ANTIBES LA LUMINEUSE
Face à la mer, Roland semblait un gosse devant un arbre de noël. Oublié Bernadette et son mauvais caractère, oublié le bruit infernal de la circulation parisienne, oublié la grisaille d'un ciel laiteux, oublié le froid paralysant qui semble mouiller les vêtements. Il était heureux face à l'immensité bleue indigo de sa jeunesse, au côté de son ami d'enfance, de son frère d'amitié, de celui qui allait lui ouvrir les portes d'une vie méditerranéenne. A Cagnes sur mer, ses parents l'avaient devancé dans une quête du soleil réparateur.
La mer douce et câline, le
sourire des vagues qui caressent le sable, l'aubade du chant des mouettes rangée au grenier des
souvenirs, tout parlait à son cœur orphelin de sensations marines. Oui, là-bas
était son passé, là est son avenir. Richard avait raison. L'enfance de là-bas
avait un besoin viscéral de cette vision pour trouver belle la vie. Ils
restèrent assis à la terrasse d'un café avec la mer pour tout horizon. Sans parler,
sans rire, sans taper cinq, simplement là. Quoi de plus jouissif pour des enfants d'Alger privés depuis si
longtemps de cet éblouissement! Regarder le tableau de ce peintre de génie que
l'on nomme dieu. Regarder et écouter la
nature raconter le musée de l'enfance. Comme lui parut belle la vie à
cet instant d'éternité!
Richard ne voulait pas troubler
la quiétude qui envahissait son ami mais il se fit violence pour décider Roland
à sortir de sa torpeur. Il ne pouvait
manquer le rendez-vous fixé à son oncle.
--Alors, je t'avais pas menti hein!
A côté d'Antibes, pour des Algérois,
Paris ne fait pas le poids.
–Aucune comparaison! J'avais presque
oublié la chaleur du soleil. Je sens
qu'ici, je vais revivre !
--On se demande même pourquoi on est pas descendu plus tôt!
--Allez viens on va voir ton tonton! Plaisanta Roland qui se
sentait rajeuni d'une dizaine d'années. Quand son seul souci était de trouver
de quoi se payer une place de cinéma en
jouant au casino du pauvre, le 5/25 qui jouxtait les devantures des cafés de
Bab El Oued.
--Prie le bon dieu pour qu'il accepte de le vendre à un bandit comme toi!
Le salon se situait tout en bas du boulevard d'Aguillon tout près de la plage de la Gravette avec vue sur la méditerranée. Avant de franchir le seuil, les deux amis se regardèrent satisfaits de l'emplacement.
--Bonjour, tonton!
--Soumlah, mon fils! Encore un peu je lui coupe la gorge! En
désignant le client qu'il rasait, le visage barbouillé de savon.
Richard rassura Roland.
--Ne t'inquiète pas, mon oncle, c'est
le pince sans rire
de la famille.
--Tonton, j'te..................
--je sais, c'est ton ami qui veut me chasser de mon magasin! Pas assez
qu'on m'a chassé de mon pays!
–Jamais tu devines? Lui aussi, il a été chassé de son pays! Ça vous fait un
point commun!
–Ah bon, lui aussi c'est un sale pied noir!
--Non seulement c'est un sale pied noir, mais en plus, il est de la rue
Marengo!
Subitement, l'oncle de Richard
feint de devenir sérieux:
--Alors, là, respect! Mon fils, si tu habitais rue Marengo, tu mérites de
me succéder dans ce salon! Mais attention, hein, tu sais travailler au moins
parce que je vends pas mon salon à un
marchand de cacahuètes, hein!
Roland prit d'autorité un
rasoir, l'aiguisa contre la bande de cuir qui traînait sur le comptoir, écarta
l'oncle et termina le rasage du client médusé.
--Et pourquoi tu veux t'installer ici?
Roland désigna le paysage qui s'étendait sous ses
yeux.
--Pourquoi? Pour ça! Je dépérissais
à Paris.
--Et aussi, il avait envie de changer d'air. Il vient de divorcer!
L'oncle redevint sérieux. Et
l'affaire se fit toute seule. Il fallut simplement attendre la vente de Paris pour que soit signée celle du salon d'Antibes.
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