samedi 1 mars 2014

extrait de : "HORIZONS BLEUS, le cabanon des gens heureux" de Hubert Zakine


Après le diner, tout le monde, on se retrouve sur la terrasse. Marathon de rami pour les uns, belote pour les autres, discussions pour certains et fous-rires pour tous. La jeunesse, elle tape la promenade à la fraîche, destination Pointe Pescade ou Bains Romains.

Colette et moi, on tape la chaîne devant le cinéma de Valenza, l’homme-orchestre des Horizons Bleus. Cafetier le jour et restaurateur le soir, il organise des après midi dansantes et des soirées cinématographiques pour le plus grand bonheur des cabanoniers.

Ce soir, Clark Gable y va me faire concurrence dans « L’esclave libre » mais Yvonne de Carlo elle va tellement lui pourrir la vie que même pas y va remarquer Colette.

La terrasse de Valenza, elle s’est faite toute belle avec des chaises partout comme une vraie salle de cinéma sauf que les étoiles elles brillent au dessus de nos têtes, c’est normal pour un cinéma plein air elle dirait la Palisse. Sitôt passé l’entrée, je prends la main de Colette et je pars à l’assaut des meilleures places, au fond de la salle. Tel Samson contre les philistins, je fais le vide autour de moi. Cuilà qui approche, j’lui fais les gros yeux ! Voilà, cà y est. On est installés au seul endroit mal éclairé mais tant recherché par tous les gobieux accompagnés d’une fille. Adieu les mains qui s’égarent dans l’obscurité. Bonjour les baffes, ouais !

Soudain, y me vient l’angoisse. Et si Ramsès y sort de son sarcophage pour taper le film aux Horizons Bleus ? Y peut pas rester chez lui, ce cataplasme ambulant, non ? Mes yeux y se transforment en gyrophares, mes oreilles elles deviennent radars. Colette elle se doute de quelque chose alors elle s’inquiète. Obligé, la pauvre ! Le garçon qui la sort partout y regarde sauf dans sa direction.

--«  Je guette le char de Pharaon ! »

Si je m’étais métamorphosé en girafe, ma petite chinoise, elle aurait été moins étonnée, raïeben ! Alors, je précise.

--« Pharaon, c’est Ramsés, ton copain des Groupes Laïques ! »

--«  Pourquoi veux-tu qu’il vienne ? »

--«  Pour rien au monde, je veux qu’y vient. Moins je le vois et mieux, j’me porte ! »

Colette, ma parole, l’intelligence, j’vous dis pas ! Ou sinon, elle veut vraiment marcher avec moi, qu’elle peut plus se passer de moi et tout et tout. 

--« Ramsès, comme tu l’appelles, il est blond et je préfère les bruns ! »

Aille sa mère ! Ca qu’elle vient de dire c’est pire qu’une déclaration d’amour en trois exemplaires signés par le maire des Horizons Bleus. Y faut dire que ma tignasse qu’elle me mange toute la figure comme elle dit ma mère quand je veux pas aller chez le coiffeur, plus noire y’a pas. Plus rousse, plus blonde, plus chauve, ça se trouve mais plus noire, que nenni !

--«  Comme moi ? » j’enfonce le clou en faisant attention à pas me taper sur les doigts comme Papa Vals qu’il a fait le bricoleur avec un marteau et depuis, y peut plus tenir ses cartes pour taper la belote. Y’en a j’vous jure !

--«  Comme toi ! » elle précise celle que j’épouse demain matin de bonne heure si elle me le demande. Mais aouah, même si Ramsés y peut retourner dans son sarcophage ou au kassour, comme y veut y choise, même si c’est pas une barre que j’ai avec Colette mais l’obélisque de la Concorde, ch’uis réaliste et demain le bon dieu y sera grand pace que moi ch’uis encore trop petit. Pour le moment, le roi c’est plus mon cousin, c’est moi et moi seul. Pourtant je cogite un maximum pour connaître le moment propice où je vais tenter de l’embrasser sans que tous les copains qui me surveillent comme le lait sur le feu quelques fauteuils plus loin ( je dis fauteuils parce que çà fait mieux total c’est des vulgaires chaises en bois) y me tapent pas le carnaval en applaudissant, en criant , en vociférant ou en sifflant comme dans les tribunes de Saint Eugène quand l’arbitre y refuse un but à l’A.S.S.E. Gamate comme je suis, ch’uis capable de me faire tout petit pareil à l’école quand le maître y tape l’interrogation orale et que je prie le bon dieu pour qu’il oublie que je suis dans sa classe. Le lendemain, obligé de rentrer à Alger tellement rouge de confusion je serais. Les femmes du quartier elles voudront me faire le soleil et tout et tout.

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