--Sauveur, tu es
capable de faire la coupe au rasoir ?
Jeannot,
toujours il est à la dernière mode. Même s’il faut se mettre une plume là où je
pense, il est capable de le faire pourvu qu’on le remarque !
--j’te fais même
la coupe de champagne si tu payes!
Envoyez
la monnaie.
--Alors, tu me
coiffes à la Marlon Brando ?
--Tu préfères
pas à la Yul Brynner ?
--Allez arrêtes
de plaisanter avec ton rasoir à la main !
Yvon,
le jeune apprenti embauché le matin même, s’approche pour admirer le travail de
l’artiste.
--A quoi ça
sert, la coupe au rasoir, m’ssieu ?
--Zarmah, ça
fait plusse mieux que la tondeuse.
--M’ssieu,
qu’est-ce que ça veut zarmah ?
--Soit disant
dans le langage judéo-arabe!
--Alors, à vous
entendre, la coupe au rasoir, ça sert à rien ?
--C’est du zbérote !
Ça sert seulement à me remplir les poches !
--Qu’est-ce que
ça veut dire zbé…..comme vous dites ?
-- J’ai
l’impression que non seulement tu vas apprendre ton métier ici mais en même
temps, tu étudieras le langage judéo-arabe ……...... faire du zbérote ou faire
du cinéma, c’est kif kif bourricot.
Jeannot
qui n’avait pipé mot de peur de faire déraper Sauveur se mêla de la
conversation.
--Putain, Sauveur,
dis-lui la vérité ! La coupe au rasoir, c’est pas n’importe quel coiffeur qui
peut la réussir. Puis s'adressant à l'apprenti : Tous les coiffeurs, y peuvent manier la tondeuse
mais savoir manier le rasoir, y a que les artistes qui le peuvent ! Comme Vincent de la rue Rosetti. Maintenant, si ton patron il en est incapable…..,
--Continues et
j’te fais le sourire kabyle! L’interrompit Sauveur, faussement
énervé.
--Le sourire
kabyle…. ?
S’enquit Yvon très étonné du parler de son patron.
--Le sourire
kabyle, c’est trancher la gorge d’une oreille à l’autre !
L’étonnement
effrayé du petit apprenti déclencha le rire du salon.
--Ne t’inquiète
pas, fils, c’est une façon de parler ! Comment je gagne ma vie si j’égorge
mes clients ?
La
clientèle, qui venait simplement se faire couper les cheveux, n’aimait pas poireauter au milieu des palabres, des rires
et des plaisanteries douteuses. Elle préférait faire les cent pas sur le
trottoir en grillant une cigarette ou s’assoir à la Grande Brasserie qui
attenait le salon.
Charge
à Yvon d’aller prévenir le client que son tour arrivait. Mais attention, s’il
avait une seconde de retard, Sauveur y respectait le vieil adage : Premier
arrivé, premier servi.
La
Grande Brasserie était un café si renommé que Sauveur avait sauté à pieds
joints sur l’occasion sitôt connue l’envie de monsieur Ferrari de vendre son fonds de commerce. La banque avait mis la main
à la poche assurée par la proximité de la Grande Brasserie qui attirait la
jeunesse comme des mouches à miel. Autant dire que la clientèle des buveurs d’anisette était un réel vivier pour les commerces
environnants.
Je
rentre tout content de ma journée. Châ, châ, je suis fatigué mais c’est une
bonne journée assortie d’une bonne recette. Pour mon malheur, je me laisse choir (chof, le langage châtié) sur la chaise longue en lâchant un ouf de fatigue
et de satisfaction.
--Dis j’ai pas
envie que tu me tombes dans un lit !
Presque ma mère,elle
m’engueule !
--Mais man, plus
je fais des clients, et plus je gagne de l’argent, donc plus je me fatigue,
c’est normal !
--Peut-être, mais
ta santé, monsieur le coiffeur, elle passe avant tout ! Tu aurais pas pu faire comme
Tonton Robert et travailler à l’EGA, non ? Jamais, y bouge de sa
chaise !
Purée,
les mères de chez nous ! Y en a qui diraient quelles plaies, moi je dis
quel bonheur !
Une
mère d’Algérie si le mauvais sang y fait
pas partie de sa panoplie, on est capable de l’expulser du pays, alors ! A
partir du moment où j’ai assimilé cette donnée fondamentale, plus rien ne peut
m’arriver. Je dis Amen à tout et puis, je passe à autre chose.
Ce
soir, je vois la vie en Technicolor. Pas encore en cinémascope mais chi va
piano, va sano ! Zarmah, je parle italien. Je me délasse sur la chaise
longue en écoutant l'émission de Radio Alger, "les maitres du mystère" mais, la vérité, il me vient une
envie de me rouler dans le stupre et la fornication.
--Man,je vais
chez Victor !
--Mon fils,
repose-toi !
--Man !
--Bon, allez,
va ! Mais rase les murs, c’est le couvre-feu !
--Man, il habite
en face !
Je
monte quatre à quatre ! Je sonne. Rosa, elle m’ouvre en peignoir brillant. On
dirait qu’elle m’attendait. Aya zoumbo ! Elle a juste le temps d’ouvrir la
bouche que déjà je la jette sur le lit.
Purée,
la gobia ! Un véritable mort de faim. Matrafche, elle donne pas sa part au
chien. Amman, on dirait qu’elle a été au
pain et à l’eau durant un mois. Total, y a deux jours, je lui ai tapé la
chevauchée fantastique. Ce soir, c’est plutôt le plus sauvage d’entre tous. Mais quand même, c’était
souâ-souâ ! Heu-reux !
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