Purée,
ces fils à pèpe, on peut pas sentir leur eau de Cologne, leur
raie bien droite dans les cheveux, leurs chaussures cirées et leur
dégaine de premier de la classe. Aouah, c’est pas notre genre.
Nous autres, on est du style cancres et compagnie. Propres sur nous
mais, au bout d’un quart d’heure, bons à jeter au kassour. On
plonge, on se roule parterre, zarmah on simule le penalty, on se
court après, enfin, on est des chitanes comme elle dit ma mère. Et
avec elle, toutes les mères d’Algérie.
Purée,
ces vacances, pendant toute notre scolarité, on les attend pire que
le Messie. Mais non ! Mais si !
Dans
le quartier, c’est la folie du premier juillet au trente
septembre. Tous les jours, la bande de oualiones de la rue
Thuillier, elle mate le balcon de Malika, la belle fatmah qui
travaille au rez-de-chaussée de la maison des morts. Comme des
gobieux, chacun il essaie de voir sous sa jupe quand elle lave le
balcon. Pas pour surveiller si elle astique bien le parterre !
Que nenni ! Pour taper des jetons sous son sarouel et sur ses
gros tétés, même qu’elle met pas de soutien gorge sous sa
chemise. Remarque, nous les petits, zarmah, ça nous intéresse.
Total, on s’en fout du tiers comme du quart. La vérité, qu’est-ce
qu’on en ferait à notre âge, de ses tétés ! Trop grands
pour prendre la tétée et trop petit pour jouer avec. Et encore,
heureusement qu’elle travaille pas toute la journée sur le balcon,
genre je nettoie les carreaux avec du papier journal parce que,
attention les jetons ! On a beau se répéter que jamais, au
grand jamais, on pourrait s’approcher d’elle, la plupart
des copains y se font un cinéma pas possible ! Et plus, ils se
font du cinéma, plus nous autres, les petits, on se bidonne comme
quand on voit un film de Jerry Lewis ! (Chof, la répétition !
C’est voulu parce que mes copains, cinéma ambulant et compagnie !)
En plus, Bernard le plus âgé de la bande, il est amoureux de
Malika avec sa tête de tchic tchic à trois faces et ses jambes
toutes poilues. On dit souvent que l’amoureux, il est jaloux
comme un tigre ! Des fois, j’te jure, la langue française
hein ! Comment y savent qu’un tigre, c’est jaloux, la
vérité ! Comme si Tony Arbona, il en avait interrogé un et
que le tigre lui avait fait des confidences ! Comme
elle dit ma tante de la cuisse gauche, va te faire une soupe de
fèves, va !
Pendant
trois mois, j’allais me prélasser dans mon lit, me taper la grasse
matinée avec ma mère qui se fera un devoir de se mouvoir avec
précaution de peur de me réveiller. Ba !ba ! ba ! Le
bonheur de plus se lever pour aller en classe contraint et forcé
(sauf quand je tapais cao !) comme si je vais me faire pendre !
Châ ! Qui mieux que moi ! C’est là que je dois dire que
le roi, il est pas mon cousin ! D’accord, l’argent, j’en
ai pas bezef, mais je m’en tamponne le coquillard pace que je
rentre à ouffa au cinéma grâce à mon ami Attia de la rue
Rochambeau même que son père c’est un ami aux frères Siari.
Ok !
Vous êtes pas censés savoir que les frères Siari, en plus d’être
opticiens, c’est les patrons de plusieurs cinémas de Bab El Oued !
Et ben, maintenant vous le savez ! Et même, entre les matches
de foot quartier contre quartier au jardin Guillemin ou à El
Kettani, les panchas à Padovani, Pointe Pescade ou Bains
Romains j’ai de quoi m’amuser jusqu’à la saint glin-glin.
Entre parenthèses, aux Bains Romains, la vérité, j’ai jamais vu
Jules César ni Caligula! Sans compter les filles qu’à partir de
quatre heures, je vais draguer à mort comme tous les garçons du
quartier. Y faut dire que tous les jours, une petite blondinette,
elle vient au square Guillemin près de la bonbonnière de Pasquale
où la vanille des beignets italiens elle embaume le quartier. Comme
j’ai l’air de pas lui déplaire, je me fais un cinéma en
cinémascope, en technicolor et même en relief. Mon ami Boisis, rien
qu’il veut que je l’attaque comme si elle est un château fort
et moi Ivanhoé. Tan tan tan ! Il est fou Boisis !
Metteur en scène dans l’âme, il adore les films américains
depuis que son père, il lui a fait cadeau une panoplie de cow-boy.
C’est bizarre comme les garçons, on aime jouer aux cow- boys !
Les filles, y en a pas bezef qu’elles se prennent pour Calamity
Jane ! Aouah, elles préfèrent jouer à la corde, à la marelle
et à la poupée. Les plus dégourdies, elles rêvent au prince
charmant en lisant les journaux de leur mère, Cinémonde, Nous Deux
ou Confidences. Y a pas à dire, les filles, elles sont différentes
des garçons et c’est pourquoi elles nous intéressent tant.
D’accord, on a à peine douze ans mais déjà, on se prend pour des
grands et même, si on pense aux jeux de notre âge, on rêve à des
jeux de mains, jeux de vilains.
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