dimanche 19 avril 2015

extrait de ET NOS RACINES S'ENFONCERONT SOUS D'AUTRES CIEUX de Hubert Zakine


Chacun tente de s’installer en scrutant l’immensité bleue qui s’ouvre et s’incline devant le malheur des enfants d’Algérie. Cette amie des premiers jours qui jouait de ses plages sensuelles et baignées de joie de vivre, qui apprenait à nager avant que de savoir marcher et qui invitait à ses noces avec le soleil sous le ciel pervenche de la blanche capitale.

Dans une ultime révérence à son pays, un homme entonne le chant des Africains. Ses compagnons d’infortune l’imitent aussitôt et des coursives aux ponts en passant par la cale, le Ville d’Oran devient la caisse de résonance de la détresse humaine. Les Africains, chant d’amour sur les chemins de gloire et repris durant les merveilleuses journées de mai 1958, devient en quelques heures, la prière des gens désespérés. Le chanter une dernière fois d’une voix qui résonne jusqu’aux portes du désert. Le crier, le cœur au bord des larmes, le pleurer encore et toujours.

C’est tout ce qu’il reste à un peuple en perdition.

Ce peuple qui aurait pu donner des leçons de bonheur au monde entier, ce peuple qui reflétait tant l’image de l’Europe méditerranéenne, ce peuple constitué de fils d’Espagnols, d’Italiens, de Mahonnais, de Maltais, d’Alsaciens-Lorrains, de Français de souche auxquels il faut ajouter les Juifs qui vivaient dans ce pays depuis la nuit des temps, avant même que le général Schneider, alors ministre de la guerre, ne lui donne le nom d’Algérie le 14 octobre 1839.

Un chant d’amour que la France ne sût entendre. Et pourtant, lors des deux conflits mondiaux, elle reconnut l’apport dans la victoire finale de ses enfants d’Afrique du nord. Mais la reconnaissance de la nation n’était que des mots qui s’apparentèrent à des mensonges quand le général De Gaulle arriva au pouvoir.

J’ai un mal fou à poursuivre ma lecture. À vrai dire, que m’importe le désert de Gobi. Autour de moi, j’assiste à un spectacle dérisoire et désespérant d’un pays qui n’a pas su préparer le départ de ses nationaux.

Une petite fille parlant à son oiseau dans une cage rafistolée, un vieil homme aux yeux perlés de larmes qui tente de refermer sa valise cabossée, une femme sans âge qui parle toute seule tenant dans ses bras un enfant endormi. Images indignes de la France grande, belle et généreuse tant vantée par mes maîtres d’école.
 
Le temps s’est mis au beau. La mer et le ciel épousent le malheur pour lui donner des couleurs plus humaines. Que le voyage serait agréable s’il n’était pas celui de l’exil ? Je me promets d’utiliser à nouveau ce moyen de locomotion dans d’autres circonstances. Lorsque seront apaisées les colères, j’utiliserais le bateau pour des voyages d’agrément. Tu parles d’un voyage d’agrément que ce départ catastrophique de ma terre natale.
Dans leur incrédulité, les enfants s’émerveillent devant l’escorte des marsouins qui accompagnent le Ville d’Oran. C’est mon premier voyage. Par mer ou par air, je n’avais jamais employé de longs courriers pour d’inutiles vacances loin de mon pays. Inutiles car la mer, la neige ou le désert étaient, en Algérie, à portée de main.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire