La folie, elle s’est emparée de nous. Déjà que la plupart des
copains on imite Kopa, Piantoni et Fontaine alors, là, avec des vrais maillots,
des bas, des cuissettes et surtout des chaussures de foot avec des barrettes de
cuir, on va se prendre pour des champions du monde et des alentours. En
quatrième vitesse, on va se faire tirer le portrait chez Petrusa et le
lendemain soir, on fait la queue pour aller signer au RCN et recevoir
nos équipements. Bou, la déception ! On croyait qu’on allait
ressembler à des seigneurs total, on a l’allure de nains dans un dessin animé.
Les maillots y datent de Mathusalem. Les cuissettes, elles servent à rien
tellement les maillots y sont grands. Quant aux chaussures, elles iraient
tout droit au Kassour si elles pouvaient marcher toutes seules. Elles doivent
dater du début du siècle, tellement elles sont usées. J’exagère à peine !
En plus, presqu’on se bat pour choisir les plus petites tailles qui font, pour
le moins, du 40. Mais à la guerre comme à la guerre, on mettra six paires de chaussettes
avant d’enfiler nos chaussures et puis c’est tout ! Ma parole d’honneur,
si on gagne un match dans l’année, c’est que vraiment, on est champions du
monde, des alentours et même de la planète Mars.
Tout est prétexte à faire du sport. A la plage pour la natation, au
jardin pour les matches de foot, dans la rue pour se lancer des défis comme
celui de Riquelme qui se prend pour Tarzan et qui tente de sauter d’arbre en
arbre. Mais ce babao, il oublie que les lianes c’est dans la jungle qu’on
les trouve, pas au jardin Guillemin. Le poignet, il a pas tenu le choc.
Victor, notre nouvel ami de Marrakech, il a mis en jeu son album
Costa de photos de champions français. Mimoun, Kopa, Marcel Cerdan, Louison
Bobet en tête, l’album, tout le monde y veut le gagner. Pour cela, y faut
remporter une course sur trois tours des rues Rochambeau, Kœchlin, Thuillier et
Guillemin. Tous les oualiones du quartier y participent mais, on sait par
avance que le vainqueur ce sera Richard Simon alias Cyclone.
Son surnom, il lui avait été donné après un concours entre les écoles
Rochambeau, Sygwalt et Franklin au stade Cerdan un jeudi après midi où il était
arrivé premier dans toutes les épreuves de course à pied.
Quand y participait à une course, obligé, y gagnait ! Le
concours Costa, les doigts dans le nez, y nous a mis un demi-tour dans la vue.
On trouvait normal que celui qu’on appelle aussi « fend l’air »
y gagne ! « Fend l’air » c’est le cheval de Zorro. Y faut tout
vous dire alors ! Même pas, vous connaissez vos classiques ! Le
cheval de Zorro il avait connu son heure de gloire dans le film à épisodes
« Zorro et les sept légionnaires ». Pendant sept semaines, qui c’est
qui jouait pas à Zorro ?
*****
Nicole, elle préfère jouer à Toututil. Des fois, on va derrière le
stade de basket d’Algéria Sport près de la piscine d’El Kettani où Curtillet,
Gotvallès, Héda Frost et consorts y battront tous les records de France,
d’Europe et même du monde. Mais en attendant, le square Guillemin, il est
notre jardin de prédilection avec la fontaine qui désaltère les enfants en
jaillissant comme par miracle, le manège qu’on a fini par adopter et les
vielles personnes qui préfèrent la quiétude de l’avenue Malakoff afin d’éviter le
tcherklala. Mais des fois, on se contente de parler sagement de tout et
de rien comme nos mères, de rire comme des bossus, de se mêler aux copains du
quartier, de profiter de tous ces moments magiques qu’on passe ensemble,
heureux de vivre dans ce quartier qui se pose aucune question et qui prend le
meilleur de chacun d’entre nous.
Les fins d’après midi, elles se ressemblent toutes avec les maris
qui rentrent du travail ou du café, la jeunesse fatiguée de répéter le
« andar et venir » sur l’avenue de la Bouzaréah qui fait une halte au
jardin avant d’entamer le dernier « paséo », l’esplanade qui se
vide au moment où le manège y tire son rideau, les vieux qui profitent de la
fraîcheur pour entamer des discussions à bâtons rompus qui durent jusqu’à la
nuit tombée.
La vie au jardin Guillemin comme sans doute dans tout Bab El Oued,
c’est un paradis pour nous les oualiones. Sans argent certes (ça y est,
je recommence à me prendre pour Chateaubriand !)mais tellement riche
d’amitié des rues, avec la plage à nos pieds et l’exemple des anciens qui nous
apprenaient à nous contenter d’un rien pour être heureux et surtout de pas se
prendre au sérieux. Renoncer sans en faire un drame, c’est la plus belle leçon
de vie que ma mère elle nous a enseignée. Putain, je deviens philosophe ou
quoi ?
*****
Le
5/25 c’est un jeu qui multiplie par cinq (ou par zéro) la somme misée. Une
boîte en carton avec six chiffres (1 à 6) crayonnés et délimités à la va
vite, un yaouled qui fait la mata, la banque qui lance le tchic tchic et si le
chiffre misé y sort, on encaisse cinq fois la mise. Mais quand la chance elle
nous tourne le dos, on pleure toutes les larmes de notre corps et on a qu’une
seule envie, c’est d’aller se jeter au Kassour !
Parfois,
la préposée aux places elle laisse entrer au Mon Ciné les enfants du quartier même
si on a pas assez d’argent. Mais elle pose une condition : prendre un
fauteuil pour deux. Les fauteuils larzeze ! Tout en bois qu’une jeunesse
persifleuse au possible, elle prend un malin plaisir à claquer au moment
le plus angoissant du film. Une autre condition imposée, c’est de le dire à
personne ou sinon tout Bab El Oued, y va resquiller par deux comme des frères
siamois.
Le
Mon Ciné, y se trouve rue Rochambeau à côté des écoles. Chaque année,
Rochambeau y nous offre une séance de cinéma avant les vacances de Noël. Cette
année, elle est restée gravée dans ma mémoire pour trois raisons. La première,
c’est l’année de mon certificat d’études que j’ai raté haut la main. (raïben,
ma mère qui voyait son fils docteur ou avocat !)
La
deuxième c’est parce que mon maître c’est Monsieur Aïach qu’on appelle papa
Aïach pour lui témoigner notre affection et la troisième, c’est qu’au lieu de
nous emmener au Mon Ciné, on s’est retrouvé au Marignan pour
assister au premier film d’Elvis Presley « Loving You ». Le
tcherklala, la barouffa, le chahut, le tohu-bohu, le bin’z (enfin tous les mots
qui font du bruit !) je vous dis pas ! Vous me croirez si vous voulez
mais Capo, à partir de ce jour, y s’est pris pour Elvis Presley. Mais la
vérité, avec ses trois cheveux qui se battent en duel, je sais pas comment y
fait pour donner l’impression d’avoir la tonne de cheveux. C’est pas
qu’il est fartasse mais son père, il a horreur de voir les cheveux
lui manger la figure. Le lendemain, il est venu avec la banane! Une toute
petite banane mais une banane quand même. Mais pour ressembler à Elvis et faire
tenir sa banane, il est obligé de s’asperger ses cheveux de gomina ou de
les badigeonner de Pento. Toutes les cinq minutes, y passe le peigne dans sa
coiffure en prenant des poses à la James Dean et bien sur à la Elvis. Lui qui
paraissait si intelligent. Yaré Capo !
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