jeudi 13 août 2015

LES SENTIMENTS D'AUTREFOIS DE HUBERT ZAKINE


Il erra dans son nouveau quartier à la recherche d’un café où poser sa solitude. Trouver une nounou devint son unique obsession. Choyer sa petite chérie, poser un onguent sur sa peine qui ne manquera pas de surgir à chaque fête des mères, répondre avec doigté et intelligence aux questions d’une petite orpheline, telles étaient les qualités  demandées à la perle rare qu’il avait un mal fou à dénicher. Il resta toute la matinée à feuilleter Nice matin, à regarder deux jeunes amoureux échanger tendres promesses et rires insouciants, à écouter les commentaires sportifs de pseudo-techniciens en attendant l’heure de la sortie de la maternelle. Deux petits bras s’agrippant à son cou, une petite menotte cherchant la sécurité chaleureuse de la main de son père, et la vie lui parut belle et désespérante!  Le jour pour rire avec  Eva, la nuit pour pleurer Suzy, telle était son programme !

En franchissant, avec Eva, le seuil de l’entrée de son immeuble, il devança une vieille femme qui portait un couffin bien trop lourd pour elle.

--Laissez madame ! Je vais vous aider!

--Oh, monsieur, vous êtes gentil.

Sidney s’effaça pour laisser passer la dame dans l’ascenseur.

--Comment tu t’appelles joli petit cœur ?

--Je m’appelle Eva Azoulay ! répondit Eva  avec aplomb.

Sidney en souriant questionna avant d’appuyer sur les boutons de l’ascenseur.

--A quel étage ?

--Au cinquième !

--Mon papa et moi, on habite aussi au cinquième étage !

--Alors, on est voisins !

L’ascenseur stoppa et toujours aussi galant, Sidney ouvrit les deux portes battantes. La vieille dame proposa à Eva de la devancer et, à son tour, sortit sur le palier.

--Je ne veux pas vous ennuyer mais je voudrais vous remercier en donnant un petit quelque chose pour Eva.

--Vous êtes gentille mais elle n’a pas beaucoup de temps pour déjeuner. Ce soir, si vous voulez…….

--C’est tout au fond, famille Bénichou ! Précisa- t-elle en appuyant bien sur le nom.

Sidney, complice, sourit et promit :

--Elle viendra vous voir à 17 heures ! Bon appétit, madame Bénichou !

La vieille dame apprécia le baiser d’Eva et de son père à la mezouza cloué au chambranle de la porte. Elle attendit que ses nouveaux voisins ferment leur porte, entra dans son appartement et s’adressa à son mari en train de terminer  une réussite.

--Les voisins d’à côté s’appellent Azoulay. Ils ont une petite fille adorable. Le père m’a aidé à porter mon panier. Contrairement à toi ! L’informa-t-elle tout en n’omettant pas de lui glisser un reproche.

-- Nouvelles générations, nouvelles pratiques ! Répliqua avec fatalité son époux.

La famille Bénichou était native de Tlemcen, surnommée  la petite Jérusalem, par son passé hébraïque illustré par le Rab Ephraïm Enkaoua qui fut une grande figure du judaïsme d’Algérie.

Ils accueillirent avec satisfaction la présence d’une famille juive au sein de leur immeuble afin de se rendre de menus services.

Lorsqu’Eva frappa à leur porte, madame Benichou l’accueillit avec un grand sourire. Toute pomponnée, elle sembla bien plus reposée que le matin même. D’une voix très douce, elle invita ses voisins à franchir le seuil puis elle offrit sa main à Eva en murmurant  un viens, ma chérie qui plut énormément à Sidney. La vieille dame au chignon impeccable présenta les deux hommes et entraina sa petite invitée à la cuisine.

--Elle a gouté ? Demanda-t-elle par acquis de conscience sans écouter la réponse.

--Oui ! Répondit Sidney en élevant la voix.

Léon Bénichou était un de ces hommes façonné par la terre d’Algérie et, faisant partie du peuple du livre, feuilletait un gros volume retraçant l’épopée à travers la méditerranée des sépharades.
-- J’espère que l’arrivée de ma fille ne vous dérange  pas ?
--Vous plaisantez ! Un papillon dans la maison ne peut que faire du bien à ma femme. Et si ça fait du bien à Lisette, que demander de plus ? Vous êtes niçois ?
--Par la force des choses mais je suis natif d’Alger ! Et vous n’avez pas besoin de me dire d’où vous venez, le cadre de la tombe du Rab de Tlemcen parle pour vous !
Lisette Bénichou apparut en tenant toujours Eva par la main ce qui déclencha chez son mari une pointe d’ironie. 
--Tu peux lui lâcher la main, elle ne s’envolera pas !
--Eh ben dis, j’ai le droit, non ?
Elle semblait tellement heureuse qu’elle ne s’attarda guère à cette escarmouche avec son époux.
 

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