mardi 15 septembre 2015

Extrait de "DIASPORA ET JUDAISME, L'enfance sacrifiée des mariages mixtes" de Hubert Zakine

LA TRANSPARENCE IDENTITAIRE
Les temps anciens confinaient les populations dans des territoires étroits où la promiscuité permettait la transparence identitaire. En Afrique du Nord et tout autour du bassin méditerranéen, les différentes communautés créaient des quartiers à leur image. Les espagnols, les italiens, les maltais, les juifs, les arabes se repliaient sur eux-mêmes, attirant les nouveaux arrivants vers ces quartiers pittoresques qui revendiquaient une appartenance ethnique ou religieuse. Les moyens de locomotion balbutiaient encore et les distances ne s'allongeaient que de quelques hectomètres par an. Dès lors, il était aisé de se marier dans sa rue comme les villageois se mariaient dans leurs villages. Les épousailles se négociaient autour d'une anisette, d'une bourrah ou d'un ouzo et les nouveaux nés arrondissaient les cercles de famille. Les prénoms Miguel, Pedro, Francisco complétaient les patronymes de Soler, Munoz ou Solbès; les petits Luigi, Gianluca, Cesaré adoptaient les noms de Liguori, Capomazza ou Pappalardo et les bébés Moïse, Jonas ou Abner s'accouplaient aux noms de Dahan, Lévy ou Zenouda.
De nos jours, les peuples en cavale caracolent tout autour de la planète. Les distances raccourcies brassent les enfants de tous pays. Le langage des mots et des idées a tendance à s'uniformiser. Les temps modernes violent les traditions humaines de nos parents et, même si la leçon tourne encore dans nos têtes, l'inexorable est en marche. Le comportement de ces peuples déracinés varie selon les époques, les climats et les sociétés. Le juif n'échappe pas à la règle. Au fil des années, il aura apprivoisé la langue, les moeurs, le drapeau du pays d'accueil. Il pensera français en France, Américain en Amérique, Israélien en Israël, et c'est humain. Mais il gardera toujours en lui cette flamme, cette façon bien à lui de penser, de raisonner, d'appréhender la vie, de se préparer à l'adversité dans ses rapports avec autrui, cette propension à la tristesse et à la joie selon les moments, cette exubérance et ce sens du tragique. Une différence, tout simplement!
Cette différence s'inscrit aussi dans sa reconnaissance du juif. On se sent, on se sait juif. On sait juifs, les autres! Par des expressions entrecoupées de mots yiddish ou arabes, par de petits signes distinctifs ignorés des "autres" mais repérés par un œil exercé, par des petits riens à l'évocation de la mère, par le respect dû au père qui voit un fils refuser de fumer devant son géniteur, par la superstition qui habille chaque propos, par le cinq dressé devant "les yeux", par une multitude de gestes empruntés à la mythologie juive: le juif reconnaît le juif. Mais le premier passeport du judaïsme figure dans le patronyme israélite. Que disparaisse cette carte d'identité, ce moyen de s'identifier à une nation, à un peuple, à une communauté, et le temps se chargera de brouiller les cartes d'une façon telle que les savants, eux-mêmes, ne s'y retrouveront plus.
 
L'enfance refusée par le judaïsme mais portée par son identité patronymique, assise entre deux chaises, à mi-chemin de deux religions monothéistes, héritière de deux cultures se retrouve, pourtant, orpheline, en plein désarroi, ni tout à fait juive, ni pleinement adepte de la religion maternelle. Démunie de toute appartenance cultuelle, déboutée du droit élémentaire à regarder l'Eternel dans les yeux, paria dans une synagogue comme dans une église, une mosquée ou quelque temple que ce soit, elle est la victime d'un crime d'amour commis par ses parents. L'intransigeance du judaïsme la condamne à errer vers un hypothétique dieu qui lui ouvrirait son cœur. Les sectes y puisent la sève, la source vive de leur fanatisme car le dépit amoureux de cette enfance rejetée, les pousse dans les bras de quiconque saura flatter et recueillir ces déshérités de Dieu.
Alors, face à l'iniquité dont est victime son enfant, le père juif, sans renier son choix, porte sur ses épaules la douloureuse interrogation qui brûle ses lèvres et se résume en une phrase :
--" Ai-je, par mon choix, coupé le cordon ombilical qui relie le judaïsme au patronyme que m'ont confié mes aïeux ?"
La réponse à cette question qui prend toute sa dimension lors d'une fête religieuse, d'une veillée de shabbat, d'une Bar Misvah ou d'un mariage béni par le judaïsme se révèle à l'ombre du conservatisme hébraïque.

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