Au
matin, Victor invita les amis à faire
une virée à la plage. Et à nouveau réunis pour taper un bain, ils retrouvaient
les plaisanteries de leur enfance, leurs élans juvéniles et surtout leur
insouciance qui était la marque de fabrique des enfants d’Algérie. La plage
était la caisse de résonnance de leur angoisse. Jacky, le plus volubile,
s’étourdissait de rires et de tape-cinq comme si les heures à venir étaient les
dernières à vivre. Inconsciemment, il regardait intensément Paulo, s’attardant
sur lui tout en feignant de ne pas le voir. Il n’avait jamais su taire ses
sentiments. Se conduisant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, il
était brut de décoffrage, sans finesse, à l’état pur mais c’est ce qui le
différenciait des autres, sans calcul et sans mensonge, il n’avait jamais été
pris en défaut par son entourage et c’est la raison pour laquelle ses amis
l’aimaient tant. Les amis s’ébrouaient comme des poissons dans l’eau, plongeant
dans cette méditerranée qui leur manquait tant.
--Putain, dé. On dirait qu’on est à
la Madrague !
--La Madrague de Brigitte
Bardot ?
--Qué, Brigitte Bardot. Notre
Madrague à nous! Tch’as oublié ou quoi ?
Richard
évoquait cette station balnéaire, le Saint-Tropez Algérois où le gratin de la
capitale aimait se retrouver durant l’été dans des villas de standing et
côtoyer les habitants locaux qui voyaient arriver une faune bon enfant. Une station
balnéaire qui ne ressemblait en rien à la plage de Bab El Oued qui respirait la
bonne franquette et le parler haut et fort. Non pas que la Madrague chuchotait
et se donnait un genre mais, dès que le matin s’étirait sur la plage, les
envahisseurs venus des stations environnantes s’évertuaient à se comporter à
l’unisson des riverains en abandonnant leurs mauvaises manières.
--Même mort, j’oublie
pas !
Sur
l’instant, la gaffe que venait de
commettre Victor lui fouetta le visage. Paulo, avec toute l’amitié dont il
était capable, ne montra aucune contrariété, ne relevant pas l’indiscipline de
son ami peu habitué, il est vrai, à doser ses propos. Mais comment faire
semblant ? Comment ne pas tenir compte de l’absence programmée par le
destin et la maladie ? Faire comme si, ne figurait pas dans les manuels
d’instruction civique du Cours Complémentaire Condorcet ni dans leur mentalité
où tout se disait et rien ne se maquillait de faux semblants. Au pire, se
devinaient les non-dits pour ne pas faire de peine à autrui. Et aujourd’hui, à
l’ombre de la maladie de Paulo, il leur fallait désapprendre la spontanéité de
la jeunesse.
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