jeudi 27 août 2015

LE SOUFFLE DU SIROCCO DE HUBERT ZAKINE


 
La mère de Paulo habitait  un bel immeuble de la place Masséna. Les cinq garçons s’étaient mis sur leur trente et un par respect pour leur hôtesse qui les avait connus hauts comme trois pommes. Combien devait être douloureuse la descente aux enfers de cette maman d’Algérie qui voyait son « petit » s’éteindre peu à peu sans pouvoir changer le cours des évènements. Ils s’arrêtèrent chez le fleuriste afin de ne pas arriver les mains vides.
--Tain, ma mère préférait refuser les invitations que de se pointer une main devant, une main derrière. Mais, la vérité, elle n’en faisait pas une maladie ! Rappela Richard qui se souvenait du porte-monnaie désargenté de sa mère.
Avant d’activer la sonnette, ils se mirent à la queue leu-leu avec Jacky en paravent et Roland qui fermait le ban.
--Bonjour mes enfants ! Entrez ! Et alors que rien ne le laissait prévoir, elle se mit à sangloter. Etait-ce l’émotion qui l’avait envahie en revoyant les amis de son fils ou bien l’image de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de Paulo ? Tous l’entourèrent avec prévenance. Victor réussit à la faire sourire.
--Alors, comment vous trouvez les chitanes qui vidaient votre frigidaire en faisant les devoirs?
--Surtout qui adoraient votre tchouktchouka ? Précisa Richard qui déposa deux bises  sonores sur les joues de son hôtesse.
--Cinq, vous êtes magnifiques ! Jura-t-elle en ouvrant la main devant eux, protégeant ses invités par ce geste millénaire.
Les larmes au coin des yeux, elle faisait un effort surhumain pour ne pas s’effondrer. Alors, Jacky l’entoura de son bras et la dirigea au balcon.
--Je sais ce que vous ressentez mais pour Paulo, nous, ses amis, on ravale nos larmes. Faites du mieux que vous pourrez pour lui donner ce bonheur qu’il a voulu vous faire en organisant cette réunion. Il est en présence de ses frères d’amitié et de sa mère chérie. Alors, même si c’est un effort surhumain, faites-le pour Paulo. Et pour vous. Quelle plus belle vision que de le voir heureux !
--Je sais, mon fils mais, le voir rire avec vous, comme quand vous étiez petits, ça me torture en pensant que demain, il ne sera plus là !
--Je sais, c’est cruel mais chez nous, on dit que l’Eternel  veut l’avoir près de lui !
La mère de Paulo prit le visage de Jacky dans un geste empli d’amour pour ce garçon qu’elle avait vu naitre et l’embrassa sur les  joues.
--Merci, mon fils ! Que Dieu t’écoute et ……t’entende !
Elle pria Jacky de rejoindre ses amis qui appréhendaient l’attitude de la maitresse de maison. A voir son sourire, le nuage avait déserté son ciel. Le visage fermé de Paulo s’apaisa. La journée pouvait vraiment commencer.
Un menu de gala à la sauce algéroise agrémenté de rire et d’amitié  fut proposé à leur fringale.
--Purée, vous nous avez préparé une tchouktchouka ? Se délecta Victor qui avait les yeux plus gros que le ventre.
--Attention, vous me vexeriez si vous ne finissez pas vos assiettes ! Avertit, en mère de famille orientale, la maman de Paulo.
--Soyez sans crainte ! Avec les morfals qui sont autour de votre table……
--Et l’odeur qui se dégage de la cuisine ! Ajouta Richard empêchant Victor de dire des bêtises.
Paulo mangeait peu, emmagasinant les images mémorables de cette journée. Sa mère, comme toutes les mamans d’Algérie, s’escrimait à remplir les assiettes aussitôt qu’elles étaient vidées.
--Manman, assieds-toi ! Viens manger avec nous ! Supplia Paulo approuvé en écho par ses amis.
Avant de s’assoir, elle ouvrit les fenêtres en grand pour que le timide soleil niçois participe au déjeuner.
--Hou, il fait ramah  aujourd’hui ! Où il est le soleil de chez nous ?
--Il cognait tellement fort qu’on pouvait pas se passer du rideau de soleil au risque d’attraper une insolation! Ajouta Paulo qui revivait le  bon temps de sa jeunesse. Peu lui importait les années niçoises, seules comptaient dans son calendrier du tendre, les années algéroises. Lorsqu’il était un chitane aux yeux des grandes personnes alors qu’il n’était qu’un enfant remuant, que l’école le libéra de l’emprise de sa mère et de sa grand-mère qui se liguaient pour le protéger au-delà du raisonnable et qu’il  s’émancipa au sein du scoutisme et du judaïsme à l’Alliance pour apprendre le talmud thora, une multitude de petits souvenirs qui remontèrent à la surface lorsqu’apparut la funeste maladie. Revivre son enfance, entouré de ses amis qui lui faisaient le suprême cadeau d’accompagner sa quête d’autrefois était son ultime caprice. Après le repas, la maman de Paulo abandonna  les garçons pour une petite sieste réparatrice. Ils étaient là, à digérer le barbouche algérois qui avait déserté leur table depuis la déchirure de l’indépendance. Comme aurait été belle la vie si l’âge adulte ne les avait pas surpris sur un autre trottoir. Si l’amitié avait pris ces quartiers d’été en Algérie au lieu de se perdre aux quatre coins de la terre.

--Si on était restés à Alger, on se serait mariés avec nos amours d’enfance, on aurait habité pas loin les uns des autres, on aurait continué à se voir et nos enfants seraient amis. C’est pêché ! Richard parlait tout seul, les yeux dans le vague. Victor approuvait en sirotant son café tandis que Paulo vivait l’instant présent avec délectation. Il savait gré à ses amis de lui faire oublier, pour un temps, la dame en noir. Il était bien !

Malgré d’évidents efforts, Roland ne parvenait pas à jouer la comédie contrairement à Jacky qui plaisantait à tous propos alors qu’il était le plus proche de Paulo.

Dès leur naissance, ils avaient habité au 10 rue Rochambeau. A l’étage, les portes ouvertes sur le palier facilitèrent l’amitié des deux familles. A trois mois d’intervalle, les épouses accouchèrent et, afin de renforcer les liens qui unissaient les couples, elles allaitèrent de concert Jacky et Paulo. Lorsqu‘une maman n’avait pas assez de lait, ce fut tout naturellement l’autre maman qui la suppléa. Ainsi, les deux bébés furent déclarés frères de lait et cette fratrie les combla de fierté.

Jacky avait su faire abstraction de sa douleur pour ne penser qu’à son ami et son désir de revivre une partie de son passé algérois.

Au moment de quitter l’appartement de la place Massena, la mère de Paulo redevint une mère juive qui  édicta mille recommandations. Elle embrassa avec tendresse et reconnaissance les amis de son fils en jetant un verre d’eau par la fenêtre, les invitant par ce geste millénaire à revenir sur leurs pas tel le ressac sur la grève. La mystique judéo arabe de la casbah était toujours là !

Ils trimballèrent leur amitié sur la promenade des Anglais, se souvenant de la bande de Bab El Oued qui montait en ville pour le simple plaisir de tâter le pouls de la cité. Ils regardaient la mer et se croyaient là-bas.

--Ma parole, on se croirait pas à la Madrague ?

Roland connaissait déjà la réponse mais il posait la question pour donner la main à Paulo qui adorait cette plage distinguée à l’ouest d’Alger.

--Aouah ! Tu rigoles ! Notre plage, c’était du sable pas des galets et puis, la Madrague, c’était une station balnéaire, pas une ville encombrée de bagnoles comme Nice.

Roland avait réussi son coup. Paulo parlait, vantant sa Madrague comme s’il désirait convaincre son auditoire  en oubliant que ses amis étaient possédés par la même nostalgie. Une nostalgie d’enfance qui  brûlait ses dernières cartouches car les réminiscences algéroises se heurteraient à l’absence de Paulo lorsqu’elles frapperaient à la porte de leur mémoire désolée.

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