vendredi 28 août 2015

Extrait de "LE COIFFEUR DE BAB EL OUED" que je viens de mettre en chantier

 
Neuf heures ! Aya Zoumbo, comme des gobieux, ils ont pris d’assaut Fort Alamo. Moi, l’autorité personnifiée, je me prends pour John Wayne sauf que John Wayne il a ni mon accent, ni mon phrasé. Quoi que le cheval de Pécos Bill y trône au fond du salon pour les petits qui ont peur du coiffeur.
--Soumlah Marsek! Ça sert à rien de vous exciter. Je vous ai distribué des tickets et si y a des resquilleurs, je leur tape une coupe à la bol de loubia !
Malgré les traditionnels rouspéteurs, le calme, il revient surtout que l’ancien propriétaire y s’en mêle :
--le premier qui ne respecte pas l’ordre, je lui tape la coupe Yul Brynner !
--Les cheveux blancs et la réputation de sportif méritent le respect ! Commente Maurice le boucher cachir attenant le salon.
L’ancien patron gère les clients tout en s’occupant de la tignasse de l’ami Blasco, patron de la boulangerie du coin qui se plaint comme toujours.
--Chantal, rien qu’elle me dit que ma tignasse, elle me mange la figure !
--Comme toutes les mères de chez nous !
--Ouais, mais Chantal c’est pas ma mère, c’est ma femme!
--Tu montes, tu descends, une femme c’est avant tout une mère, crois-moi, fils ! Expliqua Antoine Ferrari fort de son expérience.
Alain qui se prend pour le tombeur de ces dames, il en peut plus d’impatience. Monsieur, il a un rencart avec la petite Solivérès. Alors, obligé, tous les amis lui font la tête comme une pastèque.
--Oh Alain, la petite, elle sait que tu pisses encore au lit ?
--Le seul conseil que je te donne, c’est de l’emmener à l’air libre ! Insiste Paulo, le pince-sans-rire de la bande.
--Aouah, je vais l’emmener au cinoche.
--Malheur, surtout pas.
--Et pourquoi ça? S’inquiète Alain.
--C’est l’évidence ! Tu t’arrêtes pas de lâcher des mauvaises odeurs! Et comme c’est une fille raffinée.
--Va niquer les mouches, va !
La plaisanterie étant une seconde nature parmi les gens de Bab El Oued, je tiens comme à la prunelle de mes yeux à faire de mon salon un endroit où la rigolade est le nerf de la guerre. La rigolade et le football. D’abord, je vais recouvrir les murs des photos de matches que mon cousin Charlot qui travaille à la Dépêche Quotidienne m’a promis. Ensuite, cette tribune de supporters elle attirera la mauvaise foi comme un aimant. Purée, les joutes oratoires, elles vaudront tous les combats des lanciers du Bengale. Entre les chauvins du Gallia et de l’ASSE, il faudra que je prévois la garde nationale ou sinon, les morts y joncheronte le salon, j’exagère un tout petit chouïa !
Des fois, ma parole, les engueulades, elles suffisent pas. Alors maintenant qu’on est devenus grands, et qu’un peut plus se battre dans une entrée de maison comme des chiffonniers, une schkobe ou une botcha et l’affaire, elle est dans le sac. C’est fou ce qu’on aime parler avec les mains à Bab El Oued !
Une parenthèse pour appuyer mes dires : tous les amoureux de l’ASSE y se souviennent de cette inscription qui a rendu célèbre le café du stade de Saint-Eugène, "quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, on est mieux ici, qu’en face !" En face, y avait le cimetière !
Pour un match Gallia-Rua à Saint-Eugène, les spectateurs y z’ont mis le feu aux tribunes qui étaient en bois à l’époque, tout ça pour un pénalty. Le maire qui connaissait la devise prudence est mère de sureté, il a fait construire des tribunes en béton ! Fermez la parenthèse !
C’est vrai que chaque samedi et dimanche matin, au salon, les supporters y supputeront les chances de leurs équipes respectives et le lundi y critiqueront ou encenseront l’arbitre selon les résultats. Ça fait pas un pli !
Je coupe les cheveux et j’écoute. Rien que je me marre. Parce qu’attention, ils y vont pas avec le dos de la cuillère pour me critiquer.
--Purée, tu es chiche hein ! Ton eau de Cologne, elle sent pas l’eau de Cologne !
--Eh obligé, il la coupe avec de l’eau du robinet !
--Tu crois pas qu’il va te faire une friction avec Mitsouko de Gerlain ?
--Oh, d’où tu connais les parfums ?
--Mon père, il les vend, espèce d’ignare !
--Ton père, il les vend et mon père, il les fabrique chez Forvil ! Ça t’en bouche un coin, hein ?
Un court silence puis ça repart comme en quatorze.
--Sauveur, qu’est-ce que ça te fait d’avoir ton salon ?
Avant que j’aie pu répondre, les plaisanteries fusent.
--Ça lui en touche une sans faire bouger l’autre !
--Pourquoi, il en a deux ?
--A savoir ?
Je me défends comme je peux en prenant à témoin l’ancien propriétaire qui travaille à une vitesse grand V.
--Ils se tiennent une couche, hein, monsieur Ferrari ?
--On pourrait en faire un matelas mais t’inquiètes pas, fils, ma clientèle, elle était plus âgée mais tout aussi dérangée de la tête !
La bonne humeur environnante m’encourage à lâcher du lest.
--Je vous fais une fleur si vous rameutez vos parents la semaine prochaine.
--Une fleur de figue de barbarie ?
--Je fais gratuit toute la matinée mais attention, si vous me tapez une olive, je vous parle plus !
-- Houla, je vais te faire de la publicité dans tout Nelson !
--Et moi, rue Rochambeau et tout le coin! Et combien tu nous donnes ?
--J’te donne la moitié d’une tramousse.
La demi-journée elle est passée comme un avion à réaction. Malgré mes objections, ma mère, elle a tenu à faire bruler de l’encens pour enlever le mauvais œil et jeté quelques pièces de monnaie dans les coins du salon pour attirer l’argent selon une ancienne tradition judéo-arabe.
--Et surtout mon fils, tu les ramasses pas pendant un mois.
Elle voulait faire couler du sang de poisson bleu mais j’ai été intransigeant, j’ai dit Basta !
--Manman, le salon, y va puer pendant plusieurs jours !
A qui tu parles ? Bien faire et laisser dire.
Ni une, ni deux, elle ouvre son cabas, elle en sort un ruban rouge qu’elle attache après la selle du cheval censé amadouer les petits récalcitrants.
--Le ruban c’est pas du sang mais c’est rouge ! Et ça portera chance.
Amman, avec tous ses tours de passe-passe, si je fais pas fortune, je suis bon à jeter à la mer.
Il est midi et les copains y m’invitent à taper l’anisette comme si j’étais un tchitchepoune. Purée, si ma mère elle me voit avec tous les kilos de la Grande Brasserie, elle me fait un carnaval carabiné.
La khémia elle m’attire comme un aimant, pareil que les oublades et les tchelbas par le broumitche de mon oncle qui pourrait se voir décerner le titre de roi des appâts qui puent le plus du tout Alger. Les boules puantes, presqu’elles sentent la rose à côté !





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