AVANT-PROPOS
Paulo
et Jacky, cousins germains par leurs mères, se disputaient, ce matin là, une
petite trottinette qui avait appartenue au frère aîné de l’un d’entre eux. Les
pleurs et les cris attirèrent l’attention de cinq mamans assises sur le banc de
pierre le plus proche de l’altercation. Avec la patience qui caractérisait les
mères de ce pays, elles eurent tôt fait de calmer les deux garnements et
d’aplanir le différent. Le débat fut ainsi clos mais donna naissance à l’amitié
des cinq mamans qui déboucha sur celle
de leurs enfants. Ainsi se noua une relation entre Paulo, Jacky, Victor, Roland
et moi-même qui nous accompagna au-delà
de l’adolescence, au-delà de l’indépendance de l’Algérie, au-delà de notre séparation,
au-delà des frontières.
« A
la vie, à la mort !».
Jacky
suivit ses parents en Israël, Roland rejoignit son frère aîné à Miami, en
Floride ; Paulo promène sa nostalgie aux abords de la promenade des
Anglais à Nice ; Victor tente d’oublier,
sans y parvenir, sa ville natale,
l’impériale Fès et sa ville d’adoption, Alger la Blanche dans les rues de
Marseille et je me perds dans les allées de solitude en plein cœur de Paris.
15
années sont passées sur notre nouvelle existence.
Jacky,
l’israélien mène un autre combat sous la bannière étoilée du jeune état hébreu.
Il revendique bien haut et bien fort son appartenance au peuple élu,
contrairement aux juifs de la diaspora qui préfèrent, pour certains, ne pas
faire de vagues et avancer vers leur destin. Il a trouvé un autre pays, un
autre idéal, un autre drapeau.
Victor,
Marocain de naissance mais français par choix, débarqué à Alger en 1952, connut
son deuxième exil en dix années, sans doute un record en la matière. De ces épisodes
douloureux, il envie les peuples enracinés dans une terre qui offre de beaux
fruits à leur arbre de vie. Il rêve de replanter ses racines dans un sol
fertile pour la résurrection de l’histoire de sa famille. Il espère en de beaux
lendemains, à Marseille dans la cité phocéenne au bord de cette Méditerranée
aux couleurs de ses yeux bleus.
Roland,
en quittant sa terre natale n’imaginait pas une seule seconde poser ses valises
ailleurs qu’en Amérique, pays mythique de son enfance, royaume du Far West
réinventé par John Wayne et relayé par l’aîné de la famille parti dans les
années quarante à la conquête des U.S.A. Il vit à présent à Miami, un peu
désabusé d’avoir écorché son rêve sans en avoir reçu l’usufruit.
Paulo,
exilé à Nice, la présence du soleil, de la mer et d’une forte communauté israélite
originaire d’Afrique du Nord adoucit sa nostalgie. Il demeure célibataire
malgré ou en raison des starlettes qui transitent par la côte d’azur pour
atteindre l’inaccessible étoile personnifiée par un metteur en scène ou un
acteur de renom. Dragueur dans l’âme, il trouve tout au long du littoral
méditerranéen un vaste champ d’exploitation de la désillusion humaine et de
l’amour au rabais.
Pour
moi, la perte de l’Algérie se révéla si douloureuse et si envahissante qu’elle
a fait de moi un paria qui, par dépit amoureux, renonça à conserver les trois
identités que me valût ma naissance française, juive et pied noire. De ma
fierté française, ne me reste qu’un pâle souvenir des leçons d’histoire de
France, racontées avec amour par mes instituteurs et de cette marseillaise
chantée par mon père sur les chemins de gloire de l’armée d’Afrique puis reprise lors des merveilleuses journées du 13
Mai 1958 par son patriote de fils. A présent, je survis, ersatz d’étranger en
terre de France le cœur en Algérie et le corps en pays de nostalgie. Né sur un sol à présent étranger, je suis un français
non pratiquant, m’excluant de tout esprit partisan et politique.
Bien
sur, les cinq garçons demeurent toujours et à jamais des amis unis tels les cinq doigts de la main, séparés
pourtant par le vent sacré de l’histoire. Ils respectent
le serment de fidélité à leur inoubliable jeunesse de ne jamais oublier, se
retrouvant malgré l’espace et le temps chaque été afin de partager les peines et les joies qui
jalonnent la vie.
Ce
livre s’est imposé à moi lorsque Paulo décéda. Frappé par un cancer foudroyant,
il n’eut pas le temps de nous avertir de son prochain départ vers le pays de
l’éternité. Nous n’avons pas eu la possibilité de l’accompagner dans sa
descente aux enfers, nous qui étions ses amis d’enfance, ses frères d’amitié,
nous qui aurions tant aimé partager avec lui ses derniers instants, lui prendre
la main, le serrer dans nos bras.
Aujourd’hui,
nous ne sommes plus cinq mais quatre. Nous ne serrons plus la pomme de l’amitié
avec la même poigne. On ne nous appellera plus « les cinq doigts de la
main ». Le cinquième élément nous a
faussé compagnie sans nous laisser d’adresse.
Alors,
devant l’injustice, devant le dénuement,
devant l’amitié désarticulée, la
fatalité orientale n’a plus sa place dans mon raisonnement. Le dénouement
tragique de notre si belle histoire ne fut
pas à la hauteur de notre merveilleuse amitié.
Réécrire
une autre fin toute aussi désespérante certes
mais qui allierait les larmes, le chagrin, les regrets mais aussi les joyeux
souvenirs de la jeunesse.
Réinventer
sur papier nostalgie une jolie version de l’amitié « à la vie, à l’amour,
à la mort »,
Imaginer
une autre fin est la seule échappatoire qui me reste pour déculpabiliser
« ceux qui restent » hagards et désarmés devant la cruelle vérité.
Coupables de ne pas avoir su avant les autres. De ne pas avoir serré notre ami sur
nos cœurs orphelins une dernière fois. De ne pas avoir échangé le dernier regard.
De ne pas lui avoir donné rendez vous pour la……………..25ème heure.
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