Chacun
tente de s’installer en scrutant l’immensité bleue qui s’ouvre et s’incline
devant le malheur des enfants d’Algérie. Cette amie des premiers jours qui jouait
de ses plages sensuelles et baignées de joie de vivre, qui apprenait à nager
avant que de savoir marcher et qui invitait à ses noces avec le soleil sous le
ciel pervenche de la blanche capitale.
Dans
une ultime révérence à son pays, un homme entonne le chant des Africains. Ses
compagnons d’infortune l’imitent aussitôt et des coursives aux ponts en passant
par la cale, le Ville d’Oran devient la caisse de résonance
de la détresse humaine. Les Africains, chant d’amour sur les chemins de gloire
et repris durant les merveilleuses journées de mai 1958, devient en
quelques heures, la prière des gens désespérés. Le chanter une dernière fois
d’une voix qui résonne jusqu’aux portes du désert. Le crier, le cœur au bord
des larmes, le pleurer encore et toujours.
C’est
tout ce qu’il reste à un peuple en perdition.
Ce
peuple qui aurait pu donner des leçons de bonheur au monde entier, ce peuple
qui reflétait tant l’image de l’Europe méditerranéenne, ce peuple constitué de
fils d’Espagnols, d’Italiens, de Mahonnais, de Maltais, d’Alsaciens-Lorrains,
de Français de souche auxquels il faut ajouter les Juifs qui vivaient dans ce
pays depuis la nuit des temps, avant même que le général Schneider, alors
ministre de la guerre, ne lui donne le nom d’Algérie le 14 octobre 1839.
Un
chant d’amour que la France ne sût entendre. Et pourtant, lors des deux
conflits mondiaux, elle reconnut l’apport dans la victoire finale de ses
enfants d’Afrique du nord. Mais la reconnaissance de la nation n’était que des mots
qui s’apparentèrent à des mensonges quand le général De Gaulle arriva au
pouvoir.
J’ai
un mal fou à poursuivre ma lecture. À vrai dire, que m’importe le désert de
Gobi. Autour de moi, j’assiste à un spectacle dérisoire et désespérant d’un
pays qui n’a pas su préparer le départ de ses nationaux.
Une
petite fille parlant à son oiseau dans une cage rafistolée, un vieil homme aux
yeux perlés de larmes qui tente de refermer sa valise cabossée, une femme sans
âge qui parle toute seule tenant dans ses bras un enfant endormi. Images
indignes de la France grande, belle et généreuse tant vantée par mes maîtres d’école.
Dans
leur incrédulité, les enfants s’émerveillent devant l’escorte des marsouins qui
accompagnent le Ville d’Oran. C’est mon premier voyage. Par mer ou par air, je
n’avais jamais employé de longs courriers pour d’inutiles vacances loin de mon
pays. Inutiles car la mer, la neige ou le désert étaient, en Algérie, à
portée de main.
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