dimanche 18 mai 2014

extrait de "SQUARE GUILLEMIN" DE HUBERT ZAKINE



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Le square Guillemin il est composé de cinq jardins qui descendent vers Padovani. Une offrande de Napoléon III à sa femme l’impératrice Eugénie. (C’est la seule chose que je connais sur Napoléon, alors hein, lâchez moi la grappe !) 
Eugénie, je parle de l’impératrice  comme si c’était ma voisine.  (Aouah, mes voisines elles s’appellent plutôt Fifinette, Lisette, Charlette, Paulette, j’en passe et des meilleures !) 
Donc l’impératrice elle a pas supporté la grosse sarannah d’Alger quand elle est venue en dix huit cent et quelques. Y avait trop de soleil et pas assez d’ombre. 
Une enquiquineuse, quoi ! Son mari, empereur ou pas, il est comme tous les maris, il dit amen à tout. Il marche pas, il court ! Ni une, ni deux, il dessine lui même les plans des deux trouées  du Plateau des Gliéres et du boulevard Guillemin. 
Et le résultat il est sous mes yeux. 
Une merveille de verdure qui descend en cascade vers la Méditerranée. La vérité, si Alger c’était seulement l’Esplanade c’est à dire les quartiers Nelson et Guillemin, ça me suffirait. Padovani pour taper le bain, El Kettani pour battre des records, Grosoli pour son créponné, le Majestic pour accueillir des matches de boxe, des vedettes du music hall et accessoirement des  films d’aventures, les Variétés pour les films romantiques et le Mon Ciné pour les films de cow boys, le marché Nelson pour que nos mères elles nous obligent à porter leurs paniers et des amis pour nous rendre plus belle la vie. 
Ouais, mais il en a un qui l’entend pas de cette oreille. Un véritable truch ! 
Un forain qui vient installer  dans le jardin Guillemin un manège ! Notre stade où les plus grands matches du quartier  se déroulent, le voilà affublé d’une appendice. 

Notre jardin qu’il était un véritable ballon de football, rond comme si l’architecte l’avait tracé avec un compas, notre square ouvert aux quatre vents des familles exubérantes, des amitiés éternelles, des étés resplendissants et des retrouvailles joyeuses, notre jardin à nous, détérioré, violé et malheureux. 
Encore si c’était seulement pour l’été mais ce falampo à l’huile d’olive nous dit que c’est jusqu’à la saint glin glin. La moutarde elle nous monte au nez mais quoi faire ? Les petits sont tout contents d’attraper le ponpon  et nous, les footballeurs du quartier, on est rapatriés dans les rues avoisinantes. Rue Feuillet, rue Lazerges, rue Thuillier ou rue Koechlin comme quand on jouait avec une balle en chiffon, en papier ou avec une boîte de chique. Comme des misérables ! 
Maintenant qu’on peut se payer une belle balle en se cotisant, tout le quartier, on est éjectés du jardin Guillemin. On peut pas se contenter de dire amen et de jouer les gamates, quand même ! Notre jardin, il est à nous et personne ne pourra nous en chasser. En plus, le patron du manège, on sait même pas d’où il vient (peut-être c’est un patos) et il croit qu’on va lui laisser le champ libre ! 
Un matin, on commence  un match entre nous mais Mani qui en touche pas une au foot, il envoie la balle dans le manège. Confiscations, Parlementations, lamentations, négociations, rien n’y fait. Le falampo  nous confisque  la balle.
 --Va dire à tes parents qu’ils viennent me voir ! Comme s’ils avaient que ça à faire et puis, c’est pas notre genre de laisser nos parents régler nos histoires de rues.

Capo, le génie du square Guillemin, nous propose d’aller chercher nos taouètes. On s’exécute et on encercle le manège comme les sioux de Sitting Bull. On vise la boule à reflets au plafond et on prévient le général Custer :

--Si vous nous rendez pas la balle, on casse tout !

C’est à prendre ou à laisser. Raïeb, Custer, il a compris que fumer le calumet de la paix, c’est pas si mal. Non seulement on a récupéré notre balle mais on a obtenu la promesse qu’on pourrait jouer tous les matins.  On a rangé nos taouètes jusqu’à la prochaine fois et Custer, c’est devenu notre copain. La classe qu’il a ce Capo !

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