samedi 28 février 2015

extrait de AU RENDEZ VOUS DES ALGEROIS de Hubert Zakine


ANTIBES LA LUMINEUSE

Face à la mer, Roland semblait un gosse devant un arbre de noël. Oublié Bernadette et son mauvais caractère, oublié le bruit infernal de la circulation  parisienne, oublié  la grisaille d'un ciel laiteux, oublié le froid paralysant qui semble mouiller les vêtements. Il était heureux face à l'immensité bleue indigo de sa jeunesse, au côté de son ami d'enfance, de son frère d'amitié, de celui qui allait lui ouvrir les portes d'une  vie méditerranéenne. A Cagnes sur mer, ses parents l'avaient devancé dans une quête du soleil réparateur.
La mer douce et câline, le sourire des vagues qui caressent le sable, l'aubade  du chant des mouettes rangée au grenier des souvenirs, tout parlait à son cœur orphelin de sensations marines. Oui, là-bas était son passé, là est son avenir. Richard avait raison. L'enfance de là-bas avait un besoin viscéral de cette vision pour trouver belle la vie. Ils restèrent  assis  à la terrasse d'un café  avec la mer pour tout horizon. Sans parler, sans rire, sans taper cinq, simplement là. Quoi de plus jouissif  pour des enfants d'Alger privés depuis si longtemps de cet éblouissement! Regarder le tableau de ce peintre de génie que l'on nomme dieu. Regarder et écouter  la nature raconter  le musée  de l'enfance. Comme lui parut belle la vie à cet instant d'éternité!
Richard ne voulait pas troubler la quiétude qui envahissait son ami mais il se fit violence pour décider Roland à sortir de sa torpeur.  Il ne pouvait manquer le rendez-vous fixé à son oncle.
--Alors,  je t'avais pas menti hein! A côté d'Antibes,  pour des Algérois, Paris ne fait pas le poids.
–Aucune comparaison!  J'avais presque oublié la chaleur du soleil. Je  sens qu'ici, je vais revivre !
--On se demande même pourquoi on est pas descendu plus tôt!
--Allez viens on va voir ton tonton! Plaisanta Roland qui se sentait rajeuni d'une dizaine d'années. Quand son seul souci était de trouver de quoi se payer une place de cinéma  en jouant au casino du pauvre, le 5/25 qui jouxtait les devantures des cafés de Bab El Oued.
--Prie le bon dieu pour qu'il accepte de le vendre à un bandit comme toi!

Le salon se situait tout en bas du boulevard  d'Aguillon tout près de la plage de la  Gravette avec vue sur la méditerranée. Avant de franchir le seuil, les deux amis se regardèrent satisfaits de l'emplacement.
--Bonjour, tonton!
--Soumlah, mon fils! Encore un peu je lui coupe la gorge! En désignant le client qu'il rasait, le visage barbouillé de savon.
Richard rassura Roland.
--Ne t'inquiète pas, mon oncle, c'est  le pince sans rire de la famille.
--Tonton, j'te..................
--je sais, c'est ton ami qui veut me chasser de mon magasin! Pas assez qu'on m'a chassé de mon pays!
–Jamais tu devines? Lui aussi, il a été chassé de son pays! Ça vous fait un point commun!
–Ah bon, lui aussi c'est un sale pied noir!
--Non seulement c'est un sale pied noir, mais en plus, il est de la rue Marengo!
Subitement, l'oncle de Richard feint de devenir sérieux:
--Alors, là, respect! Mon fils, si tu habitais rue Marengo, tu mérites de me succéder dans ce salon! Mais attention, hein, tu sais travailler au moins parce que je vends pas mon salon à un  marchand de cacahuètes, hein!
Roland prit d'autorité un rasoir, l'aiguisa contre la bande de cuir qui traînait sur le comptoir, écarta l'oncle et termina le rasage du client médusé.
--Et pourquoi tu veux t'installer ici?
Roland  désigna le paysage qui s'étendait sous ses yeux.
--Pourquoi? Pour ça! Je dépérissais  à Paris.
--Et aussi, il avait envie de changer d'air. Il vient de divorcer!
L'oncle redevint sérieux. Et l'affaire se fit toute seule. Il fallut simplement attendre  la vente de Paris   pour que soit signée celle du salon d'Antibes.

                                          

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