mercredi 6 mai 2015

extrait de LES CINQ DOIGTS DE LA MAIN de Hubert Zakine.

APRES AVOIR TERMINE "SUR LES RIVES DU SHENANDOAH " QUI A UN LOINTAIN RAPPORT AVEC L'ALGERIE, JE REVIENS A MON PAYS NATAL.


AVANT-PROPOS

 Il s’appelait Paul, nous l’appelions Paulo. Il faisait partie de notre bande. Une bande de cinq garçons insouciants et joyeux, nés à mi chemin de l’Orient et de l’Occident, dans un pays qui ne cessera de nous hanter qu’à notre souffle dernier. Algérie, terre de feu et de sang, terre juive et musulmane, terre chrétienne et française, terre d’amour et d’amitié redevenue exclusivement musulmane.
L’amitié nous aima un matin de juin 1951. Elle se présenta, charmeuse, au cœur de l’esplanade circulaire d’un jardin de Bab El Oued, à deux pas de Padovani, la plage des gens du faubourg.

Paulo et Jacky, cousins germains par leurs mères, se disputaient, ce matin là, une petite trottinette qui avait appartenue au frère aîné de l’un d’entre eux. Les pleurs et les cris attirèrent l’attention de cinq mamans assises sur le banc de pierre le plus proche de l’altercation. Avec la patience qui caractérisait les mères de ce pays, elles eurent tôt fait de calmer les deux garnements et d’aplanir le différent. Le débat fut ainsi clos mais donna naissance à l’amitié des cinq mamans  qui déboucha sur celle de leurs enfants. Ainsi se noua une relation entre Paulo, Jacky, Victor, Roland et  moi-même qui nous accompagna au-delà de l’adolescence, au-delà de l’indépendance de l’Algérie, au-delà de notre séparation, au-delà des frontières.

« A la vie, à la mort !».

 *****

Jacky suivit ses parents en Israël, Roland rejoignit son frère aîné à Miami, en Floride ; Paulo promène sa nostalgie aux abords de la promenade des Anglais à Nice ; Victor tente  d’oublier, sans y parvenir,  sa ville natale, l’impériale Fès et sa ville d’adoption, Alger la Blanche dans les rues de Marseille et je me perds dans les allées de solitude en plein cœur de Paris.

15 années sont passées sur notre nouvelle  existence.

Jacky, l’israélien mène un autre combat sous la bannière étoilée du jeune état hébreu. Il revendique bien haut et bien fort son appartenance au peuple élu, contrairement aux juifs de la diaspora qui préfèrent, pour certains, ne pas faire de vagues et avancer vers leur destin. Il a trouvé un autre pays, un autre idéal, un autre drapeau.

Victor, Marocain de naissance mais français par choix, débarqué à Alger en 1952, connut son deuxième exil en dix années, sans doute un  record en la matière. De ces épisodes douloureux, il envie les peuples enracinés dans une terre qui offre de beaux fruits à leur arbre de vie. Il rêve de replanter ses racines dans un sol fertile pour la résurrection de l’histoire de sa famille. Il espère en de beaux lendemains, à Marseille dans la cité phocéenne au bord de cette Méditerranée aux couleurs de ses yeux bleus.

Roland, en quittant sa terre natale n’imaginait pas une seule seconde poser ses valises ailleurs qu’en Amérique, pays mythique de son enfance, royaume du Far West réinventé par John Wayne et relayé par l’aîné de la famille parti dans les années quarante à la conquête des U.S.A. Il vit à présent à Miami, un peu désabusé d’avoir écorché son rêve sans en avoir reçu l’usufruit.

Paulo, exilé à Nice, la présence du soleil, de la mer et d’une forte communauté israélite originaire d’Afrique du Nord adoucit sa nostalgie. Il demeure célibataire malgré ou en raison des starlettes qui transitent par la côte d’azur pour atteindre l’inaccessible étoile personnifiée par un metteur en scène ou un acteur de renom. Dragueur dans l’âme, il trouve tout au long du littoral méditerranéen un vaste champ d’exploitation de la désillusion humaine et de l’amour au rabais.

Pour moi, la perte de l’Algérie se révéla si douloureuse et si envahissante qu’elle a fait de moi un paria qui, par dépit amoureux, renonça à conserver les trois identités que me valût ma naissance française, juive et pied noire. De ma fierté française, ne me reste qu’un pâle souvenir des leçons d’histoire de France, racontées avec amour par mes instituteurs et de cette marseillaise chantée par mon père sur les chemins de gloire de l’armée d’Afrique puis  reprise lors des merveilleuses journées du 13 Mai 1958 par son patriote de fils. A présent, je survis, ersatz d’étranger en terre de France le cœur en Algérie et le corps en pays de nostalgie.  Né sur un sol à présent étranger, je suis un français non pratiquant, m’excluant de tout esprit partisan et politique.

Bien sur, les cinq garçons demeurent toujours et à jamais des amis  unis tels les cinq doigts de la main, séparés pourtant par le vent sacré de l’histoire.  Ils  respectent le serment de fidélité à leur inoubliable jeunesse de ne jamais oublier, se retrouvant malgré l’espace et le temps chaque été afin  de partager les peines et les joies qui jalonnent la vie.

Ce livre s’est imposé à moi lorsque Paulo décéda. Frappé par un cancer foudroyant, il n’eut pas le temps de nous avertir de son prochain départ vers le pays de l’éternité. Nous n’avons pas eu la possibilité de l’accompagner dans sa descente aux enfers, nous qui étions ses amis d’enfance, ses frères d’amitié, nous qui aurions tant aimé partager avec lui ses derniers instants, lui prendre la main, le serrer dans nos bras.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus cinq mais quatre. Nous ne serrons plus la pomme de l’amitié avec la même poigne. On ne nous appellera plus « les cinq doigts de la main ».  Le cinquième élément nous a faussé compagnie sans nous laisser d’adresse.

Alors, devant l’injustice,  devant le dénuement, devant  l’amitié désarticulée, la fatalité orientale n’a plus sa place dans mon raisonnement. Le dénouement tragique de notre si belle histoire ne fut  pas à la hauteur de notre merveilleuse amitié.

Réécrire une autre  fin toute aussi désespérante certes mais qui allierait les larmes, le chagrin, les regrets mais aussi les joyeux souvenirs de la jeunesse.

Réinventer sur papier nostalgie une jolie version de l’amitié « à la vie, à l’amour, à la mort »,

Imaginer une autre fin est la seule échappatoire qui me reste pour déculpabiliser « ceux qui restent » hagards et désarmés devant la cruelle vérité. Coupables de ne pas avoir su avant les autres. De ne pas avoir serré notre ami sur nos cœurs orphelins une dernière fois. De ne pas avoir échangé le dernier regard. De ne pas lui avoir donné rendez vous pour la……………..25ème heure.

  

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