mercredi 22 avril 2015

extrait de "SUR LES RIVES DU SHENANDOAH " DE HUBERT ZAKINE


Bobby s’aperçut de la présence de nombreuses jeunes filles qui attendait le bus de l’université et pensa à Shirley.
--Si j’évoque la rivière du Shenandoah, d’un gros tulipier et de deux cœurs enlacés…Chuchota-t-il en approchant le combiné de sa bouche.
--Bobby ! S’enthousiasma-t-elle.
--Tu te souviens ?
--Comment peux-tu me poser pareille question ?
L'explosion de joie qui suivit,  plus  que d’inutiles suppositions, le combla. A  présent, il attendait, le cœur en bataille. Il espérait que l’idylle avec Shirley renaitrait de ses cendres consumées par l’absence. Durant ces deux années,  les coins écornés de la photo qu’elle lui avait confiée témoignaient de multiples manipulations.  Mille fois caressée, mille fois  embrassée, mille fois sortie de son portefeuille brun. Le soir, après le tumulte des combats, il imaginait un tendre avenir où elle tiendrait le premier rôle. Se souvenait-il, lors de  ses nuits obscures,  au doux parfum de jeunesse que lui renvoyait le corps gracile mais ardent de Shirley, exquise promesse de joutes amoureuses  lors de chastes attouchements contenus par le refus de la vierge demoiselle ? Se souvenait-il de la soirée où elle accepta de sortir avec lui au grand dam de ses amis  de Winchester, de son refus de se laisser embrasser le premier soir sous les palétuviers de la fête foraine et  de leur unique nuit de folie qu’elle lui offrit en gage de son amour éternel?
Il attendait. La pendule de la mairie sonnait onze heures. La place où tant de fois il avait attendu la petite Shirley n’avait pas changée. L’imposante église, dans sa robe blanche, semblait une jeune mariée. Le Majestic, orné de néons colorés attirait toujours le regard des jeunes cinéphiles. Des attroupements alentour du restaurant Mac Donald se formaient par affinités. Les générations se succédaient mais la jeunesse ne changeait pas. La Studebaker noire de la mère de Shirley déboucha vivement du virage nord pour se garer en épi face à la Mairie.
Elle était plus belle. Plus femme mais toujours aussi joyeuse. Tout en elle respirait le bonheur. Elle vit Bobby et ne put s’empêcher de faire des grands gestes en courant vers lui. Au moment de se jeter dans ses bras, elle remarqua l’absence. Son visage rayonnant perdit de sa candeur. Elle sourit mais se contenta de lui tendre ses joues. Il eût préféré ses lèvres mais sa mère se dirigeait vers eux. Elle eut, également la courtoisie d’embrasser Bobby mais ne s’attarda.
La banalité sortit de sa bouche sans qu’il pût la contrôler.
--Comment vas-tu ? ……..Personne ne m’avait dit que tu avais été blessé !
--J’ai gardé le secret. Pour ne pas avoir l’air de pleurer sur mon sort. Il y a beaucoup plus amochés que moi.
--Quand même ! Tu as perdu un bras !
--je me console en me disant que j’aurais pu perdre la vie !
--Oui, c’est une façon de voir !
--C’est ma façon de voir ! Regarder cette ville, la rivière de notre enfance, la Verte Prairie des Mac Douglas, les hautes terres et te revoir, toi ! Oui toi l’amour de ma vie, que je n’aurais plus vu si la chance ne m’avait pas souri. J’ai tellement pensé à toi en Europe !
Shirley écoutait son amour de jeunesse décliner ses espérances mais elle ne voyait que l’absence, que la chemisette vide, désolée. Bobby parlait et peu à peu, Shirley écoutait  la voix chaude, le regard franc, les yeux si noirs qu’ils paraissent enfoncés, les lèvres qu’elle avait embrassées tant de fois, sa main qui l’avait caressée jusqu’à l’extrême limite permise de sa propre résistance avant l’envolée de son jeune corps, oui, elle avait aimé ce garçon mais…… avec son bras droit.
-- Tu es toujours amoureuse de moi ?
--Avec ou sans ton bras, tu es toujours Bobby Mac Douglas !
--Ce n’est pas ce que je te demande !
--Laisse-moi un peu de temps !
Il lui demanda de monter dans la Pontiac et prit le chemin de Paradise sur le Shenandoah. Il l’emmena à l’ombre de leur grand et gros tulipier, coucha sur le sol une nappe à carreau que lui avait préparé Louise et invita sa belle à le rejoindre sur le pré.
--Veux-tu m’épouser ? Proposa Bobby en quête de vérité.
--T’épouser ? On vient à peine de se revoir et déjà, tu parles de mariage ?
--Je suis impatient que tu sois mienne…..
--Mais je le suis ! Protesta Shirley avec conviction.
-- Je t’aime et je veux que tu portes mes enfants.
Elle ne sut lui répondre. Il lui fallait d’abord digérer leurs retrouvailles et surtout le choc de l’amputation de son bras. Elle ne pouvait ignorer que l’athlète de jadis était à présent un infirme. Elle maquilla adroitement sa réponse en posant, à son tour, une question.
--Nos parents ont leur mot à dire, tu ne crois pas ?
--Ils n’auront qu’à dire oui ! A ce que je sache, ils ne nous pas demandé notre avis pour se marier ! Bobby plaisantait mais il jouait sa vie dans cette réponse.
--Tu es bête, nous n’étions pas nés ! Répliqua-t-elle en détournant le regard. 
Bobby s’en aperçut mais il pensa que le temps était son meilleur allié pour convaincre Shirley qu’il n’avait pas changé. Son cœur battait toujours la chamade quand ses yeux se posaient sur elle.
Bobby désirait épouser Shirley pour décider, sereinement, de son avenir. Un avenir suspendu à la  décision  de Shirley trop heureuse de faire partie du clan Mac Douglas.
La journée ne fut pas à l’image de ce qu’il espérait. Shirley était certes plus jolie que dans son souvenir idéalisé par l’éloignement et le danger à portée de fusil mais il comprit très vite qu’elle avait été secouée par la vision de sa manche de chemise repliée.
Il la raccompagna sur la place de Winchester où l’attendait sa mère. Un discret baiser, une promesse d’un prochain  rendez-vous et la détresse qui colle à la peau.
L’amertume de ces retrouvailles avortées s’ajouta à celle de l’accueil désagréable de son père et de son frère Ethan qui voyait, pourtant, son droit d’ainesse conforté par le handicap de son frère. La guerre avait appris à Bobby que le bonheur ne se mesurait pas en dollar. L’argent n’étant qu’une étoile dans le ciel de l’existence. Réussir sa vie, aimer sa femme et ses enfants, quelle plus belle profession de foi ! C’est ce qu’il croyait en revenant de l’enfer des hommes mais sa déception fut à la mesure de ses espérances. Shirley n’avait pas eu la réaction que l’amour aurait dû lui inspirer. Au contraire, durant leurs retrouvailles que Bobby avait espérées passionnées, elle fut gênée aux entournures. Il se rendit aux arguments de dame nature qui ne regardait plus avec  bienveillance l’homme handicapé. Il s’apercevait que son patriotisme ne valait nulle amabilité et qu’au contraire, il s’avérait être un lourd fardeau bien difficile à porter. Tout au moins auprès de son père  qui ne lui avait pas pardonné son engagement malgré   un ultimatum dictatorial.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire