lundi 28 septembre 2015

Troisième extrait de LE COIFFEUR DE BAB EL OUED de Hubert Zakine


Le dimanche matin, c’est un jour particulier. Comme chez tous les coiffeurs, y a ceux qui peuvent pas venir en semaine, (zarmah, ils ont pas le temps !) mais surtout ceux qui viennent pour parler du match de l’après-midi, du dernier canus qu’ils ont levé ou  du bloc qu’ils espèrent tomber en allant danser au Santa Lucia. Inutile de dire que la bosse de rigolade, elle est pas loin !
Moi, je me prépare à couper les cheveux en quatre aux supporters surexcités. Rien que j’écoute. Je fais pas de commentaires pour que la température elle brise pas le thermomètre. Mais des fois, j’entends de ces couillonnades que le ciseau y me démange.
Quand le client y sort du salon, y fait gaffe à la spécialité du faubourg : la coupe étrennée par une grande claque  sur le derrière de la tête et ce, par surprise. Tous les éléments mâles de Bab El Oued, qui viennent de rencontrer une tondeuse, ils y ont droit. Ya pas, même s’ils rasent les murs, zarmah on les voit pas, dans l’heure qui suit, ils ont droit à une schkobe. Un jeu de malade instauré par un dérangé du ciboulot.
Voir et être vu, c’est la démarche de la jeunesse en goguette alors que les adultes y préfèrent jouer les sentinelles en attendant la ruée vers l’or blanc de l’anisette qui accompagne la khémia. Dès qu’apparaissent les  premières assiettes de tramousses, anchois, zitounes, escargots, pois chiches, petite friture et une multitude d’apéritifs pour les morfals, on entend plus une mouche voler. Même les querelles sportives, elles sont oubliées. La gobia, elle remporte le match haut la main. C’est qu’il faut se dépêcher pour aller manger parce que dès, 13 heures, c’est une autre ruée  en direction du stade de Saint-Eugène.
Moi, après avoir fait un peu de gymnastique avec ma joyeuse divorcée,  je vais au Majestic voir un film avec Tyrone Power et Kim Novak Tu seras un homme, mon fils ! Amman, le monde. Le balcon du Majestic, il est bondé. Oh, purée, la mère et la fille du rabbin, elles se trouvent à ma gauche, deux rangées devant moi. Je suis en compagnie de la petite blondinette qui se barricade les tétés  mais je m’en fous car Edith Chemoul, elle occupe toutes mes pensées. Je vais même pas regarder l’écran, des fois qu’elle tourne la tête vers moi. Le film il commence. Purée, je suis subjugué par Edith et par la musique du film. Demain, j’achète la bande originale ! Peut-être que je vais  lui offrir le disque. Le film y se déroule et moi, sur mon ile déserte, je construis des châteaux en Espagne ! Kim Novak, elle aussi, c’est un canus.
Les femmes, elles versent des torrents de larmes et nous, les hommes, on fait comme si ça nous en touche une sans faire bouger l’autre, mais total, j’en connais qui jouent en catimini  les Marguerite Gauthier.
En sortant du cinéma, c’est la ruée au Café Riche pour voir les résultats sportifs ou chez Grosoli pour taper la tranche napolitaine, le créponné ou ça qu’ils veulent, c’est pas moi qui paye.
L’ASSE il a battu le Gallia 1 à 0. L’honneur est sauf ; sur l’ensemble de la saison, c’est match nul.
Ça m’embête que la fille du rabbin elle m’ait vu avec miss tétés interdits. Mais, j’ai pas dit mon dernier mot. Je vais lui jouer le coup de sminfin couffin en lui offrant le disque. Elle pourra pas mieux faire que de me remercier pour cette délicate attention. Y a que la foi qui sauve ! A dieu va !
Les spectateurs, y rentrent sagement chez eux en passant par le  jardin Guillemin qui range son manège dans un brouhaha de fin de journée.
Comme tous les dimanches soir, le quartier y respire au balcon. Les commentaires sur le football y vont bon train et les chauvins y trouvent matière à s’énerver. Demain sera un autre jour et adda ma canne et mon chapeau !
 

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