Il erra dans son
nouveau quartier à la recherche d’un café où poser sa solitude. Trouver une
nounou devint son unique obsession. Choyer sa petite chérie, poser un onguent
sur sa peine qui ne manquera pas de surgir à chaque fête des mères, répondre
avec doigté et intelligence aux questions d’une petite orpheline, telles
étaient les qualités demandées à la perle
rare qu’il avait un mal fou à dénicher. Il resta toute la matinée à feuilleter
Nice matin, à regarder deux jeunes amoureux échanger tendres promesses et rires
insouciants, à écouter les commentaires sportifs de pseudo-techniciens en
attendant l’heure de la sortie de la maternelle. Deux petits bras s’agrippant à
son cou, une petite menotte cherchant la sécurité chaleureuse de la main de son
père, et la vie lui parut belle et désespérante! Le jour pour rire avec Eva, la nuit pour pleurer Suzy, telle était
son programme !
En franchissant, avec Eva, le
seuil de l’entrée de son immeuble, il devança une vieille femme qui portait un
couffin bien trop lourd pour elle.
--Laissez madame ! Je vais vous aider!
--Oh, monsieur, vous êtes gentil.
Sidney s’effaça
pour laisser passer la dame dans l’ascenseur.
--Comment tu t’appelles joli petit cœur ?
--Je m’appelle Eva Azoulay ! répondit Eva avec aplomb.
Sidney en souriant
questionna avant d’appuyer sur les boutons de l’ascenseur.
--A quel étage ?
--Au cinquième !
--Mon papa et moi, on habite aussi au cinquième
étage !
--Alors, on est voisins !
L’ascenseur stoppa
et toujours aussi galant, Sidney
ouvrit les deux portes battantes. La vieille dame proposa à Eva de la devancer
et, à son tour, sortit sur le palier.
--Je ne veux pas vous ennuyer mais je voudrais vous
remercier en donnant un petit quelque chose pour Eva.
--Vous êtes gentille mais elle n’a pas beaucoup de temps
pour déjeuner. Ce soir, si vous voulez…….
--C’est tout au fond, famille Bénichou ! Précisa- t-elle en appuyant bien sur le nom.
Sidney, complice,
sourit et promit :
--Elle viendra vous voir à 17 heures ! Bon appétit,
madame Bénichou !
La vieille dame apprécia
le baiser d’Eva et de son père à la mezouza cloué au chambranle de la porte. Elle
attendit que ses nouveaux voisins ferment leur porte, entra dans son
appartement et s’adressa à son mari en train de terminer une réussite.
--Les voisins d’à côté s’appellent Azoulay. Ils ont une
petite fille adorable. Le père m’a aidé à porter mon panier. Contrairement à
toi ! L’informa-t-elle tout en n’omettant pas de
lui glisser un reproche.
-- Nouvelles générations, nouvelles pratiques ! Répliqua avec fatalité son époux.
La famille Bénichou
était native de Tlemcen, surnommée la
petite Jérusalem, par son passé hébraïque illustré par le Rab Ephraïm Enkaoua
qui fut une grande figure du judaïsme d’Algérie.
Ils accueillirent
avec satisfaction la présence d’une famille juive au sein de leur immeuble afin
de se rendre de menus services.
Lorsqu’Eva frappa à
leur porte, madame Benichou l’accueillit avec un grand sourire. Toute
pomponnée, elle sembla bien plus reposée que le matin même. D’une voix très
douce, elle invita ses voisins à franchir le seuil puis elle offrit sa main à
Eva en murmurant un viens, ma chérie qui plut énormément à Sidney. La vieille dame
au chignon impeccable présenta les deux hommes et entraina sa petite invitée à
la cuisine.
--Elle a gouté ? Demanda-t-elle
par acquis de conscience sans écouter la réponse.
--Oui ! Répondit Sidney en
élevant la voix.
Léon Bénichou était
un de ces hommes façonné par la terre d’Algérie et, faisant partie du peuple du
livre, feuilletait un gros volume retraçant l’épopée à travers la méditerranée
des sépharades.
-- J’espère que l’arrivée de ma fille ne vous
dérange pas ?
--Vous plaisantez ! Un papillon dans la maison ne
peut que faire du bien à ma femme. Et si ça fait du bien à Lisette, que
demander de plus ? Vous êtes niçois ?
--Par la force des choses mais je suis natif
d’Alger ! Et vous n’avez pas besoin de me dire d’où vous venez, le cadre
de la tombe du Rab de Tlemcen parle pour vous !
Lisette Bénichou
apparut en tenant toujours Eva par la main ce qui déclencha chez son mari une
pointe d’ironie.
--Tu peux lui lâcher la main, elle ne s’envolera pas !
--Eh ben dis, j’ai le droit, non ?
Elle semblait
tellement heureuse qu’elle ne s’attarda guère à cette escarmouche avec son
époux.
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