mercredi 1 octobre 2014

EXTRAIT DE "BAB EL OUED POUR MEMOIRE" DE HUBERT ZAKINE

EXTRAIT DE "BAB EL OUED POUR MEMOIRE" DE BIBI

L’Espagnol, bonne pâte, y pétrit comme personne. Tu seras boulanger, mon fils ! C’est un métier où il faut se lever de bonne heure pour trouver le bonheur. La fortune elle sourit aux audacieux qui se lèvent tôt mais qui se couchent tard. Le contraire des gens fainéants qui se couchent tôt et se lèvent tard. Alors va pour le métier de boulanger pour les courageux enfants d’Espagne. Vidal, Mullor, Aznar Réalé, Solbès ou Villa Grossa, peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse d’une tendre calentita ou d’une moelleuse mouna. Sans parler du montecao qui fond dans la bouche mais pas dans la main.
Le travail ne fait pas peur aux charmantes Ibériques. Les jolies cigarières à l’accroche-cœur élégant, elles accrochent plus d’un cœur pubère au sein des manufactures Bastos, Mélia ou Job. Luttes intestines des marques pour conquérir et abimer  les poumons des fumeurs algérois.
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L’espadrille obtient sa lettre de sortie d’Espagne et gagne ses lettres de noblesse en Algérie.
Venant  d’Elche, Diégo Agullo, entres autres fils de Cervantés dont Vidal et Manégat, parcourt le pays en long, en large et en travers, une espadrille à la main. À cette époque, les pieds y sont pas encore noirs mais y sont pas blancs non plus. La « spardégna »  lave plus blanc que blanc et Diégo Agullo y fait un malheur. Il ouvre des dépôts de vente un peu partout dans l’algérois et la « spardégna » ça devient l’espadrille à la mode. Pas chère et solide mon fils ! Usées jusqu’à la corde, elles en voient  de toutes les couleurs !

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Le safran, personne y connaît. Le docteur Zafran c’est mon cousin mais ça a rien à voir. La famille Espig, elle en connaît un sacré bout sur le safran. Elle fait venir cette plante de Chine ou de chez Azrine et mon ami, attention les yeux. Mieux que le trésor de la Sierra Madré. L’espionnage industriel, il existe pas encore mais les tricheurs y z’épient Espig. Depuis, aucune femme, qu’elle soit d’Espagne, d’Italie ou  de Jérusalem, elle peut cuisiner des plats d’Algérie sans cette poudre de perlinpinpin. Y a pas ! Si makache le safran, le manger, il a pas de goût. Edek, la cuisinière ! Pas de discussion possible !

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Les Espagnols y travaillent dur pour se faire une place au soleil. Le « club », café où on tape l’absinthe avant l’arrivée de l’anisette, c’est la suprême récompense. La bourse ou la vie ! On boit tout son soul et on rentre complètement saoul. Heureusement, l’électricité, elle remplace peu à peu le bec de gaz, tuteur de l’ivrogne qui en fait des kilos pour trouver la maison. Kilos ou tchitchepounes, c’est du pareil au même. Des ivrognes quoi ! Pépéte Soliverés et sa Grande Brasserie, Manolo et son abondante khémia y se préparent à devenir des figures incontournables du faubourg.

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Les enfants juifs y vont à l’école de Jules Ferry mais à l’école de la rue, y jouent les petits yaouleds avant de passer le relais aux petits Arabes. Petits cireurs ou petits porteurs du marché de Bab El Oued. La casbah, terre des ancêtres. Ribach et Rashbaz tranférés au cimetière de Saint-Eugène.
Rue Randon, rampe Valée, rue Marengo,  par le nom de ses rues, la casbah judéo-arabe, elle se militarise. Le jardin Marengo pour le repos des guerriers et pour la promenade des enfants. Les bazars Salomon, d’Orléans et du Diwan s’européanisent quand s’européanise le judaïsme. Adieu foulards, adieu mouchoirs. Le gibus y supplante la chéchïa, le pantalon range au placard le saroual et la relila est remisée dans le grenier aux tendres souvenirs. Seule la mezouza demeure aux chambranles des appartements. Carte d’identité discrète contrairement à l’étoile jaune.
La confection et le commerce  sont des valeurs Juives d’Alger. Des valeurs sonnantes et trébuchantes. Comme l’est le savoir qui donne le pouvoir. Si tu veux, tu peux ! Les élèves y sont élevés dans le culte de l’école. Élèves de la République. Élèves de France.  Mais la rue, elle dissipe les studieux. Attend, ta mère, je vais le dire à ton père !    

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