jeudi 24 juillet 2014

extrait de " DIASPORA ET JUDAISME , l'enfance sacrifiée des mariages mixtes" de Hubert Zakine

AVANT PROPOS


" Sale juif!", l'insulte suprême. Qui vise à détruire, à mortifier, à salir, à blesser. L'offensé même blindé par des millénaires d'errances, de pogroms, d'holocaustes, reçoit l'outrage comme un coup de poignard dans le dos. Bagarreur, il lave l'injure dans le sang. Parfois, le sien. Souvent, celui de l'auteur de la violence verbale. Innocent, il baisse la tête et courbe l'échine, s'abritant dans l'excuse et la faiblesse. Mais, batailleur ou résigné, la fierté conquérante ou douloureuse, le juif puise des forces nouvelles à la source de sa survie.
Les paroles ne s'envolent guère plus que les écrits. Bien au contraire, elles enveloppent le blessé jusqu'à lui offrir une carapace qui renvoie, miroir déformant, l'offense à l'offenseur.
Les inquisiteurs puissants ou dérisoires traînent derrière eux des siècles d'absurdité tant le machiavélisme habilla leurs actes et leurs propos. Dans l'empire ottoman comme dans l'Espagne médiévale, dans l'Europe de l'Est comme dans l'Allemagne hitlérienne, le juif jouissait du seul droit de mourir. Le "mécréant" vivait dans des ghettos, des mellahs, des haras, dans des conditions d'insalubrité inhumaine, entassé dans des porcheries qui osaient dire leurs noms. Première victime des épidémies, il subissait les effets néfastes d'une promiscuité malsaine. Et sa mort, ignorant le jugement de Dieu, résultait de la volonté humaine de quelque tyran à la haine démesurée.

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L'autre juif, le notable, le possesseur du savoir s'agitait alentour du pouvoir. Riche négociant, médecin, astronome, physicien, mathématicien, poète, banquier ou théologien, il payait un impôt, une dîme pour droit de vie. Selon la volonté du pouvoir, la place des suppliciés juifs se maculait du rouge de la honte. L'histoire du peuple d'Israël regorge de récits dantesques où la légende ne joue aucun rôle mais où la vérité explose au soleil comme le fruit sucré et acide d'une grenade de Pessah. Le devoir de mémoire enseigne aux enfants ABRAHAM, MOÏSE, DAVID, LES DIX COMMANDEMENTS, LA THORA, LA SHOAH.....

A huit jours, le Mohel donne aux garçons le premier signe distinctif et anatomique de sa judaïté dans un concert de chants et de prières empruntés à tous les judaïsmes de la planète. A l'école de la vie et du Talmud, l'enfant s'enroule dans l'histoire de son peuple. Le Shabbat, Yom Kippour, Hanoucca, Pessah, Roch Hachana, Succoth, Pourim, cadencent les saisons de sa jeunesse pour l'emporter sur le bateau ivre de l'âge adulte et de sa Bar Misvah. Le Taleth de ce jour béni, enveloppe ses épaules et son existence pour le conduire de l'apogée à l'éternité.

Cet enfant, élu de Dieu, miroir de la vie, jouit de tous les privilèges que lui octroie son appartenance à la communauté juive de son pays. Cohérence universelle au dénominateur commun: Israël. Un seul regard, un seul refuge, une seule entité. Elevé dans l'amour de l'Eternel, empreint des certitudes transmises par son éducation religieuse et familiale, il est l'avenir de son peuple et son identité ne souffre aucune discussion. Il est juif malgré les avanies, les vexations, les offenses. La force de ses convictions reste inébranlable, baignée par une lumière intérieure que seule la mort éteindra. Il est juif une fois pour toutes. "A la vie, à la mort!"
Chaque récit l'ancre davantage dans cet univers spirituel où l'emportent parfois les histoires d'une grand mère détentrice des légendes du passé. Transmettre les traditions et le savoir, tel est le rôle dévolu aux adultes afin que l'héritage millénaire de la foi ne se perde dans le brouillard de la modernité. Pour l'enfant, le goût des pâtisseries de la fête engendre une jubilation naturelle pour la religion puisqu'elle est synonyme de sucreries délicieuses façonnées une fois l'an par une maman-gâteau. La fête est la récompense suprême de toutes les envies et de toutes les tentations d'un monde inconnu. Elle a toutes les vertus et tous les privilèges. Aussi, nul ne s'étonne de voir l'enfant juif entrer en religion avec autant de désinvolture, d'assurance et d'engouement. La démarche est naturelle. Tout son environnement l'y invite. La "menorah", chandelier d'argent qui trône sur le buffet, la "mezouza" que l'on embrasse en franchissant le seuil de la maison familiale, la prière autour de la table dressée les soirs de "shabbat", l'asguère, commémoration par le "quaddish" des défunts de la famille, "Roch Hoddesh" pour la visite au cimetière le dernier vendredi du mois, tout parle à l'enfant de judaïsme, de tradition et de foi.
L'histoire des juifs est toujours tributaire de la bêtise des hommes. Partout, cette communauté est confrontée à la barbarie mais il arrive, parfois, que le pays d'accueil ressemble à ce havre de paix tant espéré. Alors, pour un instant et un instant seulement, ces gens hagards, dépenaillés, un maigre baluchon en guise de bagage, pour ne pas lâcher prise et ne pas faire naufrage, enfilent le costume du dhimmi, d'artisan aux doigts d'or, de négociant au droit limité mais au commerce autorisé. Alors, il se fait un devoir de ne jamais faire de vagues, évitant les querelles et les rodomontades, effacé mais souriant, offrant une image pastellisée de l'émigré juif en terre étrangère.
Jusqu'au pogrom suivant, au pillage des synagogues, aux confiscations des biens et aux conversions forcées.
Le soleil brille pour tout le monde, dit-on, mais le juif errant ne trouve que barrières et frontières, tortures et sévices, humiliations et désespérances. L'enfant de ce peuple, devenu adulte n'oublie ni ne pardonne. Il transmet à ses fils et à ses filles la souffrance qu'il porte en lui. Mais ce fardeau millénaire serait trop lourd pour ses frêles épaules. Alors, il partage ce douloureux héritage avec ses frères, fidèles côtoyés à la synagogue, amis d'enfance et de souffrance, cercle familial penché sur son passé. Elevé dans cette ambiguïté, à mi-chemin de l'amour et de la haine, adoré de ses parents, abhorré de l'antisémite, l'enfant juif canalise les torrents d'hostilité déversés par l'incompréhensible aversion dont il est l'objet, grâce aux leçons de ses maîtres et de ses pairs. Grâce à cette fierté partagée par tout un peuple à l'écoute de l'Eternel dans ce qu'il a de plus grand, de plus beau, de plus humain. Grâce à cette faculté exceptionnelle d'adaptation à tous les climats, à toutes les langues, à toutes les intelligences. Grâce enfin, à ce formidable instinct de conservation, privilège réservé à toutes les espèces en voie de disparition qui, telles des phénix, renaissent de leurs cendres par le cri d'un nouveau-né.
Le prénom du grand père lui sera, alors, offert comme le symbole d'une continuité, une passerelle entre les générations reliant le passé douloureux au futur ensoleillé, le souvenir brûlant d'un pays oublié sous d'autres cieux à l'espérance d'un prochain retour à Jérusalem.


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