AVANT
PROPOS
" Sale juif!",
l'insulte suprême. Qui vise à détruire, à mortifier, à salir, à
blesser. L'offensé même blindé par des millénaires d'errances, de
pogroms, d'holocaustes, reçoit l'outrage comme un coup de poignard
dans le dos. Bagarreur, il lave l'injure dans le sang. Parfois, le
sien. Souvent, celui de l'auteur de la violence verbale. Innocent, il
baisse la tête et courbe l'échine, s'abritant dans l'excuse et la
faiblesse. Mais, batailleur ou résigné, la fierté conquérante ou
douloureuse, le juif puise des forces nouvelles à la source de sa
survie.
Les paroles ne
s'envolent guère plus que les écrits. Bien au contraire, elles
enveloppent le blessé jusqu'à lui offrir une carapace qui renvoie,
miroir déformant, l'offense à l'offenseur.
Les inquisiteurs puissants ou dérisoires traînent
derrière eux des siècles d'absurdité tant le machiavélisme
habilla leurs actes et leurs propos. Dans l'empire ottoman comme dans
l'Espagne médiévale, dans l'Europe de l'Est comme dans l'Allemagne
hitlérienne, le juif jouissait du seul droit de mourir. Le
"mécréant" vivait dans des ghettos, des mellahs, des
haras, dans des conditions d'insalubrité inhumaine, entassé dans
des porcheries qui osaient dire leurs noms. Première victime des
épidémies, il subissait les effets néfastes d'une promiscuité
malsaine. Et sa mort, ignorant le jugement de Dieu, résultait de la
volonté humaine de quelque tyran à la haine démesurée.
A huit jours, le Mohel
donne aux garçons le premier signe distinctif et anatomique de sa
judaïté dans un concert de chants et de prières empruntés à tous
les judaïsmes de la planète. A l'école de la vie et du Talmud,
l'enfant s'enroule dans l'histoire de son peuple. Le Shabbat, Yom
Kippour, Hanoucca, Pessah, Roch Hachana, Succoth, Pourim, cadencent
les saisons de sa jeunesse pour l'emporter sur le bateau ivre de
l'âge adulte et de sa Bar Misvah. Le Taleth de ce jour béni,
enveloppe ses épaules et son existence pour le conduire de l'apogée
à l'éternité.
Cet
enfant, élu de Dieu, miroir de la vie, jouit de tous les privilèges
que lui octroie son appartenance à la communauté juive de son pays.
Cohérence universelle au dénominateur commun: Israël. Un seul
regard, un seul refuge, une seule entité. Elevé dans l'amour de
l'Eternel, empreint des certitudes transmises par son éducation
religieuse et familiale, il est l'avenir de son peuple et son
identité ne souffre aucune discussion. Il est juif malgré les
avanies, les vexations, les offenses. La force de ses convictions
reste inébranlable, baignée par une lumière intérieure que seule
la mort éteindra. Il est juif une fois pour toutes. "A la vie,
à la mort!"
Chaque
récit l'ancre davantage dans cet univers spirituel où l'emportent
parfois les histoires d'une grand mère détentrice des légendes du
passé. Transmettre les traditions et le savoir, tel est le rôle
dévolu aux adultes afin que l'héritage millénaire de la foi ne se
perde dans le brouillard de la modernité. Pour l'enfant, le goût
des pâtisseries de la fête engendre une jubilation naturelle pour
la religion puisqu'elle est synonyme de sucreries délicieuses
façonnées une fois l'an par une maman-gâteau. La fête est la
récompense suprême de toutes les envies et de toutes les tentations
d'un monde inconnu. Elle a toutes les vertus et tous les privilèges.
Aussi, nul ne s'étonne de voir l'enfant juif entrer en religion avec
autant de désinvolture, d'assurance et d'engouement. La démarche
est naturelle. Tout son environnement l'y invite. La "menorah",
chandelier d'argent qui trône sur le buffet, la "mezouza"
que l'on embrasse en franchissant le seuil de la maison familiale, la
prière autour de la table dressée les soirs de "shabbat",
l'asguère, commémoration par le "quaddish" des défunts
de la famille, "Roch Hoddesh" pour la visite au cimetière
le dernier vendredi du mois, tout parle à l'enfant de judaïsme, de
tradition et de foi.
L'histoire
des juifs est toujours tributaire de la bêtise des hommes. Partout,
cette communauté est confrontée à la barbarie mais il arrive,
parfois, que le pays d'accueil ressemble à ce havre de paix tant
espéré. Alors, pour un instant et un instant seulement, ces gens
hagards, dépenaillés, un maigre baluchon en guise de bagage, pour
ne pas lâcher prise et ne pas faire naufrage, enfilent le costume du
dhimmi, d'artisan aux doigts d'or, de négociant au droit limité
mais au commerce autorisé. Alors, il se fait un devoir de ne jamais
faire de vagues, évitant les querelles et les rodomontades, effacé
mais souriant, offrant une image pastellisée de l'émigré juif en
terre étrangère.
Jusqu'au
pogrom suivant, au pillage des synagogues, aux confiscations des
biens et aux conversions forcées.
Le
soleil brille pour tout le monde, dit-on, mais le juif errant ne
trouve que barrières et frontières, tortures et sévices,
humiliations et désespérances. L'enfant de ce peuple, devenu adulte
n'oublie ni ne pardonne. Il transmet à ses fils et à ses filles la
souffrance qu'il porte en lui. Mais ce fardeau millénaire serait
trop lourd pour ses frêles épaules. Alors, il partage ce douloureux
héritage avec ses frères, fidèles côtoyés à la synagogue, amis
d'enfance et de souffrance, cercle familial penché sur son passé.
Elevé dans cette ambiguïté, à mi-chemin de l'amour et de la
haine, adoré de ses parents, abhorré de l'antisémite, l'enfant
juif canalise les torrents d'hostilité déversés par
l'incompréhensible aversion dont il est l'objet, grâce aux leçons
de ses maîtres et de ses pairs. Grâce à cette fierté partagée
par tout un peuple à l'écoute de l'Eternel dans ce qu'il a de plus
grand, de plus beau, de plus humain. Grâce à cette faculté
exceptionnelle d'adaptation à tous les climats, à toutes les
langues, à toutes les intelligences. Grâce enfin, à ce formidable
instinct de conservation, privilège réservé à toutes les espèces
en voie de disparition qui, telles des phénix, renaissent de leurs
cendres par le cri d'un nouveau-né.
Le
prénom du grand père lui sera, alors, offert comme le symbole d'une
continuité, une passerelle entre les générations reliant le passé
douloureux au futur ensoleillé, le souvenir brûlant d'un pays
oublié sous d'autres cieux à l'espérance d'un prochain retour à
Jérusalem.
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