samedi 9 août 2014

EXTRAIT DE IL ETAIT UNE FOIS........BAB EL OUED de Hubert Zakine

CHAPITRE QUATRIEME

MŒURS ET TRADITIONS

LA RELIGION

Les gens de Bab El Oued, à l’instar de ceux de toute l’ALGERIE et de tous les peuples méditerranéens, côtoient Dieu avec une ferveur, un dévouement et une conscience quasi mystiques. Les trois religions du Livre débordent des temples, des églises, des synagogues et des mosquées pour empiéter sur la vie de tous les jours. La transmission orale des croyances s’opère dès la naissance par des pratiques traditionnelles, des coutumes ancestrales empruntées aux générations précédentes. Chacun s’ancre dans sa « Maison » bercée de chants liturgiques venus de la nuit des temps, de prières traversières d’innombrables exils, de légendaires épopées et de contes immémoriaux. Dans ce pays si démonstratif où le chuchotement est synonyme de cimetière, où les murs répercutent le moindre éclat de rire pour le faire voyager en pays de résonance, où la voix devient haut-parleur à la moindre contradiction, les fêtes religieuses adoptent un faste que la lumière des cieux éclaire de mille feux. Dans ce faubourg, au sein de cette grande famille de cœur, la plus petite célébration, la moindre réjouissance se « voit ». Même si l’on prie la Sainte Vierge, on suit d’un œil attentif et attendri, le Yom Kippour du voisinage. Parfois, souvent, dans les rues commerçantes où les israélites ferment les yeux de leurs magasins, les boutiques appartenant aux autres communautés conservent leurs rideaux baissés autant par sympathie que par absence de clientèle. A l’opposé, les enfants de Moïse et les fils de Mahomet s’associent avec spontanéité et ferveur aux flonflons des Noël d’Algérie. La fête des Rameaux avec son cortège d’enfants fiers comme Artaban portant hampes enrubannées, décorées, tressées de sucreries confites ou chocolatées achetées chez le Dieu pâtissier qui rivalise avec ses confrères pour le bonheur des petits et des grands, est suivie avec tendresse par toute les communautés de Bab El Oued. Les religions en ce pays enseignent l’amour. Elles se veulent le terreau où germe, grandit et s’enracine l’arbre de vie d’une famille en attendant de nouvelles branches, de futures pousses, de tendres berceaux. Elles ancrent les jeunes et les vieux à une philosophie qui façonne la pensée et la modernise en conservant les valeurs ancestrales. Loin de s’opposer, les religions s’apportent, ici plus qu’ailleurs, le meilleur de leurs écritures par la pratique d’une richesse du cœur consensuelle. La foi en bandoulière, les habitants de ce quartier se marient dans leur rue par idéologie fervente, de peur de couper le cordon ombilical avec leur croyance. Mais l’amitié des rues, des écoles et des jardins trace dans le ciel algérois le chemin d’une gloire à Dieu qui enjambe églises, temples et synagogues pour se fondre dans le moule commun de la France. Pour les enfants du faubourg, le football se nourrit des différences à la table d’une passion commune qui emplit les stades et envahit les rues et les places. Alors, si le garçon par ses dribbles, renforce l’équipe du quartier, point n’est besoin de savoir s’il fera sa communion solennelle ou sa Bar Misvah, s’il jeûne le jour du vendredi saint ou le jour du Grand Pardon. Le voisinage pêche sa complicité au large des édifices religieux et si les mariages mixtes se comptent sur les doigts d’une main pour mille raisons qui s’éloignent totalement de l’intolérance, les amitiés se nouent sans distinction de race ni de religion. Bab El Oued est une grande famille au sein de laquelle coexistent pacifiquement les enfants de l’ancien et du nouveau testament avec pour dénominateur commun : la richesse du cœur.

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CHAPITRE QUATRIEME
MŒURS ET TRADITIONS
LA RELIGION
LE CATHOLICISME






La ferveur des nouveaux arrivants oblige les autorités militaires à bâtir en toute hâte des chapelles pour assouvir le besoin de Dieu de ces exilés. Pour ces humbles gens, loin du pays natal où la prière est le seul luxe et la communion le seul repère, qui se signent du lever du jour au coucher du soleil et à chaque instant de la journée afin de conserver le lien qui les unit à l’Eternel et remercier le ciel de les bénir en terre d’Afrique, la quête de Dieu illumine leur misérable existence.
Les nouveaux maîtres du pays affectent plusieurs mosquées au culte catholique. En 1832, on fête le premier Noël en Algérie. Pour l’occasion, le Duc de ROVIGO inaugure l’église Saint Philippe, ex-Mosquée Djamâa Ketchawa, que les autorités musulmanes offrent aux nouveaux maîtres du pays en précisant : « Vous auriez pu la prendre. Vous avez la courtoisie de nous la demander! ».
Cette église sera détruite et reconstruite en 1843 en tant que Grande Cathédrale d’Alger.

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En 1838, l’arrivée de Mgr DUPUCH jette les bases de l’église d’Afrique après douze siècles de silence. Dés 1839, il réalise la transformation de la mosquée de la casbah désertée par son imam en église Sainte Croix. Lors de l’inauguration, le général DE BOURMONT plante lui-même la croix dans un geste symbolique de la France chrétienne en terre d’islam. Puis, le 27 Mars 1843, il ouvre la mosquée Djamâa Ali Bitchin, rue de la casbah, au catholicisme qui sera baptisée Notre Dame des Victoires. Son successeur, Mgr PAVY pose la première pierre de Notre Dame d’Afrique en 1854 et transforme l’église Saint Philippe en une vaste cathédrale. C’est Mgr LAVIGERIE qui, de 1867 à 1892, consolide l’œuvre de ses deux prédécesseurs. Il ouvre l’orphelinat de Ben Aknoun, multiplie le nombre de ses paroisses et consacre en 1872 la Basilique de Notre Dame d’Afrique. Il fonde en 1868 l’ordre des Missionnaires, les Pères Blancs dont le signe distinctif est représenté par le port de la barbe, du burnous et de la chéchia mais malgré tous les efforts de l’épiscopat, l’évangélisation des masses berbères échoue. Sous son diocèse, les Petites Sœurs des Pauvres installent à la Bouzaréah une maison pour accueillir les vieilles personnes isolées.
Son œuvre immense est récompensée par sa nomination au rang de cardinal puis d’archevêque. Monseigneur LAVIGERIE meurt en 1892 à Alger. On dénombre, alors, deux cathédrales, deux basiliques et plus de deux cents églises.
Mgr LEYNAUD prend la relève en 1917. Il sera le dernier grand archevêque de l’Algérie Française. Mgr DUVAL lui succède en 1954. Ce métropolitain ne gagnera jamais le cœur des fidèles. il se garda de condamner les atrocités des ennemis de la France et s’attira les foudres de ses ouailles par son soutien à l’indépendance. La chrétienté en terre d’Islam fut son utopie. Il pensait naïvement que les « pieds noirs » adopteraient une Algérie nouvelle dont l’Islam serait décrété religion d’état. Il fit montre en la circonstance d’une méconnaissance totale du pays et de la mentalité de ses habitants. Le repli en métropole de quelques 800000 chrétiens sera un camouflet cinglant de l’histoire des hommes qui entérinera le choix des français d’Algérie comme la seule solution humaine possible.

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Les catholiques de Bab El Oued suivent l’évolution de la chrétienté en Algérie avec sérénité. Les églises SAINT VINCENT DE PAUL avenue Eugène Robe, SAINT LOUIS rue Léon Roches, SAINT JOSEPH Place Lelièvre et la chapelle SAINTE THERESE rue de Normandie œuvrent à satisfaire leur spiritualité. Dominant Bab El Oued, la basilique byzantine de NOTRE DAME D’AFRIQUE, du haut de la colline, étend sa main sur les chrétiens et les musulmans comme le stipule le serment à l’intérieur de la crypte où trône la vierge noire.

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L’église Saint Joseph posée sur la Place Lelièvre comme une cerise sur un gâteau, est la plus ancienne maison de Dieu de Bab El Oued. Elle fut bâtie dans les années 1880 à l’initiative du diocèse d’Alger. C’est la baguette de l’architecte Théodore Alexandre CHEVALIER que s’éleva l’église de la Place Lelièvre.
Combien de baptêmes, de communions solennelles, de mariages, les cloches de ses deux campaniles ont célébrés en carillonnant de joie et de ferveur? Combien d’invités aux cérémonies, parés de leurs plus beaux atours, ont foulé le parvis encadré de ses deux charmants jardins? Combien de jeunes mariés subirent le mitraillage pacifique des photographes PETRUSA, REÜS ou KING PHOTO? Combien d’enfants bardés de hampes de rameaux amoureusement décorés de chocolats et de fruits confits se sont levés à la
bénédiction des Abbés CASTERA et GAZIER? Combien de défunts ont reçu un dernier hommage du quartier au sein de cette église qui, de maison de Dieu, devînt maison des hommes tant les fidèles s’attachèrent aux maîtres des lieux hormis l’Abbé SCOTTO coupable d’avoir encouragé par ses discours et ses actes les menées subversives du F.L.N. ? Combien de souvenirs jalonnent l’existence de ce joyau du catholicisme au cœur de Bab El Oued si pieux? Combien de fidèles reconnurent dans la lutte fratricide entre DON CAMILLO et PEPPONE le combat mené par l’Abbé CASTERA contre le communisme et son chef SERRANO que les cloches de Saint Joseph accompagnèrent toutefois à sa dernière demeure.
Saint Joseph courba l’échine sous les bombes, regarda ses fidèles refermer leurs persiennes et s’éloigner les yeux embués de larmes loin de Bab El Oued, de la Place Lelièvre et de son église. Alors, elle entama une dernière prière muette à jamais interrompue.


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Les cloches de l’église Saint Louis résonnent encore dans la tête et le cœur de ses paroissiens de la rue Léon Roches, ce chrétien converti à l’Islam pour l’amour d’une jolie musulmane, qui partit à sa recherche après que le père de la belle l’ait vendue à un autre homme. Devenu secrétaire de l’Emir ABD EL KADER, il le dupa en lui faisant croire qu’il était un musulman de toujours. Lorsque la supercherie fut révélée, le « prince des croyants » se montra magnanime. Il lui confia son plus beau coursier et le renvoya chez les siens. La belle, retrouvée auprès d’un vieux mari, était morte entre temps.
L’église dont la première pierre est posée par monseigneur LEYNAUD le 6 mars 1942 sur un ancien stade de basket-ball, sera achevée et consacrée le premier dimanche de l’Avent 1945, date à laquelle sera célébrée la première messe par Monseigneur DAUZON, Auparavant, la petite chapelle devint un abri contre les bombardements. Dans cette église de 33 mètres de long et 22 de large dont le clocher culmine à 22,50 mètres, un service funèbre à la mémoire des soldats tués lors de la guerre 39-45 a lieu sur l’initiative de Monseigneur LAVIGERIE le 7 novembre 1945. Elle devient le temple des ex-résidents de la Marine relogés, entre autres, dans le quartier près du square Saint-Louis. Le père HILAIRE, alsacien-lorrain bon teint, devenu pied noir d’honneur par amour décerné, accueille les habitants du quartier avec un mot gentil pour chacun d’entre eux. Lors des processions, il précède les fidèles parmi les fidèles sans oublier ceux qui bordent les trottoirs sans se joindre à la fête de la vierge Marie, entre autres enfants, les élèves de l’école israélite de l’O.R.T toute proche.

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Saint Vincent de Paul, église sans parvis de la rue Eugène ROBE, dont l’entrée ne paie pas de mine, peut sembler faire pâle figure comparée aux autres édifices religieux de Bab El Oued mais toute maison de Dieu est belle comme est belle la communion des riverains de l’esplanade Nelson dont elle fait partie intégrante au même titre et plus encore, que le marché, le cinéma « Variétés », le cinéma « Majestic », la piscine olympique d’eau de mer d’El Kettani, Padovani ou les jardins Guillemin.
Les paroisses de Notre Dame des Victoires et de Saint Joseph ne parvenant plus à satisfaire les trop nombreux fidèles, les autorités religieuses construisent une vaste salle paroissiale sur un terrain loué par le curé DEYRIEUX. Mgr LEYNAUD achète le terrain en 1918. L’esplanade possède son église.
Ses Abbés CHOVET et STREICHER figurent en bonne place dans la mémoire de ses paroissiens, tant ils mirent du cœur à l’ouvrage, tant la bonté de leur âme s’appuya sur la foi des fidèles. Ils administrèrent la paroisse comme ils l’eussent fait à la tête d’une cathédrale. Par opposition, les résidents de ce quartier que certains qualifaient de bourgeois, s’accommodèrent parfaitement de ce lieu de prière pourtant si dépouillé dans son apparence, faisant preuve en la circonstance d’une humilité à faire rougir la médisance.


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NOTRE DAME D’AFRIQUE


Monseigneur DUPUCH, premier évêque d’Alger, rapatrie des Dames du Sacré Cœur de Lyon une vierge en bronze dans la ville blanche. Après avoir tenté de placer la statue à l’intérieur de l’église SAINTE- CROIX située dans la haute casbah, il se résigne à l’installer au cœur de l’archevêché. Après trois années, il confie la Vierge aux Trappistes de Staouéli.
Monseigneur PAVY qui succède à Mgr DUPUCH en 1846 est accompagné de deux lyonnaises qu’il avait connues durant son ministère rhodanien. Ces femmes locataires du Petit Séminaire vouent une dévotion totale à Notre Dame de Fourvières qui domine la ville de Lyon. Affectée au service des enfants malades à Saint-Eugène, les deux femmes découvrent un ravin où elles installent une statue de la Vierge Marie. Les familles des pêcheurs, épouses en tête, affluent vers cette chapelle naturelle improvisée bientôt suivies par d’innombrables fidèles venues des quatre coins d’Alger. L’engouement pour ce lieu incite Mgr PAVY à édifier une petite chapelle, Notre Dame des Ravins, sur les hauteurs de la Bouzaréah non loin de la Campagne OUALID, petite colline truffée d’amandiers. Le prélat apprend l’existence de la statue ramenée par son prédécesseur et confiée aux bons soins des Trappistes. Il la récupère pour la placer dans la petite chapelle. La statue de bronze avait foncé avec le temps. Elle devint la Vierge noire d’Alger.

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Monseigneur PAVY met, alors, en chantier la basilique en ouvrant une souscription à laquelle viennent se greffer des capitaux juifs. De son côté, la famille OUALID, propriétaire du terrain jouxtant l’édifice offre une parcelle sur laquelle les bâtisseurs respectueux conservent le banc de pierre où chaque soir, le « vieux OUALID » s’asseyait, le regard rivé sur l’admirable panorama d’Alger. En 1854, Mgr PAVY pose la première pierre de Notre Dame d’Afrique. La mise en chantier est effective le 2 février 1858. Mgr LAVIGERIE la consacre le 2 juillet 1872 devant des milliers de fidèles, musulmans et israélites compris, tous enfants d’Alger.
Le 4 mai 1873, la Vierge noire de Notre Dame d’Afrique prend place dans la crypte.
Alger possède l’une des plus belles basiliques byzantines de la planète. Sa situation privilégiée dominant la baie, les vivants et les morts, son regard posé sur la grande bleue comme une douce promesse aux marins algérois, la dévotion des trois religions du livre l’atteste : Notre Dame d’Afrique appartient à tous.

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Les pèlerinages rassemblent des foules vibrantes de foi avec le déploiement de bannières et statues portées avec fierté par les hommes du quartier. La montée vers  Notre Dame d’Afrique pour passer la journée ou un moment à l’ombre de la basilique, s’empare de chaque virage afin d’ apparaître plus belle, plus proche de Dieu et des hommes avec vue sur la Méditerranée qui troue les ruelles de Bab El Oued pour s’exhiber dans sa bleue nudité, impudique au regard du faubourg. Si l’on est indigène, on vénère « Madame l’Afrique » car elle veille sur les chrétiens et les musulmans selon la profession de foi énoncée dans la crypte. Si l’on est israélite et même si l’on regrette de ne pas y être mentionné, on estime que « Notre Dame d’Afrique » veille sur la communauté puisqu’elle veille sur tous les Algérois. Et de là haut, quelque soit la saison, n’apparaissent aux yeux avides des enfants du faubourg que l’azur, la mer et Bab El Oued ; au delà, la ville s’enroule dans son voile atmosphérique, se devinant à peine à travers la brume de chaleur qui dérobe les beaux quartiers à la vue panoramique mourant dans l’onde cristalline.

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