mardi 23 juin 2015

Albert Bensoussan – L’Alliance Israélite à Alger

pub2011
L’Alliance Israélite Universelle fut fondée en 1860, sous l’impulsion du baron Hirsch et d’autres philanthropes, avec pour but la diffusion de la langue et de la culture française dans tout le bassin méditerranéen, le Proche-Orient et l’Asie auprès des communautés juives. Il n’est pas fortuit de voir alors à sa tête le député Adolphe Crémieux, qui sera à l’origine du décret qui porte son nom et qui accordera en 1870 la citoyenneté française, collectivement, aux Juifs d’Algérie. Mais si, partout ailleurs, l’objectif de l’AIU était d’alphabétiser en français les Juifs vivant principalement en terre musulmane, en Algérie, elle se voua à la seule instruction religieuse sans jamais empiéter sur le rôle éducateur de l’école laïque et républicaine.
Albert-Abraham-Confino
Albert Abraham Confino
Le responsable de l’AIU à Alger de 1912 à 1956 s’appelait Albert Confino, un Séfarade né en Bulgarie, d’une famille originaire d’Espagne (comme celle d’Elias Canetti – Canetti est la forme italianisée de Cañete, un bourg espagnol), et qui avait parcouru comme instituteur le Moyen-Orient et l’Asie.

L’Alliance Israélite en Algérie était constituée dans les années quarante de 16 écoles et de plus de 3000 élèves et comprenait, à Alger, deux locaux, l’un rue Bab-el-Oued, l’autre rue Suffren, à l’autre bout du quartier Bab-el-Oued. Les cours avaient lieu le jeudi (alors jour de congé scolaire) et le dimanche matin – et même certaines matinées pendant les grandes vacances. Ces cours comprenaient une initiation à l’hébreu, à la lecture – d’où d’interminables litanies où les enfants ânonnaient les mots les uns après les autres –, aux prières ainsi qu’à l’histoire juive. Ces cours étaient suivis pendant plusieurs années, de l’enfance à l’adolescence, jusqu’à l’examen qui permettait de satisfaire à la Bar-Mitzva (qu’on appelait “la communion”). L’innovation la plus étonnante de la part d’Albert Confino fut d’introduire l’instruction religieuse pour les filles. Et les familles, dans l’ensemble, acceptèrent cette mini-révolution qui faisait accéder le sexe féminin au culte et à la connaissance du judaïsme. (Mes deux soeurs ont conservé parmi leurs papiers personnels ce certificat d’instruction religieuse délivrée par l’Alliance.)
Aux jours sombres de Vichy, et après le débarquement des Alliés à Sidi-Ferruch en novembre 1942, Alger devint la capitale de la France Libre et c’est là que fut constitué un comité pour assurer le bon fonctionnement des écoles de l’Alliance partout dans le monde, sous la direction d’Albert Confino. Celui-ci devait décéder en 1958. On se souvient de lui comme d’un imposant vieillard au regard pétillant de malice sous ses lunettes fines cerclées de métal, grassouillet, le teint rose, portant moustache et petite barbiche blanche, et cet homme incarna pendant près d’un demi-siècle l’Alliance à Alger. Mon père parlait toujours de lui avec le plus grand respect et beaucoup de déférence.
De mon temps, les deux rabbins de l’Alliance de la rue Bab-el-Oued qui nous apprirent à lire l’hébreu, à le chanter, à réciter la paracha en suivant les ta’amim et entonnant l’azla gueresh, se nommaient Cohen-Solal et Fergane, l’un d’Alger, le second venu du Maroc.
paracha-1
Le rabbin Cohen-Solal me mena victorieusement à la Bar-Mitzva, il fut mon parrain, mon maître et ma mémoire le vénère toujours. C’était un ami de la famille, car il avait servi au 9ème Zouaves à Alger – caserne d’Orléans, en haut de la Casbah – sous les ordres de mon père qui était alors adjudant-chef. Pendant la guerre, alors que nous manquions de beaucoup de choses, nous avions installé un petit poulailler dans notre véranda, avec cinq ou six poules et poulets, et le rabbin Cohen-Solal était venu donner des cours, en grande patience, à mon père qui était devenu, modestement, chohet de volaille. Il fallait le voir aiguiser sa lame sur la longue pierre d’affûtage, glisser son doigt sur le fil, vérifier qu’il n’y avait aucune aspérité, qui aurait pu faire mal à la bête et la rendre impropre à la consommation. Je le revois ensuite prenant le poulet dans son poing gauche, oui, tout le volatile devait tenir dans son poing, ailes repliées recouvrant la tête et laissant en évidence le cou tendu du poulet, dont il fallait alors ôter le duvet avant de passer d’un geste vif, et en prononçant la bénédiction, la lame sacrificielle. Maman tenait une cuvette sous la volaille pour recueillir le sang, qu’elle allait ensuite jeter aux toilettes. Pour Kippour, c’est avec nos propres volailles que papa nous faisait la kappara. La reine du poulailler fut une poule qui s’était prise d’amitié et rentrait dans les pièces, le matin, en caquetant : elle seule mourut de vieillesse et nous ne l’avons pas mangée. Un jour mon frère Lucien, qui était avocat et était parfois payé en nature par les nombreux fellahs qu’il défendait – une douzaine d’oeufs, une botte de carottes, quelques oranges de la Mitidja, une volaille justement… – arriva avec une oie vivante et gigotant au bout de son bras. Mon père, optimiste résolu, la sacrifia rituellement, mais je revois sa difficulté à faire tenir l’énorme volatile dans son poing ainsi qu’il l’avait appris du rabbin Cohen Solal, זכרונו לברכה. Chacun y alla de son coup de pouce pour faire tenir la grosse oie en place et en main, ce fut un sacrifice collectif – une chehita שְׁחִיטָה à plusieurs mains.
Et voilà pour l’Alliance à Alger et ces quelques souvenirs. Ya ‘hasra!
Albert Bensoussan

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire