LA
TRANSPARENCE IDENTITAIRE
Les temps anciens confinaient les
populations dans des territoires étroits où la promiscuité permettait la
transparence identitaire. En Afrique du Nord et tout autour du bassin
méditerranéen, les différentes communautés créaient des quartiers à leur image.
Les espagnols, les italiens, les maltais, les juifs, les arabes se repliaient
sur eux-mêmes, attirant les nouveaux arrivants vers ces quartiers pittoresques
qui revendiquaient une appartenance ethnique ou religieuse. Les moyens de
locomotion balbutiaient encore et les distances ne s'allongeaient que de
quelques hectomètres par an. Dès lors, il était aisé de se marier dans sa rue
comme les villageois se mariaient dans leurs villages. Les épousailles se
négociaient autour d'une anisette, d'une bourrah ou d'un ouzo et les nouveaux
nés arrondissaient les cercles de famille. Les prénoms Miguel, Pedro, Francisco
complétaient les patronymes de Soler, Munoz ou Solbès; les petits Luigi,
Gianluca, Cesaré adoptaient les noms de Liguori, Capomazza ou Pappalardo et les
bébés Moïse, Jonas ou Abner s'accouplaient aux noms de Dahan, Lévy ou Zenouda.
De nos jours, les peuples en cavale
caracolent tout autour de la planète. Les distances raccourcies brassent les
enfants de tous pays. Le langage des mots et des idées a tendance à
s'uniformiser. Les temps modernes violent les traditions humaines de nos
parents et, même si la leçon tourne encore dans nos têtes, l'inexorable est en
marche. Le comportement de ces peuples déracinés varie selon les époques, les
climats et les sociétés. Le juif n'échappe pas à la règle. Au fil des années,
il aura apprivoisé la langue, les moeurs, le drapeau du pays d'accueil. Il
pensera français en France, Américain en Amérique, Israélien en Israël, et
c'est humain. Mais il gardera toujours en lui cette flamme, cette façon bien à
lui de penser, de raisonner, d'appréhender la vie, de se préparer à l'adversité
dans ses rapports avec autrui, cette propension à la tristesse et à la joie
selon les moments, cette exubérance et ce sens du tragique. Une différence,
tout simplement!
Cette différence s'inscrit aussi
dans sa reconnaissance du juif. On se sent, on se sait juif. On sait juifs, les
autres! Par des expressions entrecoupées de mots yiddish ou arabes, par de
petits signes distinctifs ignorés des "autres" mais repérés par un
œil exercé, par des petits riens à l'évocation de la mère, par le respect dû au
père qui voit un fils refuser de fumer devant son géniteur, par la superstition
qui habille chaque propos, par le cinq dressé devant "les yeux", par
une multitude de gestes empruntés à la mythologie juive: le juif reconnaît le
juif. Mais le premier passeport du judaïsme figure dans le patronyme israélite.
Que disparaisse cette carte d'identité, ce moyen de s'identifier à une nation,
à un peuple, à une communauté, et le temps se chargera de brouiller les cartes
d'une façon telle que les savants, eux-mêmes, ne s'y retrouveront plus.
Alors, face à l'iniquité dont est
victime son enfant, le père juif, sans renier son choix, porte sur ses épaules
la douloureuse interrogation qui brûle ses lèvres et se résume en une phrase :
--" Ai-je, par mon choix, coupé
le cordon ombilical qui relie le judaïsme au patronyme que m'ont confié mes
aïeux ?"
La réponse à cette question qui
prend toute sa dimension lors d'une fête religieuse, d'une veillée de shabbat,
d'une Bar Misvah ou d'un mariage béni par le judaïsme se révèle à l'ombre du
conservatisme hébraïque.
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