jeudi 30 juillet 2015

Extrait de ET LA VIE CONTINUE...........de hubert zakine


MARIE ET RICHARD

Marie devait se rendre à l'évidence: Saint Cyr lui manquait. Et plus que Saint Cyr, l'écrivain  lui manquait. Elle ignorait pour quelles raisons elle s'était attachée à cet auteur mais il lui fallait se rendre à l'évidence, elle se languissait de ne pas le voir, de ne pas discuter avec lui et ne pas entendre son accent qui chantait si bien la nostalgie. Elle n'était pas amoureuse. Elle le savait tout au fond d'elle-même. Il était plus âgé  et, même si elle se défendait de prendre en compte le handicap, elle  ne pouvait l'ignorer. Non, elle n'était pas amoureuse mais elle se sentait bien auprès de lui sans en connaître la raison. Bien sûr, les similitudes avec son paternel étaient flagrantes mais son intérêt allait bien au-delà. Il lui fallait en avoir le cœur net. Elle décida de passer la journée sur la plage qui longe la promenade rose en espérant que le beau temps le ferait sortir. Marie arriva sur le coup de onze heures. Il était là, sur son banc, seul, attendant que le temps s'écoule, regardant au bout de l'horizon. Attiré par cette présence féminine qui lui fit détourner le regard, il reconnut sa correctrice. Elle était belle et pimpante, comme chaque fois qu'elle apparaissait. Semblant se promener sur un nuage,  elle glissait plus qu'elle ne marchait. Sa féminité pour seule parure. Elle était toute à la fois la femme qu'on avait envie d'aimer, la petite fille qu'on avait envie de  protéger et la jeune fille qu'on suivrait jusqu'au bout du monde. Mais pour avoir ces prétentions,   faudrait-il encore pouvoir marcher! Tous les jeunes hommes de la plage lorgnaient de son côté lorsqu'elle s'assit sur le banc.  En guise de bonjour et tout naturellement, elle embrassa  Richard sur les joues.  Quoique surpris, il reçut ces baisers comme une marque d'affection et rien de plus.

--Bonjour ma belle ! Vous êtes seule ?

--Oui, mais je savais que vous seriez là!

--Vous êtes bien sûre de vous ; j'aurais pu être en train de faire un marathon ou un match de foot!

Richard jouait la partition de l'autodérision mais Marie, en fine interlocutrice, ne releva point cette bouffonnerie qui, sans doute, lui coûtait bien plus qu'il ne le laissait paraître. Comme tous les solitaires, il se contenta d'écouter avant de trouver son rythme de croisière et ne plus dire de bêtises. Cela fut d'autant plus facile avec Marie, fille prolixe s'il en fut. Elle testait ses sentiments auprès de cet homme handicapé qui avait l'âge de son père. Cet homme qui vivait dans le passé au cœur de ses souvenirs. Cet homme qui l'émouvait et lui parlait du pays qui avait ensorcelé son paternel. Cet homme mûr lui plaisait mais il portait les séquelles de sa terrible attaque cardiovasculaire qu'elle ne pouvait ignorer. Malgré tout, elle posa quelques questions qui jetèrent le trouble dans l'esprit de Richard.

--Qui s'occupe de vous, pour le ménage, pour les courses, pour votre toilette, pour votre linge...............

--Une dame d'une association..........mais ça n'a pas grand intérêt.

S'il avait voulu couper court à toute introspection sur sa vie personnelle, il n'aurait pas répondu autrement. Marie n'en tînt pas compte et continua à tenter de cerner son entourage familier.

--Et vous n'avez personne qui vient vous voir ? Pourtant, les pieds noirs sont très famille ! Je me trompe ?

-- Non mais je ne voulais à aucun prix dépendre de quelqu'un et surtout pas de ma famille !

--Si je suis indiscrète, n'hésitez pas à m'envoyer sur les roses !

Encouragée par le silence de Richard, elle poursuivit :

--Pourquoi surtout pas votre famille !

--Parce que je n'ai pas voulu être  une plaie pour eux.   Mes frères m'ont proposé de remonter sur Paris mais j'ai prétexté le suivi de mes médecins. Vous savez, quand on ne peut plus rien faire sans demander de l'aide, les proches ont tendance à vous couver. Ils auraient été trop sollicités, non par moi, mais par leur affection. Aussi, j'ai préféré gérer mon handicap, seul comme un grand! La seule personne qui aurait pu m'accompagner était ma compagne mais elle a fui le pestiféré qu'elle voyait en moi. Voilà, les raisons toutes simples qui m'ont fait choisir la solitude.

--Mais votre compagne vous a abandonné du jour au lendemain ?

--Non mais elle a déposé les armes, tout simplement ! Elle a sans doute eu peur de ne pas être à la hauteur de ce qu'elle allait devoir supporter!  Toujours est-il que je me suis retrouvé seul au moment où j'avais le plus besoin d'elle. Alors, après moi, le déluge !
Plus il parlait et plus elle constatait l'injustice. Et plus, elle se rapprochait de cet homme qui jouait l'indifférence devant l'imprévisible  et inadmissible dérobade.  Cela le rendait plus fragile aux yeux de Marie qui comprenait bien au-delà des apparences. Cet homme souffrait en silence.
 

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