vendredi 18 septembre 2015

Extrait de LE COIFFEUR DE BAB EL OUED de Hubert Zakine (que j'écris actuellement)


--Sauveur, tu es capable de faire la coupe au rasoir ?
Jeannot, toujours il est à la dernière mode. Même s’il faut se mettre une plume là où je pense, il est capable de le faire pourvu qu’on le remarque !
--j’te fais même la coupe de champagne si tu payes!
Envoyez la monnaie.
--Alors, tu me coiffes à la Marlon Brando ?
--Tu préfères pas à la Yul Brynner ?
--Allez arrêtes de plaisanter avec ton rasoir à la main !
Yvon, le jeune apprenti embauché le matin même, s’approche pour admirer le travail de l’artiste.
--A quoi ça sert, la coupe au rasoir, m’ssieu ?
--Zarmah, ça fait plusse mieux que la tondeuse.
--M’ssieu, qu’est-ce que ça veut zarmah ?
--Soit disant dans le langage judéo-arabe!
--Alors, à vous entendre, la coupe au rasoir, ça sert à rien ?
--C’est du zbérote ! Ça sert seulement à me remplir les poches !
--Qu’est-ce que ça veut dire zbé…..comme vous dites ?
-- J’ai l’impression que non seulement tu vas apprendre ton métier ici mais en même temps, tu étudieras le langage judéo-arabe ……...... faire du zbérote ou faire du cinéma, c’est kif kif bourricot.
Jeannot qui n’avait pipé mot de peur de faire déraper Sauveur se mêla de la conversation.
--Putain, Sauveur, dis-lui la vérité ! La coupe au rasoir, c’est pas n’importe quel coiffeur qui peut la réussir. Puis s'adressant à l'apprenti : Tous les coiffeurs, y peuvent manier la tondeuse mais savoir manier le rasoir, y a que les artistes qui le peuvent ! Comme  Vincent de la rue Rosetti. Maintenant, si ton patron il en est incapable…..,
--Continues et j’te fais le sourire kabyle! L’interrompit Sauveur, faussement énervé.
--Le sourire kabyle…. ? S’enquit Yvon très étonné du parler de son patron.
--Le sourire kabyle, c’est trancher la gorge d’une oreille à l’autre !
L’étonnement effrayé du petit apprenti déclencha le rire du salon.
--Ne t’inquiète pas, fils, c’est une façon de parler ! Comment je gagne ma vie si j’égorge mes clients ?
 
La clientèle, qui venait simplement se faire couper les cheveux, n’aimait pas poireauter au milieu des palabres, des rires et des plaisanteries douteuses. Elle préférait faire les cent pas sur le trottoir en grillant une cigarette ou s’assoir à la Grande Brasserie qui attenait le salon.
Charge à Yvon d’aller prévenir le client que son tour arrivait. Mais attention, s’il avait une seconde de retard, Sauveur y respectait le vieil adage : Premier arrivé, premier servi.
La Grande Brasserie était un café si renommé que Sauveur avait sauté à pieds joints sur l’occasion sitôt connue l’envie de monsieur Ferrari de vendre son  fonds de commerce. La banque avait mis la main à la poche assurée par la proximité de la Grande Brasserie qui attirait la jeunesse comme des mouches à miel. Autant dire que  la clientèle des buveurs d’anisette  était un réel vivier pour les commerces environnants.
 *****
Je rentre tout content de ma journée. Châ, châ, je suis fatigué mais c’est une bonne journée assortie d’une bonne recette. Pour mon malheur, je me laisse  choir (chof, le langage châtié)  sur la chaise longue en lâchant un ouf de fatigue et de satisfaction.
--Dis j’ai pas envie que tu me tombes dans un lit !
Presque ma mère,elle m’engueule !
--Mais man, plus je fais des clients, et plus je gagne de l’argent, donc plus je me fatigue, c’est normal !
--Peut-être, mais ta santé, monsieur le coiffeur, elle passe  avant tout ! Tu aurais pas pu faire comme Tonton Robert et travailler à l’EGA, non ? Jamais, y bouge de sa chaise !
Purée, les mères de chez nous ! Y en a qui diraient quelles plaies, moi je dis quel bonheur !
Une mère d’Algérie si le mauvais sang  y fait pas partie  de sa panoplie, on est capable de l’expulser du pays, alors ! A partir du moment où j’ai assimilé cette donnée fondamentale, plus rien ne peut m’arriver. Je dis Amen à tout et puis, je passe à autre chose.
Ce soir, je vois la vie en Technicolor. Pas encore en cinémascope mais chi va piano, va sano ! Zarmah, je parle italien. Je me délasse sur la chaise longue en écoutant l'émission de Radio Alger, "les maitres du mystère" mais, la vérité, il me vient une envie de me rouler dans le stupre et la fornication.
--Man,je vais chez Victor !
--Mon fils, repose-toi !
--Man !
--Bon, allez, va ! Mais rase les murs, c’est le couvre-feu !
--Man, il habite en face !
Je monte quatre à quatre ! Je sonne. Rosa, elle m’ouvre en peignoir brillant. On dirait qu’elle m’attendait. Aya zoumbo ! Elle a juste le temps d’ouvrir la bouche que déjà je la jette sur le lit.
Purée, la gobia ! Un véritable mort de faim. Matrafche, elle donne pas sa part au chien.  Amman, on dirait qu’elle a été au pain et à l’eau durant un mois. Total, y a deux jours, je lui ai tapé  la chevauchée fantastique. Ce soir, c’est plutôt le plus sauvage d’entre tous. Mais quand même, c’était souâ-souâ ! Heu-reux !

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