Bobby s’aperçut de
la présence de nombreuses jeunes filles qui attendait le bus de l’université et
pensa à Shirley.
--Si j’évoque la rivière du Shenandoah, d’un gros tulipier
et de deux cœurs enlacés…Chuchota-t-il en approchant le combiné de sa bouche.
--Bobby ! S’enthousiasma-t-elle.
--Tu te souviens ?
--Comment peux-tu me poser pareille question ?
L'explosion de joie
qui suivit, plus que d’inutiles suppositions, le combla. A présent, il attendait, le cœur en bataille.
Il espérait que l’idylle avec Shirley renaitrait de ses cendres consumées par
l’absence. Durant ces deux années, les
coins écornés de la photo qu’elle lui avait confiée témoignaient de multiples
manipulations. Mille fois caressée,
mille fois embrassée, mille fois sortie
de son portefeuille brun. Le soir, après le tumulte des combats, il imaginait
un tendre avenir où elle tiendrait le premier rôle. Se souvenait-il, lors
de ses nuits obscures, au doux parfum de jeunesse que lui renvoyait
le corps gracile mais ardent de Shirley, exquise promesse de joutes
amoureuses lors de chastes attouchements
contenus par le refus de la vierge demoiselle ? Se souvenait-il de la
soirée où elle accepta de sortir avec lui au grand dam de ses amis de Winchester, de son refus de se laisser
embrasser le premier soir sous les palétuviers de la fête foraine et de leur unique nuit de folie qu’elle lui
offrit en gage de son amour éternel?
Il attendait. La
pendule de la mairie sonnait onze heures. La place où tant de fois il avait
attendu la petite Shirley n’avait pas changée. L’imposante église, dans sa robe
blanche, semblait une jeune mariée. Le Majestic, orné de néons colorés attirait
toujours le regard des jeunes cinéphiles. Des attroupements alentour du
restaurant Mac Donald se formaient par affinités. Les générations se
succédaient mais la jeunesse ne changeait pas. La Studebaker noire de la mère
de Shirley déboucha vivement du virage nord pour se garer en épi face à la
Mairie.
Elle était plus
belle. Plus femme mais toujours aussi joyeuse. Tout en elle respirait le
bonheur. Elle vit Bobby et ne put s’empêcher de faire des grands gestes en
courant vers lui. Au moment de se jeter dans ses bras, elle remarqua l’absence.
Son visage rayonnant perdit de sa candeur. Elle sourit mais se contenta de lui
tendre ses joues. Il eût préféré ses lèvres mais sa mère se dirigeait vers eux.
Elle eut, également la courtoisie d’embrasser Bobby mais ne s’attarda.
La banalité sortit
de sa bouche sans qu’il pût la contrôler.
--Comment vas-tu ? ……..Personne ne m’avait dit que
tu avais été blessé !
--J’ai gardé le secret. Pour ne pas avoir l’air de pleurer
sur mon sort. Il y a beaucoup plus amochés que moi.
--Quand même ! Tu as perdu un bras !
--je me console en me disant que j’aurais pu perdre la
vie !
--Oui, c’est une façon de voir !
--C’est ma façon de voir ! Regarder cette ville,
la rivière de notre enfance, la Verte Prairie des Mac Douglas, les hautes
terres et te revoir, toi ! Oui toi l’amour de ma vie, que je n’aurais plus
vu si la chance ne m’avait pas souri. J’ai tellement pensé à toi en
Europe !
Shirley écoutait
son amour de jeunesse décliner ses espérances mais elle ne voyait que
l’absence, que la chemisette vide, désolée. Bobby parlait et peu à peu, Shirley
écoutait la voix chaude, le regard
franc, les yeux si noirs qu’ils paraissent enfoncés, les lèvres qu’elle avait
embrassées tant de fois, sa main qui l’avait caressée jusqu’à l’extrême limite
permise de sa propre résistance avant l’envolée de son jeune corps, oui, elle
avait aimé ce garçon mais…… avec son bras droit.
-- Tu es toujours amoureuse de moi ?
--Avec ou sans ton bras, tu es toujours Bobby Mac
Douglas !
--Ce n’est pas ce que je te demande !
--Laisse-moi un peu de temps !
Il lui demanda de
monter dans la Pontiac et prit le chemin de Paradise sur le Shenandoah. Il
l’emmena à l’ombre de leur grand et gros tulipier, coucha sur le sol une nappe
à carreau que lui avait préparé Louise et invita sa belle à le rejoindre sur le
pré.
--Veux-tu m’épouser ? Proposa Bobby en
quête de vérité.
--T’épouser ? On vient à peine de se revoir et
déjà, tu parles de mariage ?
--Je suis impatient que tu sois mienne…..
--Mais je le suis ! Protesta Shirley
avec conviction.
-- Je t’aime et je veux que tu portes mes enfants.
Elle ne sut lui
répondre. Il lui fallait d’abord digérer leurs retrouvailles et surtout le choc
de l’amputation de son bras. Elle ne pouvait ignorer que l’athlète de jadis
était à présent un infirme. Elle maquilla adroitement sa réponse en posant, à
son tour, une question.
--Nos parents ont leur mot à dire, tu ne crois
pas ?
--Ils n’auront qu’à dire oui ! A ce que je sache,
ils ne nous pas demandé notre avis pour se marier ! Bobby plaisantait
mais il jouait sa vie dans cette réponse.
--Tu es bête, nous n’étions pas nés ! Répliqua-t-elle en
détournant le regard.
Bobby s’en aperçut
mais il pensa que le temps était son meilleur allié pour convaincre Shirley
qu’il n’avait pas changé. Son cœur battait toujours la chamade quand ses yeux
se posaient sur elle.
Bobby désirait
épouser Shirley pour décider, sereinement, de son avenir. Un avenir suspendu à
la décision de Shirley trop
heureuse de faire partie du clan Mac Douglas.
La journée ne fut
pas à l’image de ce qu’il espérait. Shirley était certes plus jolie que dans
son souvenir idéalisé par l’éloignement et le danger à portée de fusil mais il
comprit très vite qu’elle avait été secouée par la vision de sa manche de
chemise repliée.
Il la raccompagna
sur la place de Winchester où l’attendait sa mère. Un discret baiser, une
promesse d’un prochain rendez-vous et la
détresse qui colle à la peau.
L’amertume de ces
retrouvailles avortées s’ajouta à celle de l’accueil désagréable de son père et
de son frère Ethan qui voyait, pourtant, son droit d’ainesse conforté par le
handicap de son frère. La guerre avait appris à Bobby que le bonheur ne se mesurait
pas en dollar. L’argent n’étant qu’une étoile dans le ciel de l’existence.
Réussir sa vie, aimer sa femme et ses enfants, quelle plus belle profession de
foi ! C’est ce qu’il croyait en revenant de l’enfer des hommes mais sa
déception fut à la mesure de ses espérances. Shirley n’avait pas eu la réaction
que l’amour aurait dû lui inspirer. Au contraire, durant leurs retrouvailles
que Bobby avait espérées passionnées, elle fut gênée aux entournures. Il se
rendit aux arguments de dame nature qui ne regardait plus avec bienveillance l’homme handicapé. Il
s’apercevait que son patriotisme ne valait nulle amabilité et qu’au contraire,
il s’avérait être un lourd fardeau bien difficile à porter. Tout au moins
auprès de son père qui ne lui avait pas
pardonné son engagement malgré un
ultimatum dictatorial.
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