mercredi 12 août 2015

extrait de LE SOUFFLE DU SIROCCO de Hubert Zakine


Richard, affalé de tout son long dans une chaise longue, contemplatif comme le sont tous les écrivains, encouragea ses amis à lever les yeux.

--Regardez le ciel ! Les étoiles, elles nous tapent le coup de la séduction comme quand le cap Matifou s’illuminait de milliers de lumières.

--Oh, le poète, tch’as oublié qu’on est des illettrés. Tu parles bien avec la bouche ! Victor lui rétorqua avec une pointe d’ironie.

--Va niquer les mouches, va ! Dès qu’on parle le francaoui, tu déclares forfait.

--Obligé, de Fès où je parlais l’arabe, vous m’avez proposé le pataouète ! Alors, je suis perdu quand tu parles comme  Verlaine.

--Va te toucher, va ! Espèce de marocain de mes deux.

Un éclat de rire par-dessus et la soirée se poursuivit dans la bonne humeur. Paulo étonnait par sa disponibilité et ses réactions aux plaisanteries des uns et des autres qui n’étaient pas avares de persiflage. A vrai dire, il n’était jamais le dernier à lancer une boutade afin de déclencher le rire. Paulo restait tout simplement le Paulo de Bab El Oued, le Paulo de l’enfance à l’adolescence, le Paulo de toujours.

Ce fut une soirée mémorable qui laissa à Richard un goût amer  annonçant la perte programmée de Paulo. Il demeura sur la terrasse comme s’il refusait que le jour se lève et avec lui, la triste réalité qu’il fallait dominer. Il ferait semblant, il feinterait la bonne humeur. Il jouerait la pièce de sa vie pour Paulo. Il avait, plus d’une fois, déceler dans le regard de ses amis, la folle angoisse du lendemain. Le courage que montrait  l’amitié devant pareil tourment encourageait sa réflexion mais, au bout du bout de la tristesse, le visage hideux de la mort s’imposerait. Dormir pour ne plus penser était la seule alternative de l’instant. Demain sera un autre jour.

Roland lui apporta une couverture pour réchauffer son  cœur froid. L’abandon de la terre natale  entraina l’exil volontaire de Jacky et Roland en Israël et aux Etats Unis. Leur départ fut une blessure qui saigna un temps mais le temps assécha les larmes et l’affection par correspondance supplanta l’amitié physique. Et surtout, l’avion n’étant pas fait pour les chiens, demeurait l’espoir de se revoir. Mais Richard ne pouvait admettre la disparition de Paulo. 
--Vous deux, vous nous avez quitté pour un avenir meilleur, à Miami et à Netanya. On s’est consolé en pensant à votre bien-être  mais Paulo, la putain……………Paulo !
 Demain sera un autre jour. Bientôt, la litanie des jours tristes prendra l’amitié par la main pour la guider sur le chemin de l’avenir. Mais en attendant, il fallait rire à perdre haleine comme des enfants qui se retrouvent pour chanter à l’unisson et se souvenir d’une adolescence interrompue pour raison d’état, il fallait faire semblant, masquer l’émotion devant celui qui va mourir, échanger le tape-cinq sonore de la complicité. Ce sera leur façon de lui tenir la main sans être présent physiquement, de l’accompagner vers le royaume des cieux en empruntant le chemin des écoliers. Leur façon de lui murmurer à tue-tête qu’il sera toujours dans leurs cœurs quelle que soit la ville où ils poseront leurs valises d’apatride. Sans Paulo, ils se sentiront orphelins. Même si Jacky et Roland replanteront leurs   racines dans  un sol hospitalier, ils seront marqués à tout jamais. Mais les autres…………..
Richard à Paris, Victor à Marseille, Jacky à Netanya et Roland à Miami, le quintette algérois entamera une symphonie  inachevée à quatre mains.
 
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