CHAPITRE
QUATRIEME
MŒURS ET TRADITIONS
LA RELIGION
Les
gens de Bab El Oued, à l’instar de ceux de toute l’ALGERIE et de
tous les peuples méditerranéens, côtoient Dieu avec une ferveur,
un dévouement et une conscience quasi mystiques. Les trois religions
du Livre débordent des temples, des églises, des synagogues et des
mosquées pour empiéter sur la vie de tous les jours. La
transmission orale des croyances s’opère dès la naissance par des
pratiques traditionnelles, des coutumes ancestrales empruntées aux
générations précédentes. Chacun s’ancre dans sa « Maison »
bercée de chants liturgiques venus de la nuit des temps, de prières
traversières d’innombrables exils, de légendaires épopées et de
contes immémoriaux. Dans ce pays si démonstratif où le
chuchotement est synonyme de cimetière, où les murs répercutent le
moindre éclat de rire pour le faire voyager en pays de résonance,
où la voix devient haut-parleur à la moindre contradiction, les
fêtes religieuses adoptent un faste que la lumière des cieux
éclaire de mille feux. Dans ce faubourg, au sein de cette grande
famille de cœur, la plus petite célébration, la moindre
réjouissance se « voit ». Même si l’on prie la Sainte
Vierge, on suit d’un œil attentif et attendri, le Yom Kippour du
voisinage. Parfois, souvent, dans les rues commerçantes où les
israélites ferment les yeux de leurs magasins, les boutiques
appartenant aux autres communautés conservent leurs rideaux baissés
autant par sympathie que par absence de clientèle. A l’opposé,
les enfants de Moïse et les fils de Mahomet s’associent avec
spontanéité et ferveur aux flonflons des Noël d’Algérie. La
fête des Rameaux avec son cortège d’enfants fiers comme Artaban
portant hampes enrubannées, décorées, tressées de sucreries
confites ou chocolatées achetées chez le Dieu pâtissier qui
rivalise avec ses confrères pour le bonheur des petits et des
grands, est suivie avec tendresse par toute les communautés de Bab
El Oued. Les religions en ce pays enseignent l’amour. Elles se
veulent le terreau où germe, grandit et s’enracine l’arbre de
vie d’une famille en attendant de nouvelles branches, de futures
pousses, de tendres berceaux. Elles ancrent les jeunes et les vieux à
une philosophie qui façonne la pensée et la modernise en
conservant les valeurs ancestrales. Loin de s’opposer, les
religions s’apportent, ici plus qu’ailleurs, le meilleur de leurs
écritures par la pratique d’une richesse du cœur consensuelle. La
foi en bandoulière, les habitants de ce quartier se marient dans
leur rue par idéologie fervente, de peur de couper le cordon
ombilical avec leur croyance. Mais l’amitié des rues, des écoles
et des jardins trace dans le ciel algérois le chemin d’une gloire
à Dieu qui enjambe églises, temples et synagogues pour se fondre
dans le moule commun de la France. Pour les enfants du faubourg, le
football se nourrit des différences à la table d’une passion
commune qui emplit les stades et envahit les rues et les places.
Alors, si le garçon par ses dribbles, renforce l’équipe du
quartier, point n’est besoin de savoir s’il fera sa communion
solennelle ou sa Bar Misvah, s’il jeûne le jour du vendredi saint
ou le jour du Grand Pardon. Le voisinage pêche sa complicité au
large des édifices religieux et si les mariages mixtes se comptent
sur les doigts d’une main pour mille raisons qui s’éloignent
totalement de l’intolérance, les amitiés se nouent sans
distinction de race ni de religion. Bab El Oued est une grande
famille au sein de laquelle coexistent pacifiquement les enfants de
l’ancien et du nouveau testament avec pour dénominateur commun :
la richesse du cœur.
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CHAPITRE QUATRIEME
MŒURS
ET TRADITIONS
LA
RELIGION
LE
CATHOLICISME
La
ferveur des nouveaux arrivants oblige les autorités militaires à
bâtir en toute hâte des chapelles pour assouvir le besoin de Dieu
de ces exilés. Pour ces humbles gens, loin du pays natal où la
prière est le seul luxe et la communion le seul repère, qui se
signent du lever du jour au coucher du soleil et à chaque instant de
la journée afin de conserver le lien qui les unit à l’Eternel et
remercier le ciel de les bénir en terre d’Afrique, la quête de
Dieu illumine leur misérable existence.
Les
nouveaux maîtres du pays affectent plusieurs mosquées au culte
catholique. En 1832, on fête le premier Noël en Algérie. Pour
l’occasion, le Duc de ROVIGO inaugure l’église Saint Philippe,
ex-Mosquée Djamâa Ketchawa, que les autorités musulmanes offrent
aux nouveaux maîtres du pays en précisant : « Vous
auriez pu la prendre. Vous avez la courtoisie de nous la demander! ».
Cette
église sera détruite et reconstruite en 1843 en tant que Grande
Cathédrale d’Alger.
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En 1838, l’arrivée
de Mgr DUPUCH jette les bases de l’église d’Afrique après
douze siècles de silence. Dés 1839, il réalise la transformation
de la mosquée de la casbah désertée par son imam en église Sainte
Croix. Lors de l’inauguration, le général DE BOURMONT plante
lui-même la croix dans un geste symbolique de la France chrétienne
en terre d’islam. Puis, le 27 Mars 1843, il ouvre la mosquée
Djamâa Ali Bitchin, rue de la casbah, au catholicisme qui sera
baptisée Notre Dame des Victoires. Son successeur, Mgr PAVY pose la
première pierre de Notre Dame d’Afrique en 1854 et transforme
l’église Saint Philippe en une vaste cathédrale. C’est Mgr
LAVIGERIE qui, de 1867 à 1892, consolide l’œuvre de ses deux
prédécesseurs. Il ouvre l’orphelinat de Ben Aknoun, multiplie le
nombre de ses paroisses et consacre en 1872 la Basilique de Notre
Dame d’Afrique. Il fonde en 1868 l’ordre des Missionnaires, les
Pères Blancs dont le signe distinctif est représenté par le port
de la barbe, du burnous et de la chéchia mais malgré tous les
efforts de l’épiscopat, l’évangélisation des masses berbères
échoue. Sous son diocèse, les Petites Sœurs des Pauvres installent
à la Bouzaréah une maison pour accueillir les vieilles personnes
isolées.
Son
œuvre immense est récompensée par sa nomination au rang de
cardinal puis d’archevêque. Monseigneur LAVIGERIE meurt en 1892 à
Alger. On dénombre, alors, deux cathédrales, deux basiliques et
plus de deux cents églises.
Mgr
LEYNAUD prend la relève en 1917. Il sera le dernier grand archevêque
de l’Algérie Française. Mgr DUVAL lui succède en 1954. Ce
métropolitain ne gagnera jamais le cœur des fidèles. il se garda
de condamner les atrocités des ennemis de la France et s’attira
les foudres de ses ouailles par son soutien à l’indépendance. La
chrétienté en terre d’Islam fut son utopie. Il pensait naïvement
que les « pieds noirs » adopteraient une Algérie
nouvelle dont l’Islam serait décrété religion d’état. Il fit
montre en la circonstance d’une méconnaissance totale du pays et
de la mentalité de ses habitants. Le repli en métropole de quelques
800000 chrétiens sera un camouflet cinglant de l’histoire des
hommes qui entérinera le choix des français d’Algérie comme la
seule solution humaine possible.
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Les
catholiques de Bab El Oued suivent l’évolution de la chrétienté
en Algérie avec sérénité. Les églises SAINT VINCENT DE PAUL
avenue Eugène Robe, SAINT LOUIS rue Léon Roches, SAINT JOSEPH Place
Lelièvre et la chapelle SAINTE THERESE rue de Normandie œuvrent à
satisfaire leur spiritualité. Dominant Bab El Oued, la basilique
byzantine de NOTRE DAME D’AFRIQUE, du haut de la colline, étend sa
main sur les chrétiens et les musulmans comme le stipule le serment
à l’intérieur de la crypte où trône la vierge noire.
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L’église
Saint Joseph posée sur la Place Lelièvre comme une cerise sur un
gâteau, est la plus ancienne maison de Dieu de Bab El Oued. Elle fut
bâtie dans les années 1880 à l’initiative du diocèse d’Alger.
C’est la baguette de l’architecte Théodore Alexandre CHEVALIER
que s’éleva l’église de la Place Lelièvre.
Combien
de baptêmes, de communions solennelles, de mariages, les cloches de
ses deux campaniles ont célébrés en carillonnant de joie et de
ferveur? Combien d’invités aux cérémonies, parés de leurs plus
beaux atours, ont foulé le parvis encadré de ses deux charmants
jardins? Combien de jeunes mariés subirent le mitraillage pacifique
des photographes PETRUSA, REÜS ou KING PHOTO? Combien d’enfants
bardés de hampes de rameaux amoureusement décorés de chocolats et
de fruits confits se sont levés à la
bénédiction
des Abbés CASTERA et GAZIER? Combien de défunts ont reçu un
dernier hommage du quartier au sein de cette église qui, de maison
de Dieu, devînt maison des hommes tant les fidèles s’attachèrent
aux maîtres des lieux hormis l’Abbé SCOTTO coupable d’avoir
encouragé par ses discours et ses actes les menées subversives du
F.L.N. ? Combien de souvenirs jalonnent l’existence de ce joyau du
catholicisme au cœur de Bab El Oued si pieux? Combien de fidèles
reconnurent dans la lutte fratricide entre DON CAMILLO et PEPPONE le
combat mené par l’Abbé CASTERA contre le communisme et son chef
SERRANO que les cloches de Saint Joseph accompagnèrent toutefois à
sa dernière demeure.
Saint
Joseph courba l’échine sous les bombes, regarda ses fidèles
refermer leurs persiennes et s’éloigner les yeux embués de larmes
loin de Bab El Oued, de la Place Lelièvre et de son église. Alors,
elle entama une dernière prière muette à jamais interrompue.
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Les
cloches de l’église Saint Louis résonnent encore dans la tête et
le cœur de ses paroissiens de la rue Léon Roches, ce chrétien
converti à l’Islam pour l’amour d’une jolie musulmane, qui
partit à sa recherche après que le père de la belle l’ait vendue
à un autre homme. Devenu secrétaire de l’Emir ABD EL KADER, il le
dupa en lui faisant croire qu’il était un musulman de toujours.
Lorsque la supercherie fut révélée, le « prince des
croyants » se montra magnanime. Il lui confia son plus beau
coursier et le renvoya chez les siens. La belle, retrouvée auprès
d’un vieux mari, était morte entre temps.
L’église
dont la première pierre est posée par monseigneur LEYNAUD le 6 mars
1942 sur un ancien stade de basket-ball, sera achevée et consacrée
le premier dimanche de l’Avent 1945, date à laquelle sera
célébrée la première messe par Monseigneur DAUZON, Auparavant, la
petite chapelle devint un abri contre les bombardements. Dans cette
église de 33 mètres de long et 22 de large dont le clocher culmine
à 22,50 mètres, un service funèbre à la mémoire des soldats tués
lors de la guerre 39-45 a lieu sur l’initiative de Monseigneur
LAVIGERIE le 7 novembre 1945. Elle devient le temple des ex-résidents
de la Marine relogés, entre autres, dans le quartier près du square
Saint-Louis. Le père HILAIRE, alsacien-lorrain bon teint, devenu
pied noir d’honneur par amour décerné, accueille les habitants du
quartier avec un mot gentil pour chacun d’entre eux. Lors des
processions, il précède les fidèles parmi les fidèles sans
oublier ceux qui bordent les trottoirs sans se joindre à la fête de
la vierge Marie, entre autres enfants, les élèves de l’école
israélite de l’O.R.T toute proche.
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Saint
Vincent de Paul, église sans parvis de la rue Eugène ROBE, dont
l’entrée ne paie pas de mine, peut sembler faire pâle figure
comparée aux autres édifices religieux de Bab El Oued mais toute
maison de Dieu est belle comme est belle la communion des riverains
de l’esplanade Nelson dont elle fait partie intégrante au même
titre et plus encore, que le marché, le cinéma « Variétés »,
le cinéma « Majestic », la piscine olympique d’eau de
mer d’El Kettani, Padovani ou les jardins Guillemin.
Les
paroisses de Notre Dame des Victoires et de Saint Joseph ne parvenant
plus à satisfaire les trop nombreux fidèles, les autorités
religieuses construisent une vaste salle paroissiale sur un terrain
loué par le curé DEYRIEUX. Mgr LEYNAUD achète le terrain en 1918.
L’esplanade possède son église.
Ses
Abbés CHOVET et STREICHER figurent en bonne place dans la mémoire
de ses paroissiens, tant ils mirent du cœur à l’ouvrage, tant la
bonté de leur âme s’appuya sur la foi des fidèles. Ils
administrèrent la paroisse comme ils l’eussent fait à la tête
d’une cathédrale. Par opposition, les résidents de ce quartier
que certains qualifaient de bourgeois, s’accommodèrent
parfaitement de ce lieu de prière pourtant si dépouillé dans son
apparence, faisant preuve en la circonstance d’une humilité à
faire rougir la médisance.
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NOTRE
DAME D’AFRIQUE
Monseigneur
DUPUCH, premier évêque d’Alger, rapatrie des Dames du Sacré Cœur
de Lyon une vierge en bronze dans la ville blanche. Après avoir
tenté de placer la statue à l’intérieur de l’église SAINTE-
CROIX située dans la haute casbah, il se résigne à l’installer
au cœur de l’archevêché. Après trois années, il confie la
Vierge aux Trappistes de Staouéli.
Monseigneur
PAVY qui succède à Mgr DUPUCH en 1846 est accompagné de deux
lyonnaises qu’il avait connues durant son ministère rhodanien. Ces
femmes locataires du Petit Séminaire vouent une dévotion totale à
Notre Dame de Fourvières qui domine la ville de Lyon. Affectée au
service des enfants malades à Saint-Eugène, les deux femmes
découvrent un ravin où elles installent une statue de la Vierge
Marie. Les familles des pêcheurs, épouses en tête, affluent vers
cette chapelle naturelle improvisée bientôt suivies par
d’innombrables fidèles venues des quatre coins d’Alger.
L’engouement pour ce lieu incite Mgr PAVY à édifier une petite
chapelle, Notre Dame des Ravins, sur les hauteurs de la Bouzaréah
non loin de la Campagne OUALID, petite colline truffée d’amandiers.
Le prélat apprend l’existence de la statue ramenée par son
prédécesseur et confiée aux bons soins des Trappistes. Il la
récupère pour la placer dans la petite chapelle. La statue de
bronze avait foncé avec le temps. Elle devint la Vierge noire
d’Alger.
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Monseigneur
PAVY met, alors, en chantier la basilique en ouvrant une
souscription à laquelle viennent se greffer des capitaux juifs. De
son côté, la famille OUALID, propriétaire du terrain jouxtant
l’édifice offre une parcelle sur laquelle les bâtisseurs
respectueux conservent le banc de pierre où chaque soir, le « vieux
OUALID » s’asseyait, le regard rivé sur l’admirable
panorama d’Alger. En 1854, Mgr PAVY pose la première pierre de
Notre Dame d’Afrique. La mise en chantier est effective le 2
février 1858. Mgr LAVIGERIE la consacre le 2 juillet 1872 devant des
milliers de fidèles, musulmans et israélites compris, tous enfants
d’Alger.
Le
4 mai 1873, la Vierge noire de Notre Dame d’Afrique prend place
dans la crypte.
Alger
possède l’une des plus belles basiliques byzantines de la planète.
Sa situation privilégiée dominant la baie, les vivants et les
morts, son regard posé sur la grande bleue comme une douce promesse
aux marins algérois, la dévotion des trois religions du livre
l’atteste : Notre Dame d’Afrique appartient à tous.
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Les
pèlerinages rassemblent des foules vibrantes de foi avec le
déploiement de bannières et statues portées avec fierté par les
hommes du quartier. La montée vers Notre Dame d’Afrique
pour passer la journée ou un moment à l’ombre de la basilique,
s’empare de chaque virage afin d’ apparaître plus belle, plus
proche de Dieu et des hommes avec vue sur la Méditerranée qui troue
les ruelles de Bab El Oued pour s’exhiber dans sa bleue nudité,
impudique au regard du faubourg. Si l’on est indigène, on vénère
« Madame l’Afrique » car elle veille sur les chrétiens
et les musulmans selon la profession de foi énoncée dans la crypte.
Si l’on est israélite et même si l’on regrette de ne pas y être
mentionné, on estime que « Notre Dame d’Afrique »
veille sur la communauté puisqu’elle veille sur tous les Algérois.
Et de là haut, quelque soit la saison, n’apparaissent aux yeux
avides des enfants du faubourg que l’azur, la mer et Bab El Oued ;
au delà, la ville s’enroule dans son voile atmosphérique, se
devinant à peine à travers la brume de chaleur qui dérobe les
beaux quartiers à la vue panoramique mourant dans l’onde
cristalline.
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