter l'horloge de ta vie qui s'arrêta un après-midi de décembre 1947. A grands coups de courage, tu te mis en quête d'une place de vendeuse, métier jadis délaissé pour le rôle d'épouse et de mère juive d'ALGERIE.
Tu me montrais souvent cette belle image noir et blanc dans laquelle t'avait emprisonnée et immortalisée le photographe de la rue Bab Azoun.
Accoudée au comptoir principal de la boutique "Bambi", les mains croisées et le regard absent, tu étais, alors, jeune, belle, veuve.
A cette époque, trouver un emploi de vendeuse ne posait guère de problème.
Situé sous les arcades rafraîchissantes de la rue Bab Azoun qui conservait ce parfum si subtil d'autrefois, mélange d'épices orientales et de relents d'une époque révolue, lorsque ton grand-père maternel, fier comme Artaban, portant gibus, pantalon de coutil et faux-col, promenait ses chers petits enfants, le magasin "Bambi" avait conservé le charme désuet de la fin du XIXéme siècle.
Tu répétais souvent que tu t'y sentais bien, à l'abri de ce cocon protégé, de surcroît, par les jolies arcades de cette artère très commerçante où tout le monde se connaissait et utilisait, plus volontiers, la langue de MOÏSE ou MAHOMET que celle de MOLIERE. Véritable fourmilière où se côtoyaient mille et un petits métiers de l'artisanat local du temps de la conquête, l'ex-souk Bab Azoun s'était embourgeoisé de commerces luxueux supplantant, peu à peu, les échoppes des temps héroïques.
C'est au milieu de cette micro-société, à l'orée de la casbah de ta jeunesse, que tu réappris à vivre, ma mère juive d'ALGERIE.
C'était l'époque où les valeurs morales définies encourageaient la solidarité envers les veuves et les orphelins mais, si la sollicitude était souvent synonyme de pure charité désintéressée, tu agitais aux yeux de ton entourage ta fierté de devoir "t'en sortir toute seule."
Je te questionnais souvent sur ces tranches de vie et de deuil qui glissèrent sur mes années maternelles avant qu'un camarade de classe ne m'apprit que j'étais orphelin de père. Tu fouillais alors dans ton grenier aux souvenirs et me portais à bout de bras vers mes années brouillard.
Prosper HALIMI, apiéceur chez mon oncle, tailleur avenue Malakoff, qui venait me chercher à la sortie de la maternelle de la rue Rochambeau. Cet apprenti qui n'aimait pas son prénom se fera appeler, quelques années plus tard, Alphonse et répandra la terreur sur tous les rings d'Afrique du Nord, de métropole, avant de conquérir les titres de champion d'Europe puis, pour apothéose, celui de champion du monde.
Madame DAHAN, directrice de la maternelle qui me considérait comme l'enfant le plus turbulent de ma génération, champion du monde en quelque sorte!

Et ces dimanches familiaux passés rue Marengo, dans l'appartement de ma tante Lisette qui, sans être l'aînée des filles, remplit toujours le rôle de la mère auprès de sa famille, l'invitant à sa table pour chaque fête religieuse. Je me souviens de mes années adolescentes au milieu de cette harmonie familiale, dans cet appartement des parents repris par ma tante où naquirent ma mère, ses frères et ses soeurs. Musée d'amour d'autrefois revisité à chaque occasion.
Je ne gardais de mon père qu'un vague brouillard en forme de souvenir. Au point d'engager une lutte intestine entre le savoir et la raison, la vérité et l'illusion, le rêve et la réalité. Pourtant, je revoyais toujours cette image du bonheur, courant dans le couloir pour accueillir mon père qui me prenait dans ses bras, ma tête reposant sur son épaule. Et son manteau aux multiples petits chevrons gris et noirs qui me piquait la joue.
La certitude de ce souvenir unique parce que merveilleux et merveilleux parce qu'unique, tu me l'apportas sur un plateau d'argent en me confirmant l'existence de ce manteau aux chevrons gris et noirs.
Cette image fugitive, je l'ai sortie de la naphtaline pour l'enfermer dans le livre d'or de ma mémoire. Comme un trésor inestimable, secret et merveilleux que nul, jamais, ne pourra m'arracher.
Lorsque ton besoin de me parler de mon père devenait trop pressant, nous sortions le projecteur Pathé-Baby et la lucarne magique remontait le temps saccadé sur l'écran perlé de larmes de tendresse.
Défilaient alors les images "noir et blanc" des bagarres de tes trois fils provoquées par notre metteur en scène préféré, sous ton oeil mi-amusé, mi-inquiet de mère juive d'ALGERIE. Puis apparaissaient, dans notre petite salle obscure, à l'abri d'une pénombre nostalgique, l'épisode de quelques images volées du cabanon des jours heureux aux Horizons Bleus. Famille à l'apogée du bonheur obligée de quitter ce petit paradis terrestre et maritime, mon frère cadet, Paulo ne supportant pas le .........changement d'air. La délicieuse petite station balnéaire n'étant pourtant distante que de dix kilomètres de BAB EL OUED!
Cette parenthèse de mon père est, hélas, trop brève. Tu comblas son absence, ma mère juive d'ALGERIE par l'omniprésence de ton amour. Tu fus, tout à la fois, notre mère et notre père malgré l'écrasante responsabilité qui t'incomba. Mais mes frères et moi, nous l'avons vérifié tout au long de notre existence : l'amour fait des miracles.
Il eût pu adoucir les soucis matériels auxquels tu fus confrontée, ma mère juive d'ALGERIE. Malheureusement, le destin inexorable étendit son manteau noir avant la signature d'un contrat d'assurance-vie proposé par une grande compagnie à mon père.
 
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