vendredi 17 juillet 2015

extrait de ET LA VIE CONTINUE....... de hubert zakine

RICHARD

         

Avant de l’envoyer à son éditeur, Richard termina la lecture de son dernier manuscrit, le matelassier de la casbah d’Alger, qui mêle habilement souvenirs d’enfance et événements réels. Le tout en utilisant avec bonheur le langage des français d’Algérie baigné d’orientalisme. Il était prêt à être soumis à la publication.
Sylvain Mani était le directeur des éditions Sévigné. Pied noir bon teint, il avait eu un coup de cœur lors de la lecture du premier manuscrit de Richard dont le titre «Alger, Romance inachevée» avait attiré son attention.
Depuis ce jour, était née une amitié basée sur la nostalgie du  pays natal.  La parution de cinq ouvrages avait  entretenu la relation éditeur-écrivain dont la complicité ne se démentit jamais. Richard avait su adapter le langage  des gens de son pays afin de  ne pas tomber dans le piège de l’exagération de la famille Hernandez.
Lorsque un méchant AVC le terrassa, il avait, bien malgré lui, mis son sixième ouvrage entre parenthèses. Son entourage pensa alors, que plus jamais, il ne parviendrait à aligner trois  mots sur une écritoire. Durant huit mois, il avait rééduqué son cerveau et sa parole pour finalement constater que jamais il ne redeviendrait celui qu’il avait été. Admettre le handicap lui sembla impossible. Une gageure qu’il espérait surmonter grâce à la rédaction et la finalisation de son roman. Dans sa solitude forcée, il lui fallut avaler bien des couleuvres.
D’abord, comprendre ce qui lui était arrivé. S’apercevoir au fil des jours que la vie lui avait joué un bien vilain tour. La rééducation de ses membres atrophiés. Lui, le sportif,  footballeur, nageur, enfant de la balle en chiffon de son enfance,  que chacun désirait dans son équipe, le meneur, le chef de bande des rues de Bab El Oued, le copain, l’ami que chacun recherchait, était-ce cet ersatz d’homme? Celui qui ne savait plus avancer dans la vie sans le secours d’un fauteuil, d'une canne à la démarche désarticulée, hésitante. Où était passé ce garçon sûr de lui, qui se prétendait le roi du monde, qui se riait des contraintes? Le voilà prisonnier d’un corps qui ne lui ressemblait plus. C’est donc ça, la vie? Etre tributaire des autres. Ne pas monter les escaliers, ne pas prendre une fille dans ses bras, guider les pas d’un enfant, ne pas vivre comme tout un chacun. Ne plus se servir de sa main droite, lui le droitier, ne plus se couper une tranche de pain, ne plus nager, ne plus taper cinq, ne plus vivre intensément. Alors à quoi bon continuer? La tentation de se laisser glisser vers l’abîme, vers l’oubli de la déchéance, vers la sortie.
Non, la vie était trop belle. Malgré la perte du pays natal qui lui arracha le cœur, malgré Paris la froide, malgré le déracinement, malgré la perte des amis et des repères, la dispersion de la famille, la vie méritait d’être vécue. Mais pas de cette façon. Infirme. Sans espoir de guérison. Quand chaque jour apporte la cruelle vérité, le désespoir. Ne plus vivre libre……… 

*****

--Salut, Sylvain! Je t’envoie mon dernier manuscrit. Et ne crains rien, je l’ai lu et relu  sous toutes les coutures. Le prix Nobel, il n’est pas loin!
L’éditeur aimait ses auteurs. Et particulièrement Richard qui avait, par ses livres,  fait sauter le verrou qui emprisonnait son passé. Depuis l’indépendance de l’Algérie, Sylvain Mani estimait que le cordon ombilical avec son pays natal était définitivement rompu mais l’œuvre de Richard avait eu l’effet boomerang tant redouté. A présent, il savait. Comme une maîtresse dont le souvenir obsède, l’Algérie de son enfance barbouillera de nostalgie  son horizon familier.
Il savait gré à cet ami que la littérature lui avait présenté, d’avoir brisé le miroir de sa mélancolie. Il se sentait redevable envers Richard de la révélation de sa propre sensibilité. D’autant plus que son ami se battait contre les affres de cette maladie qui éloigne de soi les sots et les méchants. Mais, il savait, également, choisir ses auteurs. Richard avait gagné ses galons d’écrivain des éditions Sévigné. Il occupait, à présent, une place vacante dans le catalogue général et cela convenait parfaitement à l'éditeur.
--Quel en est le sujet? L’Algérie? Questionna pour la forme, le directeur des éditions Sévigné.
--Quel en es le sujet? Tu sais bien que je suis incapable d’écrire autre chose que le pays. Et même, je n’en aurais pas envie.
--Non, non, mais continue! Tu es le seul auteur à me proposer ce genre de….. prose et je te le répète, tant que tu écriras ta nostalgie de cette manière, sans parler de politique, je prendrais tes ouvrages.
--Que demander de plus! La vérité, écrire est la seule liberté qui me reste. Et même si tu refusais mes manuscrits, je continuerais à écrire.
--Je le sais! C’est la meilleure thérapie que tu pouvais te trouver. Ecris,  fils, écris!
Sylvain venait d’engager une correctrice à mi-temps à laquelle il décida de confier le manuscrit de Richard.
--Ce sera un test pour elle, pour toi  et pour moi! Je saurais si  tout le monde peut aimer tes livres et pas seulement les pieds noirs!



*****

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire