vendredi 3 juillet 2015

extrait de LE SOUFFLE DU SIROCCO de Hubert Zakine.(ouvrage que je suis en train de terminer)


Au matin, Victor invita les amis à faire une virée à la plage. Et à nouveau réunis pour taper un bain, ils retrouvaient les plaisanteries de leur enfance, leurs élans juvéniles et surtout leur insouciance qui était la marque de fabrique des enfants d’Algérie. La plage était la caisse de résonnance de leur angoisse. Jacky, le plus volubile, s’étourdissait de rires et de tape-cinq comme si les heures à venir étaient les dernières à vivre. Inconsciemment, il regardait intensément Paulo, s’attardant sur lui tout en feignant de ne pas le voir. Il n’avait jamais su taire ses sentiments. Se conduisant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, il était brut de décoffrage, sans finesse, à l’état pur mais c’est ce qui le différenciait des autres, sans calcul et sans mensonge, il n’avait jamais été pris en défaut par son entourage et c’est la raison pour laquelle ses amis l’aimaient tant. Les amis  s’ébrouaient comme des poissons dans l’eau, plongeant dans cette méditerranée qui leur manquait tant.

--Putain, dé. On dirait qu’on est à la Madrague ! 

--La Madrague de Brigitte Bardot ? 

--Qué, Brigitte Bardot. Notre Madrague à nous! Tch’as oublié ou quoi ? 

Richard évoquait cette station balnéaire, le Saint-Tropez Algérois où le gratin de la capitale aimait se retrouver durant l’été dans des villas de standing et côtoyer les habitants locaux qui voyaient arriver une faune bon enfant. Une station balnéaire qui ne ressemblait en rien à la plage de Bab El Oued qui respirait la bonne franquette et le parler haut et fort. Non pas que la Madrague chuchotait et se donnait un genre mais, dès que le matin s’étirait sur la plage, les envahisseurs venus des stations environnantes s’évertuaient à se comporter à l’unisson des riverains en abandonnant leurs mauvaises  manières. 

--Même mort, j’oublie pas ! 

Sur l’instant, la gaffe que  venait de commettre Victor lui fouetta le visage. Paulo, avec toute l’amitié dont il était capable, ne montra aucune contrariété, ne relevant pas l’indiscipline de son ami peu habitué, il est vrai, à doser ses propos. Mais comment faire semblant ? Comment ne pas tenir compte de l’absence programmée par le destin et la maladie ? Faire comme si, ne figurait pas dans les manuels d’instruction civique du Cours Complémentaire Condorcet ni dans leur mentalité où tout se disait et rien ne se maquillait de faux semblants. Au pire, se devinaient les non-dits pour ne pas faire de peine à autrui. Et aujourd’hui, à l’ombre de la maladie de Paulo, il leur fallait désapprendre la spontanéité de la jeunesse.

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